Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL
Chronique du temps présent

A PROPOS DU ZIMBABWE…

Raphaël Confiant
A PROPOS DU ZIMBABWE…

Claude Labbé, dans un numéro récent d’ « Antilla » (n° 1366), critique un article écrit par moi à propos de la situation actuelle du Zimbabwe, me mettant en garde contre ce qu’il appelle « le syndrome de la faute de l’autre ». Tout d’abord, je dois dire que j’ai la plus haute estime pour ce journaliste antillais dont je lisais les articles dans le magazine « Demain l’Afrique » (si mes souvenirs sont exacts), cela dans les années 80. Je l’estime d’autant plus que contrairement à tous ces Antillais qui nous rabâchent une Afrique mythique à longueur de journée, il a fait le choix du retour sur le continent des ancêtres et qu’il a adopté la nationalité Zimbabwéenne. Ceci dit, C. Labbé a raison si l’on raisonne sur la courte durée. Je comprends parfaitement que lorsque l’on subit les exactions policières d’un régime corrompu, que l’économie s’est effondrée, que l’hyperinflation ronge le maigre pouvoir d’achat de ses concitoyens, que l’école et la santé sont à la dérive, qu’on soit très critique envers ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui le détiennent au Zimbabwe sont Robert Mugabe et son parti, le ZANU-PF.

Toutefois, si l’on raisonne sur la longue et la moyenne durée, comme j’ai tenté de le faire, il faut bien reconnaître que la situation catastrophique actuelle du Zimbabwe n’est pas entièrement due à ses dirigeants. Je ne ferai pas l’injure à C. Labbé de lui rappeler qu’au 14è siècle, le fameux royaume du Monomotapa (dont les ruines spectaculaires sont encore visibles de nos jours) s’effondra au bout de deux siècles lorsqu’il fit le malheur de céder aux Portugais le droit d’exploiter ses mines d’or, d’étain, de cuivre et de fer. Au 19è siècle, le roi Ndébélé, Lobengula, refait la même erreur en accordant des droits de prospection minière à un aventurier anglais, Cecil Rhodes lequel transforme cette concession en colonisation de peuplement avec la complicité active de l’Empire britannique. Des dizaines de milliers de colons blancs débarquent dans ce lointain territoire d’Afrique australe, y repoussent les autochtones et s’emparent de leurs terres. Au 20è siècle, Ian Smith, chef de la minorité blanche (1% de la population qui détient 70% des terres arables !) déclare unilatéralement l’indépendance de la colonie sous le nom de Rhodésie. Un régime d’apartheid en tous points similaires à celui de l’Afrique du Sud est instauré dans le pays avec son cortège d’arrestations arbitraires, de répressions sanglantes et de « bantoustanisation » des Noirs.

Dire donc que « l’Autre » n’est pas responsable de la situation du Zimbabwe actuel, c’est, à mon sens, aller un peu vite en besogne car au terme d’une guerre de libération de quinze ans qui a fait des milliers de morts chez les Africains, le pays devient une deuxième fois indépendant, cette fois sous le nom de Zimbabwe et avec un gouvernement à majorité noire. Robert Mugabe, qui a fait 11 ans de prison sous le régime de Smith pour « propos subversifs », à qui Smith a refusé durant son incarcération d’assister aux funérailles de son fils âgé de 4 ans, fait du mandélisme avant l’heure : il accepte un gouvernement de réconciliation avec Josuah Nkomo, le chef de l’autre mouvement de libération, mais aussi avec les Blancs. Ce sont les fameux Accords de Lancaster House qui prévoient que les Blancs auront droit à 2 postes de députés jusqu’en 1990 et qu’il n’y aura aucune expropriation des fermiers blancs durant dix ans.

A cette époque (comme Saddam Hussein en son temps), Robert Mugabe était l’enfant chéri de l’Occident qui ne tarissait pas d’éloges sur sa bonne gestion et son refus de l’extrémisme. D’ailleurs, notre ami Claude Labbé nous dit qu’il fut lui-même membre du parti de Mugabe et que ce dernier eut l’occasion de le féliciter pour un article qu’il avait écrit dans le quotidien national. Mugabe n’a donc pas toujours été quelqu’un d’infréquentable, il n’a pas toujours fait preuve d’esprit dictatorial.

{{{DERAPAGE}}}

Qu’est-ce qui donc n’a pas marché ? Qu’est-ce qui a donc provoqué ce dérapage que C. Labbé dénonce à juste titre ? A mon avis deux éléments (mais je le répète, je ne suis pas un spécialiste de l’Afrique) :

. le non-respect des Accords de Lancaster House par les Britanniques : en 1986, Tony Blair, (eh oui, le fameux travailliste !), déclare qu’il ne se sent pas tenu par les promesses orales de ses prédécesseurs et arrête brutalement le financement de la rétrocession des terres des fermiers blancs aux paysans noirs alors qu’à peine 20% de ladite rétrocession avait été réalisée ! Un Antillais peut, en toute bonne foi, se demander le pourquoi de cette rétrocession puisque les Blancs zimbabwéens sont des citoyens comme les autres. La réponse est simple : ces terres n’ont jamais été achetées, elles ont été volées aux Noirs sous Cécil Rhodes, puis sous Ian Smith. Ce geste scandaleux de Tony Blair est directement responsable des dérapages qui se produiront plus tard, notamment l’occupation par la force des fermes blanches par des paysans noirs excédés.

. la scélératesse du FMI et des grandes organisations financières internationales : en moins de dix ans, Robert Mugabe avait fait alphabétiser 92% de la population, l’eau, le transport et la santé étaient quasi-gratuits, tout cela étant gagé sur les formidables richesses minières du Zimbabwe. Pour aller vite, le Zimbabwe pouvait payer et se payer cela, sauf qu’il lui fallait, dans un premier temps, emprunter à l’étranger et que cet étranger, le considérant malhonnêtement comme un client potentiellement insolvable, a exigé de lui des mesures d’ajustement structurel et surtout la privatisation de tous les services publics !!! Ces réformes imposées on déstabilisé la nouvelle société zimbabwéenne en construction et plongé le pays dans la récession et la misère, déclenchant du même coup une virulente paranoïa chez Robert Mugabe et son régime. Mugabe s’est vu comme assiégé par l’Occident et s’est enfoncé dans un nationalisme qui ne pouvait qu’être destructeur à l’heure de la mondialisation.

{{{RESPONSABILITES}}}

Loin de moi donc l’idée de dédouaner complètement Mugabe et sa clique des malheurs que connaît le Zimbabwe, mais je tenais à rappeler que depuis des siècles l’Occident a une lourde responsabilité dans le destin de ce pays comme de toute l’Afrique d’ailleurs. Quand C. Labbé, dans son article, compare ce continent à l’Inde et à la Chine en remarquant que ceux-ci se plaignent rarement du colonialisme et qu’ils ont fait l’effort de construire des économies viables, je répondrai que la comparaison ne me paraît pas correcte car aucun continent de l’Ancien Monde n’a été aussi sauvagement agressé par l’Occident que l’Afrique noire. Ni l’Inde ni la Chine ni même le monde arabe, s‘ils ont bien subi une tutelle coloniale à certains moments de leur histoire, n’ont jamais vécu, par exemple, la déportation de millions de leurs habitants vers un autre continent, pas plus que le dépeçage de leur territoire en états artificiels tracés au cordeau sur des cartes vierges, au mépris des ethnies, des langues et des religions. Il n’y a guère que le Nouveau Monde, l’Amérique donc, a avoir été frappé plus sauvagement que l’Afrique puisqu’il ne comporte aujourd’hui qu’un seul et unique pays dirigé par un autochtone, la Bolivie.

Enfin, pour terminer, si Mugabe est devenu (je dis bien « devenu ») un dictateur, on ne peut pas dire, loin de là, qu’il soit le premier de la classe dans cette catégorie. Un exemple : en 2.000, il organise des élections législatives qu’il perd !!! Ensuite, il organise un référendum en vue d’une modification de la constitution du pays qu’il perd à nouveau !!! Khadafi et Bongo on dû bien rire. Ce n’est pas en Libye ou au Gabon qu’on organiserait des élections et si on en organisait, ni Khadafi ni Bongo ne les aurait perdues. En réalité, l’Occident ne veut pas, n’a jamais voulu, que le Zimbabwe devienne un pays prospère, ce qui signifierait qu’il aurait le contrôle de ses richesses minières.

En violant les Accords de Lancaster House et en imposant par le biais du FMI des mesures scélérates, l’Occident a cherché à étrangler un pays qui ne se plaçait pas sous sa bannière, exactement comme il tente de le faire en ce moment pour les régimes de Hugo Chavez au Venezuela et d’Evo Morales en Bolivie.

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.