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Au-delà des identités assignées...

Au-delà des identités assignées...

     Ce nouveau livre de Mérine Céco surprend d'emblée. Son thème est, en effet, peu commun, voire même inédit, au sein de la littérature antillaise francophone : une jeune Africaine à la recherche de ses racines en...Martinique.

   D'habitude, nos romans qui traitent de la quête identitaire suivent le chemin inverse, celui qui, historiquement et culturellement, évoque la quête des origines, de l'Afrique-mère perdue ou à moitié oubliée, à cause de la Traite et de l'esclavage. Ce chemin qui nous semble le plus naturel est emprunté, par exemple, par l'héroïne de La vie sans fards de Maryse Condé. Il fallait donc une forme d'audace pour l'envisager dans le sens inverse et c'est le défi que s'est lancé l'auteur du Pays d'où l'on ne vient pas. Nous y reviendrons.

   La deuxième chose qui frappe le lecteur et qui est également rare dans notre littérature, c'est le recours à une sorte de métaphore de la situation sociale, politique et culturelle que vit la Martinique. Chez Mérine Céco, on n'est plus ni dans le monde de l'Habitation cannière, en tout cas pas directement, ni dans l'univers urbain tel que l'ont décrit les auteurs de la Créolité tels que Chamoiseau, Confiant ou Pépin. On n'est plus dans ce que l'on pourrait appeler le "réalisme socialiste antillais" qui s'emploie à mettre en scène la cruauté d'une société qui a du mal à se débarrasser des scories de la période esclavagiste à grands renforts de scènes mille fois ressassées : le coupeur de canne exploité, le Béké exploiteur, le commandeur scélérat, le vaillant insurgé nègre, l'errance dans l'En-Ville etc. Non que tout cela soit absent mais il est placé en arrière-plan, comme en toile de fond. Une toile de fond qu'il n'est plus besoin de décrire désormais. Nous y reviendrons également.

   Ces deux aspects, tous deux thématiques, sont reliés grâce à un style lui aussi nouveau, d'une sobriété qui évite la sécheresse et d'une cérébralité qui peut surprendre dans une œuvre de fiction, surtout antillaise, puisque la plupart de nos romans regorgent de personnages haut en couleurs, immédiatement identifiables dans notre quotidien, décrits à grands renforts de français local ou régional. Chose qui quelque part rassure le lecteur ! Or, Mérine Céco s'efforce au contraire de le "déranger", de le contraindre à sortir de sa zone de confort. Peu de ces expressions idiomatiques, par exemple, qui caressent le lecteur dans le sens du poil tout en ravissant le critique littéraire non-Martiniquais. Une écriture au scalpel nourrie d'une créolité discrète, sous-jacente, évidente même. Mérine Céco ne jette pas le bébé avec l'eau du bain. Post-Créolité ne signifie pas chez elle rejet ou reniement de la Créolité. Pas plus que de la Négritude et de l'Antillanité d'ailleurs.

   Fèmi, l'héroïne, est donc une jeune et belle béninoise qui n'a pas connu son père martiniquais :

   "J'avais trois ans quand mon père a décidé de rentrer dans son île. Il est parti sans rien dire à personne. Il n'est juste pas rentré du travail ce soir-là. Ma mère l'a guetté, fixant de son œil déjà embué l'intersection de la route et du chemin de latérite (que je préférais appeler "sable rouge") qui menait à sa maison. C'et la voisine qui me l'a dit. En vain. Elle ne l'a plus jamais revu."

   La jeune fille nourrira dès lors une passion dévorante pour les Antilles, surtout après avoir appris le décès de ce père qu'elle ne connaîtrait donc jamais et qui, avant de venir au Bénin où il séjournera sept années durant, avait déjà un foyer et des enfants en Martinique. Nul pathos pourtant dans cette souffrance toute en pudeur chez la narratrice qui est âgée de vingt-huit ans au moment où elle se décide à prendre la plume ! Mais la voici qui, repérée pour son talent journalistique, obtient un stage à Paris et qui se voit demander d'écrire des articles sur les populations des banlieues. A partir de ce moment-là, elle rencontrera des Antillaises et notamment une certaine Isabelle, Martiniquaise, qui lui fera part d'une information surprenante : une mystérieuse délégation a été envoyée dans le pays du père de Fèmi "pour une expérience d'envergure sur la résistance mémorielle". Or, pour certains Martiniquais, "la délégation était une sorte de Big Brother machiavélique qui utilisait  de petits cachets rose pâle pour effacer la mémoire des habitants des îles et accélérer le processus de génocide par substitution, prédit naguère par Aimé Césaire."

   Mise en contact avec des "dissidentes" martiniquaises, notamment Frida et Sonia, qui travaillent secrètement à déjouer les plans des génocidaires, Fèmi débarquera enfin sur la terre natale de son père. Celles-ci poseront alors une exigence :

   " Nous raconterions, autant que possible, cette histoire à deux voix mais à l'unisson. Nous sommes guéries des récits monolithiques, des narrateurs omniscients, des sentiers linéaires, des langues des grandes épopées. Nous voulons aussi renouer avec la tradition de nos conteurs où chacun prend la parole à tour de rôle."

   On aura compris que ce beau roman est aussi celui des femmes martiniquaises en lutte depuis des siècles face à l'oppression d'abord des maîtres, puis de leurs propres congénères masculins englués pour la plupart dans un système que beaucoup n'ont de cesse de critiquer mais dans lequel ils baignent dans une jouissance presque suicidaire. Nous n'en dirons pas davantage ! Nous préférons laisser le lecteur découvrir l'étonnante et émouvante quête identitaire de Fèmi, la Béninoise, venue apporter son appui à celles qu'elle désignent comme ses "cousines" face à une entreprise mortifère. Découvrir également les milles et unes formes de résistances inventées par les femmes martiniquaises pour arrêter la distribution des pilules rose pâle visant à gommer définitivement la mémoire de leur peuple.

    Ce n'est pas de la science-fiction mais une allégorie de l'impasse dans laquelle se trouve ce dernier, sommé qu'il est, par l'histoire de se frayer un chemin parmi une profusion d'identités souvent opposées ou contradictoires. Un très beau roman à lire toutes affaires cessantes qui démontre, si besoin en était, qu'après quatre livres de fiction, Le pays d'où l'on ne vient pas étant le cinquième, Mérine Céco est en train, dans la discrétion, de devenir une des voix majeures du versant féminin de la littérature caribéenne.

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