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La Martinique après le débat sur les articles 73-74 : état de lieux

25. LE VOLONTARISME CITOYEN, INSTRUMENT CONDITIONNEL DU DESARMEMENT DE LA VIOLENCE

par Jean Bernabé, professeur émérite des Universités
25. LE VOLONTARISME CITOYEN, INSTRUMENT CONDITIONNEL DU DESARMEMENT DE LA VIOLENCE

{ Contrairement aux convictions des gens de bonne volonté, appelant à une mobilisation volontariste « contre la violence », seule une action démocratique opérant à la racine (le niveau de prérogative de la gouvernance martiniquaise actuelle ne l’en rend pas capable) sera efficace. À condition, toutefois, d’être en synergie avec une société civile solidaire. D’où la nécessité de définir et d’analyser des processus stratégiques d’intervention.}

S’il est vrai que toutes les formes de violence prennent leur essor dans la configuration injuste du système économique, les instances politiques martiniquaises actuelles ne sont assurément pas en mesure de les traiter. La sauvegarde de notre société, comme de toute autre, impose une intervention préalable sur les aberrations du système de production et de répartition des biens. Pareil dessein constitue néanmoins un évident défi, puisque, à ce jour, la Martinique a accès non pas une modalité de démocratie non pas {{à la racine}}, mais seulement {{à la marge}}, c'est-à-dire limitée au traitement es effets et non des causes du mal, tablant sur le volontarisme et non sur le mouvement naturel des choses ! L’actuelle interdépendance des Etats leur interdit de se targuer d’accéder solitairement à un taux maximal de démocratie. Chacun doit cependant s’engager dans la voie la plus étendue possible de cette ressource. D’ailleurs, si la France avait déjà atteint à un haut niveau d ce phénomène, beaucoup de problèmes martiniquais s’en trouveraient, sinon abolis, du moins réévalués. On ne doit pas pour autant s’abstenir d’interroger les dispositifs sociopolitiques et les mentalités concernées par la violence.

L’absence d’une gouvernance martiniquaise à haut degré d’autonomie et de projet, ne nous dispense pas d’une réflexion sur ce que devra être, à terme difficilement estimable, l’accompagnement psychologique et culturel d’une démocratie politique et économique beaucoup plus affirmée. Il faut s’y préparer. Nos projets d’actions traduisent le degré de prise de conscience de nos postures et de leurs limites. La question n’est pas, rappelons-le, d’{{éradiquer}} la violence, naïve et dangereuse utopie, mais de tenter d’en {{déminer}} les mécanismes structurels induits par l’économie, et que seule la justice sociale peut transformer en énergie positive. Faut-il redire que toute recherche de l’angélisme comme volonté d’effacement du Réel constitue une dangereuse dérive idéologique ?

{{Les ressources de l’instinct de conservation}}

La violence internationale peut solliciter la ressource du patriotisme (ou de sa forme fanatisée, abâtardie, à savoir le nationalisme xénophobe). La violence sociale appelle le syndicalisme (dans sa version plus ou moins politique) ou encore l’insurrection. La violence sociétale, quant à elle, requiert un haut degré de {{citoyenneté}}. Si un jour tous les humains devenaient « citoyens du monde », la violence, cessant d’être internationale, n’en resterait pas moins interethnique, sociale et sociétale, du moins si rien ne devait être fait pour installer la démocratie dans toutes les déclinaisons de la devise trinitaire : liberté, égalité, fraternité. En l’absence d’une Martinique hautement démocratique et dans l’incertitude où nous sommes du délai où elle pourrait le devenir, nous n’avons d’autre alternative contre la désintégration sociale que le recours compensatoire à la {{force morale}}, support de notre volonté citoyenne de changement. En d’autres termes, les ressources de l’instinct de conservation sont très probablement mobilisables dans le cadre d’une action généralisée à l’ensemble du pays Martinique en vue d’échapper au suicide collectif. Cela dit, si elles ne sont pas soutenues par des mesures politiques radicales, elles ne feront qu’en repousser le terme fatidique.

{{Conservation en l’état ou métamorphose ?}}

Puisque la Culture et ses prolongements éducatifs sont forcément tributaires dans leurs pratiques et leurs enjeux des commandes sociales dictées par l’économie, le rôle de notre société civile actuelle pourrait être de trouver les voies et moyens permettant de repérer et décoder au sein des systèmes éducatif et culturel les facteurs de reproduction et d’amplification de la {{violence sociétale suicidaire}} et de les traiter de façon à tenter d’en reconvertir l’énergétique en produits positifs capables de construire, à titre exploratoire et conservatoire, de nouveaux enjeux. Quelques exemples de ces décisions volontaristes :

- dans le système éducatif, prendre à contre-pied les produits de la violence économique : mise en évidence, par exemple, de la pornographie comme désacralisation de l’acte d’amour, du sport starisé comme ferment d’individualisme et générateur d’égocentrisme, des addictions diverses comme sources d’aliénation, de la culture du « major » comme chancre politique, de l’idéologie du grand homme comme pourvoyeuse de mégalomanie et de paranoïa, etc.

- promouvoir des facteurs de désarmement de la violence : par exemple, éducation à l’altérité, pédagogie de l’Être et non de l’Avoir, du Faire et du Sentir (des émotions), mise systématique de l’enseigné en position d’enseignant, ce qui suppose une réforme des conditions de transmission de l’Education et de la Culture (en sachant que l’Education et la culture martiniquaises actuelles sont remplis de facteurs et de traits négatifs délétères : esprit de compétition, arrivisme, etc.) ; relation désaliénée aux médias de masse, redéfinition des missions et vocations des établissements d’enseignement ; remise en cause des dimensions physiques parfaitement pharaoniques et concentrationnaires des lycées au détriment d’établissements de proximité, bien moins imposants, etc.

Nos dirigeants politiques sont assurément conscients de la nécessité d’agir, pour le moins en matière de {{gestion }} de notre éducation et de notre culture. Ils s’appliquent d’ailleurs bien souvent à le faire sur une base concertée avec la société civile. Ces dispositions sont, toutefois, condamnées à l’inefficacité sans une réelle maîtrise locale du développement culturel et de l’éducation, ces {{deux mamelles}} appelées à nourrir la construction du Nouveau Martiniquais. Mais sans l’ancrage dans une démocratie politique et économique consistante, cette maîtrise restera un doux rêve. Le risque sera alors d’un enfermement sur soi et de l’enlisement dans des conceptions non pas {{martinicocentrées}} (comme cela est souhaitable) mais {{martinicocentriques}}, dérive tout aussi détestable que fatale, parce que liée à la déconnections entre le domaine du Réel et celui de l’Idéologie. Bref, un remède pire que le mal !

{{Un corpus de stratégies conditionnelles à mobiliser en vue d’un éventuel désarmement de la violence}}

Conditionnelles, parce qu’insuffisantes en soi ! Il existe, certes, des circuits empruntés par les mécanismes engendrés par l’économie et qui irriguent l’ensemble du tissu sociétal dans ses dimensions informative, éducative, psychologique, émotionnelle et culturelle. Les dirigeants de Pékin ont, rappelons-le, lancé un tout récent programme d’éducation à la courtoisie. Pourtant, malgré les particularités confucéennes de la culture chinoise, je ne suis pas du tout convaincu que cette option politique soit de nature à véritablement désarmer la violence générée par leur totalitarisme politique, économique, social et médiatique. Je propose néanmoins, à titre purement exploratoire, les éléments de réflexion suivants. Eminemment amendables, voire critiquables, ils devraient, me semble-t-il, informer diverses préoccupations éducatives martiniquaises en vue d’une conscientisation sociale à tous les niveaux et échelons, par une pédagogie rénovée.

A) INDEXATION DES DOMAINES DE MANIFSESTATION DE LA VIOLENCE

{{1. L’Ecole}}

a. Violence verticale (enseignant-enseigné et vice versa) ; violence horizontale (élèves entres eux) ; violence des personnes extérieures envers les élèves (dealers, par exemple) ; violence des parents d’élèves envers enseignants et des enseignants envers parents d’élèves ; phénomènes de bandes intra et extrascolaires

b. Conditions des interactions pédagogiques (dimension physique des établissements, effectifs par classe, emploi du temps et aspects chronobiologiques, programmes et matières, transports, alimentation, externat, demi-pension, internat) ; science de l’évaluation des productions des élèves et enjeux sociaux ; interaction comportementale : langagière, vestimentaire et gestuelle ; dérivatifs ludiques ; prise en compte du vécu (éducation sexuelle, éducation des émotions, éducation citoyenne théorique et pratique) ; pédagogie de l’altérité (expériences vicariantes servant de bonus en fin de cycle) ; processus d’autonomisation ; analyse critique concrète des médias ; introduction raisonnée des langues et cultures vernaculaires et définition de leurs enjeux ; méthodologies nouvelles d’apprentissage des langues étrangères comme ouverture sur l’extérieur ; rapport personnel au livre, aux médias, à la société numérique ; approche critique de l’éducation (laïque et religieuse) et de ses rapports avec la citoyenneté (analyse de phénomènes sectaires) ; nature et efficacité de la structuration de l’éducation et de ses rapports avec la cité; approche des réactions des laissés pour compte du système ; marques de classe sociale en rapport avec les marques de hiérarchisation scolaire ; pédagogie de la réussite ou de l’échec (définition de la réussite); démocratie et discipline dans la classe (rôle du représentant de classe) ; représentations individuelles de l’avenir (simulations, réforme des méthodes de l’orientation) ; conditions d’un équilibre entre la commande sociale et les objectifs éducatifs de sauvegarde de la société.

{{2. La famille}}

a. conditions matérielles de vie ; cohésion et structure de la famille ; places respectives de la femme et de l’homme dans le foyer ; attitude des parents envers les enfants et des enfants envers les parents ; attitude des enfants entre eux ; statut de la parole dans la famille : modalités d’interaction langagière et gestuelle ; rites familiaux ; projets familiaux.

b. dispositifs sociaux de prise en charge des enfants pendant le travail des parents ; rapports de la famille nucléaire avec les grands-parents et collatéraux

c. conception de la « gouvernance » de la famille ; connexion de la famille avec la société (lien social). Violence physique et/ou morale ; expressive et/ou silencieuse («{ bat an moun san menyen’y} »)

{{3. les codes de conduite dans la cité}}

a. la circulation automobile et piétonne ; insultes et impatiences ou courtoisie au volant ; respect ou non du code de la route ; respect ou non par les piétons du code explicite de la route, et du code implicite du trottoir ou de la rue) ; tenue et maintien dans les déplacements piétonniers et les lieux publics.

b. comportement envers les semblables ; salutations d’usage (dans les magasins, les bureaux etc.) ; files d’attente ; résolution des heurts et conflits quotidiens ; rapports employés de commerce-clients ; débrouille et resquille ; attitude des autorités envers les citoyens (le policier est-il un ami ou un ennemi ?)

c. comportement envers les animaux, les objets, la nature

d. activités sportives collectives et individuelles ; activités ludiques autres que le sport.

{{4. L’individu dans sa prise en charge par lui-même et par la société :}}

a. sexualité et vie amoureuse ; santé physique et mentale ; positionnement par rapport à l’emploi (actuel et en perspective) ; éducation dans tous les domaines ; acteurs et moyens du désarmement de la violence personnelle

b. ressources institutionnelles permettant à l’individu la représentation de sa propre place dans le monde ; formation rénovée et rôle des assistants sociaux, des accompagnateurs de la jeunesse, des auxiliaires de vie ; médiation sociale ; médiation culturelle.

c. rapport à la politique (participation, indifférence, sentiment d’exclusion, rejet) ; rôle et objectifs des partis politiques ; rôle des médias, auxiliaires de l’ordre économique établi ou auxiliaires de l’éducation ?

B) MOBILISATION DE L’ECONOMIE SOCIALE A UN NIVEAU COMMUNAL ET INTERCOMMUNAL

1. propositions à établir par domaine d’expression de la violence (concernant toutes les communes et spécifiques à chaque commune) ; missions et objectifs de l’économie sociale à travers les réseaux associatifs ; adéquation des structures et programmation ;

2. méthodes et moyens d’action ; communication sociale et intercommunication associative ; réflexion sur les moyens.

3. méthodes d’auto-évaluation des actions et projets pour la redynamisation de la vie citoyenne.

Dans une société où la violence du pouvoir opprime, contrôle et musèle, le libéralisme est cette idéologie qui réclame la liberté d’agir et d’exprimer sa pensée, contre toutes les interdictions et répressions qui s’y opposent. Dans ce cas, les actions et les pensées revendiquées sont censées être libératrices. Ce libéralisme-là, qui relève de la pensée libertaire anti-étatiste ne saurait être confondu avec le « laissez-faire », qui conduit aux pires exploitations et injustices. Quels sont les effets de cette contradiction sur le taux de démocratie des divers pays ?

Prochain article :

La Martinique après le débat sur les articles 73-74 : état de lieux
{26. Libéralisme, violence et politiquement correct}

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