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Littérature

ATTENTE, MENSONGE ET DESILLUSIONS

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ATTENTE, MENSONGE ET DESILLUSIONS

Avec En attendant demain, Nathacha Appanah revient dans le monde d'aujourd'hui, entre Paris et province, avec des personnages de double culture, qui ont connu des drames et de grands espoirs. Proposant une réflexion sur l'essentiel de la vie à la lumière du parcours d'un couple sur une période de vingt ans, ce cinquième roman marque aussi le retour de l'auteure chez Gallimard, où elle avait publié ses trois premiers ouvrages dans la collection Continents noirs.

Cette fois, elle apparaît dans la collection originelle de cette maison d'édition héritière de la NRF, Nouvelle Revue Française.

Distribué en librairie depuis près de deux mois, le nouveau roman de Nathacha Appanah intrigue par sa forme lorsqu'on se souvient, par exemple, de la grande accessibilité du Dernier frère, ce succès d'édition publié il y a sept ans déjà et traduit en 16 langues. La narration en était simple et linéaire, racontant une amitié naissante entre deux enfants, l'un mauricien et l'autre retenu par les autorités coloniales à la prison de Beau-Bassin parce qu'il faisait partie de ces émigrés juifs d'Europe de l'Est qui fuyaient le nazisme.

En attendant demain brouille la chronologie en proposant des aller et venues entre le présent et le passé, relatant, à travers 17 chapitres, différents moments de la vie d'un couple qu'un drame a déchiré. Pris à la lettre, le titre pourrait évoquer l'attente d'Anita décrite en préambule lorsqu'elle patiente, éveillée, avant que le jour ne se lève pour retrouver son mari qui achève une peine de prison de quatre ans, quelques mois et quelques jours…

Dans ce roman, dont le ton fait penser à La noce d'Anna, l'objet du récit semble le plus souvent être moins de comprendre pourquoi Adam s'est retrouvé en prison, qu'interpréter la signification de ce titre sur l'attente… et le manque. Anita attend certes que son époux sorte de prison mais, au fil des pages, de nombreuses autres formes d'espérance, d'expectations, plus ou moins conscientes à l'esprit des personnages, se dessinent. Il y a 20 ans, Adam et Anita se sont un jour trouvé au même endroit, assis sur le même canapé, mais séparés par une pile de vêtements, et, surtout, éprouvant tous deux l'étrange sentiment de ne pas être à leur place. L'un est un immigré de l'intérieur parti de province pour la capitale, l'autre vient d'une île lointaine. Adam deviendra architecte en rêvant de reprendre la peinture. Anita, elle, sera journaliste localière en attendant d'écrire un roman.

Alors qu'ils semblent finalement avoir trouvé un équilibre sans accomplir ces rêves d'artistes, alors qu'ils ont donné naissance à la petite Laura et que leur existence présente l'apparence du bien-être, l'arrivée fortuite d'Adèle dans leur vie vient mettre en relief leurs propres fragilités, leurs frustrations et le caractère ténu du fil qui relie les êtres.

Un être mystérieux

Comme Anita, Adèle est originaire de Maurice. Elle s'appelait différemment autrefois, elle devient à son insu la muse du couple, leur source d'inspiration qui déclenche chez l'un le souffle pictural, chez l'autre l'écriture d'un roman, dont l'esquisse est d'ailleurs livrée en abîme. L'attente pourrait alors tout aussi bien concerner ce moment où ce couple avouerait enfin à Adèle ce qu'elle représente réellement dans leur vie, bien au-delà de la nounou de Laura qui résout tant de problèmes d'organisation…

Chaque chapitre est consacré à une période de la vie de ses personnages, mais des scènes d'aujourd'hui reviennent régulièrement comme un sérum de vérité. Chaque chapitre offre aussi diverses ouvertures sur les interrogations, les rencontres, le vécu et l'intimité de ses personnages, brossant un ensemble particulièrement dense. Le drame est venu bouleverser ces vies, celle d'Adèle jadis lorsqu'elle vivait à Maurice, et encore ensuite entre les mains de ce couple plutôt entreprenant.

Le drame a bouleversé la vie d'Anita et d'Adam, mais on comprend à la fin que la véritable tragédie de cette histoire réside ailleurs, peut-être dans la grande difficulté à se réaliser et à réaliser son couple, mais surtout dans le fait de tant se méconnaître et de méconnaître ceux que l'on côtoie chaque jour et que l'on croit respecter. Cette histoire d'une désillusion dévastatrice décrit aussi l'égoïsme de ceux qui aspirent à être autres que ce qu'ils sont, préférant pour cela se mentir et mentir aux autres, se nourrir d'autrui sans même demander la permission.

L'auteur chérit ses personnages et parvient à transmettre, avec une grande finesse, ce qui conduit ces destinées. Pour ce texte troublant et admirablement écrit dans une langue concise et vive, elle vous parlera à propos de ce couple du manque terrible que peuvent parfois éprouver les artistes en mal de création. Elle nous faisait remarquer : « Quand tu es artiste, il te manque toujours quelque chose… tu n'es vraiment toi-même que quand tu es satisfait de ce que tu crées. C'est une sorte égoïsme. »

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