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Source, Le Nouvelliste

2010 : L'ANNÉE FRANKETIENNE !

2010 : L'ANNÉE FRANKETIENNE !

Pour le journal Le Nouvelliste, le plus important quotidien d’Haïti (fondé en 1898), l’année 2010 sera l’année Frankétienne.

Objet d'une fascination et d'un engouement de plus en plus croissants, Franck Etienne / Frankétienne, né en 1936, est une figure emblématique de la culture nationale. Écrivain, dramaturge, comédien, peintre et, avant tout, enseignant, son œuvre profonde et diffuse constitue les pièces d'un grand puzzle. Ses livres dans lesquels il invente une langue plutôt guidée par des sonorités, mais qu'il faut saisir dans l'hermétisme où elle se tient, nous permettent de réfléchir à la condition humaine. Quelle boulimie créatrice! Quelle progression dans l'action! Au seuil de ses 74 ans, Le Nouvelliste se propose de l'accompagner tout au long de l'année 2010 qu'il lui consacre entièrement. Le public est ainsi appelé à découvrir ce grand maître des lettres et des arts à travers différentes manifestations culturelles.

Haïti: L'année Frankétienne est définitivement lancée. Elle s'ouvrira par une manifestation publique le 29 janvier avec la présentation de sa dernière pièce théâtrale sur l'écologie mondiale «Mélovivi ou le piège». Cette représentation se veut l'ultime pièce écrite et jouée par l'auteur et Garnel Innocent. Elle aura en première partie la proclamation des «Trésors nationaux 2009». Bonjour et adieu au théâtre de la Medalla de Honor Presidencial Centenario Pablo Neruda (2004).

Le jour précédant son anniversaire, le grand écrivain procèdera à la vente-signature de ses deux nouveaux livres titrés «Textamentaire» et «Visa pour la lumière». Lors d'une journée hommage, toute la collection de ses œuvres picturales et de ses livres sera exposée à des prix promotionnels.

Une série d'activités autour de l'œuvre pluridimensionnelle de Frankétienne est prévue. Ce sera l'occasion pour le grand public d'arpenter les coulisses de son imaginaire, d'explorer sa singularité, d'entendre ses monologues intérieurs, ses flux de conscience. Bref, de prendre connaissance de cet exemple à la fois vaste et précis de captation du monde de cette icône de nos lettres à qui Le Nouvelliste s'applique à rendre un hommage bien mérité. Cohérent et structuré, l'agenda est bien chargé. Tout à l'honneur de Frankétienne.

Appelé à intervenir au festival des Etonnants Voyageurs autour des thèmes l'engagement dans le théâtre et l'innovation dans la littérature, le prix Carbet de la Caraïbe (2002), pour «H'Eros chimères», investit dans le futur, que dis-je? dans la célébrité et l'immortalité à laquelle il tient. Si d'autres auteurs refusent d'être conscients de la dimension profonde de leurs œuvres et disent tout bas la manière dont ils vivent la divine folie, la folie de la quête et de la création, Frankétienne ne se contente pas de le dire à haute et intelligible voix. Sans narcissisme ni autocontemplation. Il est le premier à être étonné par l'ampleur et l'importance de son œuvre immense. Voilà un auteur qui écrit d'abord pour lui, en dehors de tout public et selon sa propre esthétique.

Lecteur passionné de Freud dont il admire l'inconscient individuel, de Jung dont il est épris de l'inconscient collectif et de Reich qui réconcilie le freudisme et la philosophie marxiste, il apporte du sens au non-sens dans la quête de sens à laquelle participe le non-visible. Mais ce non-visible, ce mystique, ne doit pas être rapporté à la superstition ; la mystique est scientifique, professe le Grand Prix du livre Insulaire Ouessant (2005), pour l' «Anthologie secrète», en indiquant que le meilleur exemple de ce non-visible est cette cathédrale qu'est la boite crânienne.

«Nous avons choisi un citoyen, un écrivain dans le but de l'accompagner comme il nous a toujours accompagnés», explique le directeur du Nouvelliste, Max E. Chauvet, qui, tout en reconnaissant que le choix sera de plus en plus difficile, dit espérer que cette nouvelle tradition se perpétuera.

Après Frankétienne, le quotidien de la rue du Centre se propose d'honorer un autre écrivain, un scientifique ou un professionnel selon des critères bien précis, allant de la portée sociale, philosophique de son œuvre à sa reconnaissance nationale et internationale. La démarche consiste à reconfirmer les modèles, les icônes. «On parle trop souvent d'absence de modèles dans ce pays», estime M. Chauvet qui a accueilli le «Mapou d'Or 2008» à son bureau mardi dernier.

Le numéro un du Nouvelliste inscrit cette initiative dans la perspective du retour de Bravo, ce supplément du journal qui mettait en valeur les grandes figures sociales, artistiques et culturelles du pays. Car, en Haïti, nous avons trop souvent l'habitude de rendre des hommages post-mortem. «À travers Bravo, on se propose de reconnaître, d'honorer et d'identifier nos modèles.»

À la différence des coutumes traditionnelles de désigner à la fin de l'année une personnalité remarquable du milieu, Le Nouvelliste prend cette initiative plutôt en début de l'année pour l'accompagner pendant toute cette période.  La complexité, les tensions, le pluralisme qui font l'originalité de la littérature haïtienne se manifestent de façon particulièrement claire dans l'œuvre de Frankétienne. Par l'originalité de son écriture, la variété et la constance de son inspiration, Frankétienne, écrivain, peintre, théoricien et homme politique occupe une place de choix dans nos lettres. Son œuvre théâtrale comprend notamment «Pèlin Tèt» et «Troufoban» (1978), «Bobomasouri» (1986) et «Kaselezo» (1987). Auteurs de plusieurs dizaines de romans et de recueils poétiques, il est bien plus grand que l'absurdité qui l'entoure, d'autant qu'il nous apprend que la seule Révolte est salutaire.

«Mûr à crever», l'un de ses romans fétiches, paru en 1968, est l'outil par lequel il donne à saisir le mouvement du chaos. Dans les premières pages de ses livres, il expose son art poétique. Frankétienne par le spiralisme cerne la vie au niveau des associations par la couleur, les sons, les lignes, les mots et des connexions historiques par les situations dans l'espace et le temps. Non dans un circuit fermé, mais dans une spirale plus élargie et plus élevée que la précédente agrandit l'arc de vision.

L'œuvre spirale de Frankétienne caractérise l'anxiété universelle dans sa hantise générale. Elle prône le renouveau des sources d'inspiration locale et se tourne vers d'autres expérimentations dans la peinture. Les tons clairs, les traits délicats, le traitement des drapés, l'agencement des différents matériaux picturaux, dans le contexte spiraliste se révèlent en somme une opération beaucoup plus facile que la sacro-sainte invention propre à la peinture traditionnelle. «Il ne s'agit guère d'inventer, ni de créer, mais d'agencer librement des éléments», se targue-t-il de répéter.

Hormis ses autoportraits, ses toiles, exposées en Haïti comme à l'étranger, sont peut-être inspirées de l'œuvre de Jérôme Bosch: il partage en tous cas avec le grand Flamand toute une série d'obsessions. Celle des animaux, le plus souvent répugnants et souvent monstrueux: l'univers de Frankétienne est peuplé de reptiles, d'araignées, de pieuvres, de rats crevés, de caïmans, de porcs pansus, d'oiseaux sanglants. Comme chez Bosch, l'obscénité et la scatologie (dénuée de toute paillardise) dénaturent l'érotisme: - masculin ou féminin -, les organes sexuels ne sont que des déversoirs d'humeurs et d'excréments. Comme dans l'Enfer de Bosch, les chairs palpitent sous la torture, et les symptômes pathologiques composent «l'horrible chaudière de la sorcellerie au fond de laquelle barbotent végétation fécale, éruptions herpétiques, plaques lépreuses, vomissures vaginales, tumeurs phalliques, mijotant dans le Miel anal et la peste du sida».

Son écriture hybride transphonique et francréolophonique est un pari sur la littérature soucieuse de ce que Marie Edith Lenoble appelle une esthétique du chaos. «L'écriture a un rôle à jouer dans cette crise généralisée que vit le pays», écrit Frankétienne qui persiste à croire que loin de se résigner au fatalisme, il vaut mieux saisir la parole comme arme pour lutter contre la zombification des consciences. Et il ne cède ainsi ni à la l'aphasie ni à la peur. Poète schizophrène, il y puise sa force créatrice.

Frankétienne, dont l'œuvre a donné lieu et continue de donner lieu à plusieurs thèses de doctorat, parmi lesquelles figurent respectivement celle de Raphaël Confiant «Kreyòl pale, kreyòl matje ... analyse des significations attachés aux aspects littéraires, linguistiques et socio-historiques de l'écrit créolophone entre 1750 et 1995 aux Petites Antilles, en Guyane et en Haïti», à l'Université des Antilles et de la Guyane (1997) et celle de Kaiama L. Glover «Spiralisme and Antillanite: Construction of the Real and the ideal in Twentieth Century Francophone fiction » à Columbia University (2002), n'en finit pas d'étonner. Excelsior.

Considéré par la critique comme le plus inclassable des grands écrivains de son temps, celui que la Fondation Françoise Canez Auguste et Image et Marketing (Haïti) ont désigné en 2006 «Trésor National Vivant» d'Haïti a produit des textes austères qui procurent un plaisir littéraire intense; ceux qui révèlent les plus belles qualités d'une langue qui a son style inimitable, son «coup d'archet». Une langue faite pour révéler et non pour énoncer, pour manifester, toucher au point vierge de l'âme du lecteur, faire violence aux généralités abstraites et à la dévaluation commerciale du langage en métamorphosant ce que le savoir nous enseigne en tableaux d'une imagination créatrice.

Robenson Bernard

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