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APRES LES ATTAQUES ET MENACES DU PROCUREUR CONTRE LES AVOCATS DE KEISIAH NUISSIER, OU EN EST-ON VRAIMENT ?

Raphaël CONSTANT
APRES LES ATTAQUES ET MENACES DU PROCUREUR CONTRE LES AVOCATS DE KEISIAH NUISSIER, OU EN EST-ON VRAIMENT ?

Nul doute que le bal n’est pas fini. Les violons ne sont pas encore rangés dans leurs étuis… mais déjà il convient de commenter le déferlement de menaces lancées par le Procureur de la République, à l’audience du Tribunal Correctionnel du 9 novembre dernier puis réitérés, le 12 du même mois, sur RCI contre la défense de Keisah NUISSIER.

Parlons également du soutien qu’il a obtenu des chefs de juridiction et de « délégués régionaux » de deux syndicats de magistrats.

M. le Procureur de la République a entamé, au nom de sa conception sévère de la loi et de la défense d’un ordre social injuste, une manifeste fuite en avant depuis qu’il a décidé de poursuivre les jeunes militants RVN lesquels ont le défaut de réclamer justice contre les empoisonneurs et réparation pour leur pays.

Ses attaques contre les avocats sont dans la droite logique des choses.

Après avoir porté atteinte au droit de manifester (en fait de déranger le propriétaire des Carrefours) puis au droit d’assister à un procès public, il s’en prend maintenant aux droits de la défense.

On peut espérer qu’il rejoindra bientôt un autre poste avant de franchir un nouveau pas dans la négation des droits de notre peuple et de sa jeunesse.

Rien n’assure que son successeur sera moins pire ou mieux que lui (l’histoire coloniale ne nous a pas rendu coutumier de magistrats ou de membres des forces de l’ordre soucieux de combattre l’arbitraire dans ce pays) mais force est de constater que l’actuel détenteur du poste de chef des poursuites en Martinique, au travers de ses actes et de ses diverses et nombreuses déclarations, démontre une claire volonté d’en finir avec ce mouvement de protestation.

Le communiqué du Premier Président et du Procureur Général manifestant un soutien total aux magistrats du ressort est aussi, malheureusement, dans l’ordre des choses, même si par sa forme et entre les lignes, il tente de ne pas jeter trop d’huile sur le feu, en considérant que les avocats et magistrats doivent œuvrer ensemble à la justice.

Ce n’est pas le cas du communiqué de presse du 16 novembre 2020 des « délégués régionaux » (de quelle région s’agit-il ?) de l’Union Syndicale des Magistrats et du Syndicats de la Magistrature sur l’affaire Késiah. Il faut le lire, le relire et conserver précieusement cette fausse relique car rarement on aura vu en si peu de mots tant d’arrogance et de prétention… bref un vrai délire colonialiste.

Déjà, on notera que les « délégués » ne disent pas qui ils sont.

On peut douter, à tout moins espérons-le, qu’ils représentent une majorité de la soixantaine de magistrats officiant en Martinique.

On peut s’interroger sur le fait que ce communiqué traduise les vraies positions des directions nationales de l’USM et du SM. Le premier syndicat se veut « modéré » et le second est classé à gauche. Or, ce communiqué est un vrai discours corporatiste et politicien.

Ce communiqué est violent et injurieux. Jamais en France des « délégués régionaux » n’auraient utilisé de tels termes.

Mais surtout, il reproduit un discours réactionnaire, même proche de l’extrême droite.

Comment traduire autrement la pseudo analyse politique contenue dans deux alinéas de ce communiqué.

Que vient faire sous la plume de magistrats des termes comme la contestation à une « résistance face à un prétendu oppresseur ». Faut-il en déduire qu’il n’existe pas d’oppresseur ? qu’il n’y a pas d’opprimés ? Tout le monde est égal ? A qui faire croire cette farce ?

Ces « délégués » sont les tenants d’un ordre établi et le seul fait de le critiquer devient pour eux un crime.

A leurs yeux, crier contre l’oppression est une lubie…

Penser que les auteurs de ce communiqué sont de ceux qui poursuivent et jugent les gens en Martinique fait froid dans le dos.

On peut comprendre pourquoi l’image de la justice est si négative chez nous et pourquoi il y a ici plus de 2 fois plus de personnes en prison qu’en France.

On comprend de ce communiqué pourquoi ces magistrats syndicalistes n’ont rien à dire sur l’absence de juge pour les victimes de l’empoisonnement au chlordécone, sur l’atteinte au droit de manifester devant les magasins Carrefour, sur la remise en cause des audiences publiques pour les procès des jeunes militants. Ils trouvent tout cela parfaitement normal.

Fondamentalement, pour eux, pour ces supposés syndicalistes, si la Martinique est un lieu où on bénéficie de nombreuses primes, il ne s’agit pas d’un pays où vit un peuple qui a droit au respect.

Quant au plan juridique, de nombreuses affirmations ineptes sont à relever dans ce communiqué.

Le communiqué parle de « défense de rupture » sans savoir de quoi il s’agit. A ce jour, il n’y a pas eu de défense de rupture dans les procès des jeunes RVN. S’il se révèle que ceux qui doivent les juger ont la même mentalité que nos « délégués régionaux », la question d’une défense de rupture pourra se poser comme elle a été pratiquée lors des procès des militants de l’ARC. Mais cela dénote chez ces « délégués régionaux » ou une volonté de tromper l’opinion ou une crasse ignorance de ce qu’est une défense.

Il faut observer que ce communiqué vise à défendre « une magistrate du parquet » dont la procédure est critiquée. Ce serait donc un crime ? Critiquer une procédure serait « une menace et une intimidation ». De qui se moque-t-on ?

Ces magistrats réclament aux avocats la « délicatesse » et le « respect de leurs interlocuteurs ». Ils ont toujours été présents, même face au plus discourtois d’entre eux. Mais, en aucun ces valeurs n’obligent la défense à la soumission.

Les récentes attaques contre les avocats par une partie de la magistrature sont dans la logique d’une dérive autoritariste mise en place depuis la fin de l’année 2019.

L’état français étant incapable d’expliquer pourquoi ce pays a été empoisonné avec sa complicité par une bande de profiteurs assoiffés d’argent, il, par la main de ses fonctionnaires, de justice ou autres d’ailleurs, a décidé de limiter tous les droits (vivre normalement, manifester, s’exprimer et même se défendre, etc…) de ceux qui réclament justice et vérité.

Il est vain de croire que ces militants reculeront face aux menaces et à la répression.

Rappelons cette évidence. La défense de M. NUISSIER n’a pas mis en place une défense de rupture mais a critiqué, sur la base des règles françaises de procédure pénale, la procédure mise en œuvre contre celui-ci et elle tente de comprendre par quel processus ce jeune étudiant a été tabassé en plein jour à Fort de France par un policier et 5 gendarmes français au point de se voir « accorder » 21 jours d’ITT à sa sortie de garde à vue par un médecin.

Force est de constater que la démarche du Parquet a été toute autre. Dès le 18 juillet, il a proclamé Késiah coupable puis, face aux déferlements des vidéos montrant le tabassage, le Procureur a ordonné une enquête non contradictoire à des officines non indépendante !

Le 5 novembre, la défense a répliqué à une série de déclarations du Procureur mettant en cause la présomption d’innocence de son client en s’appuyant sur une enquête qu’il a lui-même ordonnée et contrôlée.

Le 9 novembre, elle a demandé et obtenu un renvoi au nom de l’exercice des droits de la défense du fait de l’attitude du Parquet.

Depuis, elle fait face à un déchainement d’injures et de menaces.

Qu’est ce qui explique cette si grande colère ?

La défense de Késiah a effectué divers actes qui déplaisent :

  • Une plainte pour faux signée par M. NUISSIER. En effet, il ressort de la procédure que selon les témoignages du policier et des gendarmes Késiah aurait donné des coups de poing à l’un d’entre eux. Ceci est démenti par les vidéos. D’où cette plainte visant à savoir pourquoi les procès-verbaux contiennent des contre-vérités.
  • Une plainte pour violences par personne dépositaire de l’autorité publique signée par Mme ETILE. Les vidéos permettent de voir que l’origine de la rixe vient de coups portés par un gendarmes sur la mère de Késiah ce qui est de nature à expliquer que ce dernier a réagi.
  • Une saisine de l’Inspecteur Général de la Justice signée par M. NUISSIER mettant en cause les conditions dans lesquelles il a été traité pendant sa garde à vue et par la suite. Qui a peur d’une enquête sur le fonctionnement du Parquet de Fort de France ?
  • Une saisine du Conseil de l’Ordre des Médecins signée par M. NUISSIER pour absence de soins par deux médecins nommément désignés dans la procédure.

 

Est-ce que, pour ces magistrats « délégués régionaux », les militants RVN n’ont pas le droit de déposer de plainte ? Pourquoi ont-ils peur d’une enquête et d’une inspection ?

 

La défense de Kesiah a aussi clairement affirmé lors d’entretiens avec la presse un certain nombre de faits :

1°) les conditions de la garde à vue de Késiah ont été critiquées. La garde à vue a été décidée le 16 juillet 2020 à 17h50 et maintenue en l’absence, dans le dossier, d’un certificat médical de compatibilité entre celle-ci et l’état de santé de M. NUISSIER. Cette garde à vue a été prolongée le 17 juillet à 17h35 alors que les certificats médicaux de compatibilité sont postérieurs de plusieurs heures (19h et 21h) à la décision de prolongation. Comment expliquer que dans la nuit du 16 au 17 juillet, vers 2 heures du matin, les policiers aillent chercher Késiah à La Meynard pour l’amener dormir dans une cellule du commissariat sans aucun document médical le permettant et alors que les pompiers avaient estimé utile de l’amener à l’hôpital ?

 

2°) Concernant la question de la moquette longuement évoquée par M. le Procureur dans ses déclarations à RCI le 12 novembre au matin, le fait est que Késiah a déclaré devant l’IGGN le 22 septembre 2020 ce qui suit : « Devant la procureure, je saignais toujours. J’ai un peu sali la moquette de son bureau avec du sang ». Le Procureur est offusqué de cette déclaration pour l’unique motif qu’il n’y aurait pas de moquette au Palais de Justice. Il ne discute pas le fait que Monsieur NUISSIER a été présenté à sa collègue procureure alors qu’il était en sang.... Jusqu’à preuve du contraire, nous croyons Késiah.

 

3°) Parlons aussi de ces cris de vierges effarouchées parce que la défense a utilisé le terme de « chasse à l’homme ». En décembre 2019, le domicile de Mme Christine ALIKER, grand-mère de Késiah, a été forcé en son absence car on cherchait son petit-fils. Le 13 janvier, Késiah et sa mère ont été blessés devant le palais de justice après que les « forces de l’ordre » aient, en contradiction avec la décision du tribunal, refusé l’accès du public à la salle d’audience. Le 16 juillet, on sait ce qui s’est passé et ceci grâce à une vidéo citoyenne montrant comment Késiah a été battu par 5 ou 6 individus qui se croyaient à l’abri des regards. Suite à sa garde à vue, M. NUISSIER visité par un médecin a eu un arrêt de travail de 21 jours. Souhaitant à nouveau le faire entendre comme mis en cause, un représentant du Parquet va ordonner une expertise de M. NUISSIER alors que celui-ci est hospitalisé. Par la suite, la gendarmerie se présentera plusieurs fois chez ses grands-parents (âgés) au Morne Rouge pour l’entendre.

 

Dans ce contexte, le terme de « chasse à l’homme », n’en déplaise aux « délégués régionaux », ne semble pas outrancier. Peut-être préfèrent ils parler de harcèlement… cela change rien quant au fond.

 

Ce fameux communiqué de la honte reprend l’annonce du Procureur de poursuites disciplinaires et pénales contre les avocats de Késiah.

C’est un honneur d’être poursuivi dans un tel contexte.

Il semble bien que certains de ces magistrats auraient, sans état d’âme appliqué le « code noir » en 1847, servi « l’Etat français » sans se poser de question en 1942, tranquillement toléré les tortures à Alger en 1960. Aujourd’hui, la négation de l’existence du peuple Martiniquais ne leur pose aucun problème puisque, disent-ils, c’est la loi.

C’est un honneur que de telles personnes veuillent nous poursuivre.

Derrière tout ce tumulte, une bien commode demande de dépaysement. Tiens donc !

Le Procureur de la République n’est pas compétent pour une telle demande (pas plus que pour ordonner des poursuites disciplinaires contre les avocats, ne lui en déplaise). C’est le Procureur Général qui a la main sur ce type de décision. L’ennui est que cette personnalité a déjà fait savoir par communiqué qu’il soutenait le Parquet de Fort de France. Saura-t-il sortir de cette contradiction pour apprécier objectivement la demande du Procureur.

Mais insistons sur le caractère foncièrement politique et discriminatoire de cet éventuel dépaysement. Aller juger Késiah loin de son pays revient à handicaper sa défense. L’argument du Procureur consistant à prétendre qu’il n’a plus le recul pour traiter cette affaire est une parfaite tartufferie. Cela fait bien longtemps que M. le Procureur n’a plus de recul (s’il n’en a jamais eu !) quand il s’agit de poursuivre de jeunes militants.

La question n’est pas de dépayser la procédure de Késiah mais d’en extraire ceux des membres du Parquet de Fort de France qui n’ont démontré ni compétence, ni professionnalisme dans la conduite de cette affaire. Fort heureusement il y a au sein de ce Parquet des magistrats capables, honnêtes, et aptes à prendre le recul nécessaire dans ce dossier.

Il est clair que là aussi, M. le Procureur espère également un dépaysement. Comme pour la plainte contre les empoisonneurs (2006) ou dans l’affaire du Ceregmia (2010), l’objectif est d’enterrer une autre affaire gênante pour les tenants de l’ordre social et leurs défenseurs.

Keisiah Nuissier a déposé plainte le 6 novembre 2020 avec constitution de partie civile pour violences par personnes détentrice de l’autorité publique avec actes de tortures et barbarie. Ce qui aurait dû être fait depuis le 18 juillet à savoir mener une instruction indépendante pourra donc être mis en place. On attend aussi les réponses du Parquet sur les deux plaintes (voir ci-dessus) dont il a été saisi depuis la fin du mois dernier.

Ce n’est pas la défense de Késiah qui est sous la défensive mais bien l’institution judiciaire à qui il est demandé, nonobstant les opinions politiques de son chef et celles de ses collègues « délégués régionaux », de faire son travail.

Mais, en dépit de toutes ces manœuvres, entraves et menaces qui peuvent impressionner et apeurer certains, que leurs auteurs sachent que tout cela ne servira à rien.

La marche pour la vérité et la justice ne s’arrêtera pas.

Raphaël CONSTANT

Avocat de K. NUISSIER

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