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Axel Gauvin ou l'écriture lointaine

Guillaume Chérel (in "L'Humanité")
Axel Gauvin ou l'écriture lointaine

Une écriture différente, un style rare, un livre fort venu de loin.

L'écrivain réunionnais Axel Gauvin (cinquante-cinq ans) publie Train fou (Éditions du Seuil), son cinquième roman en français. Rencontre sur " l'île intense ", à 10 000 kilomètres de la métropole, avec un défenseur acharné de la langue " kréole " (avec un k).

De notre envoyé spécial à la Réunion.

Avec Axel Gauvin, on ne quitte jamais vraiment la Réunion, où il est né, mais la grâce de son style donne à son récit une portée universelle. Nous l'avons rencontré dans sa maison du Tampon, située au sud de l'île, dans les " hauts ".

On connaît peu, en métropole, la littérature réunionnaise, en comparaison avec celle des Antilles...

Axel Gauvin : Les raisons sont complexes... Au contraire de nos amis kréoles de Martinique et de Guadeloupe, nous avons du mal à sortir de notre île. Ils sont très brillants, les Glissant, Chamoiseau, Confiant et quelques autres, mais ils ont bénéficié d'un phare exceptionnel comme Aimé Césaire... Il n'y a pas de jalousie à avoir. Nous créons, mais nous ne supportons pas d'être mis en avant. Daniel Vaxelaire écrit à la Réunion, mais il n'est pas réunionnais, c'est un " zoréol ". Boris Gamaleya est un poète méconnu en métropole, mais très connu chez nous. Henri Deluy a essayé de le faire publier chez POL, mais Boris Gamaleya a refusé... Il est, comme bien d'autres chez nous, à la limite du suicide.

Vous considérez-vous avant tout comme écrivain français ou " kréole " réunionnais (avec un " k ", comme dans la langue basque) ?

Axel Gauvin : Difficile à dire... J'ai davantage écrit en kréole qu'en français. Une dizaine de livres en kréole, contre cinq ou six en français. De nombreux autres écrivains réunionnais écrivent dans leur langue. Je me sens réunionnais et citoyen du monde... et fier d'être français, au regard de l'histoire et en comparaison avec d'autres peuples qui souffrent. Mes livres publiés en métropole sont écrit en français, pas en kréole, même s'il subsiste quelques mots. C'est du français émaillé de kréole. Moi, je veux écrire dans ma langue natale, mais cela pose beaucoup de problèmes... et énormément de joie aussi. J'ai des difficultés dans les deux cas, et du plaisir très différent. L'écriture en kréole exige tout un arrangement de la langue. Un des problèmes, peut-être " le " problème, c'est celui de la graphie et de l'orthographe. Quand ce problème est résolu par le lecteur non kréole, tout devient facile.

Pourquoi est-il si important d'écrire en kréole, une langue a priori plutôt faite pour l'oral ?

Axel Gauvin : On entend ça depuis un siècle !... J'y tiens comme à la prunelle de mes yeux. C'est primordial. Le kréole, en général, est bien moins pauvre que on l'imagine. Écrire en kréole, c'est aller au fond même de mon être. J'ai grandi dans cette langue-là. Dire qu'il faut l'abandonner est une hérésie ! Avec des amis professeurs, nous avons lancé deux mouvements, l'un pour l'aménagement du kréole au niveau sémantique, l'autre en ce qui concerne l'orthographe. Nous réfléchissons à une orthographe consensuelle. Il nous faut arriver à une véritable écriture qui donne en même temps la prosodie, la musique de la langue dans le texte. La promotion de la langue kréole, notre langue première, est un travail de linguiste. Tout en sachant que nous avons besoin du français évidement. Mais nous devons écrire, parler et créer en kréole tout simplement pour une question de dignité. Écrire dans sa langue, c'est se libérer, s'accepter comme on est, et dire aux autres qui veulent nous imposer leur culture : " Nous aussi nous existons et nous avons notre propre culture. " Si je n'écrivais qu'en kréole... vous ne seriez pas là. Si je n'écrivais pas aussi en kréole, ce serait accepter l'idée que nous sommes inférieurs, et ça je ne peux pas l'admettre.

Votre roman, Aimé (Seuil, 1990), a connu un large succès, et pourtant vous êtes resté discret, presque sauvage, retiré dans les " hauts ", comme on dit chez vous...

Axel Gauvin : Je suis très narcissique... comme beaucoup de créateurs. Mais j'aime vivre retiré sur mon île. J'ai davantage de relations avec des écrivains mauriciens qu'avec des français, voilà tout. La matière est riche, ici. Je suis né en 1944, au Bois-de-Nèfles Saint-Denis, dans l'école où mes parents habitaient, puisque ma mère était directrice de l'établissement. Nous vivions dans un deux-pièces, avec mes cinq frères et ma sour. Mais nous étions bien lotis par rapport aux fils de paysans du village. Mon père était communiste. Le maire étant de droite, il refusait de faire réparer le toit de l'école où nous habitions, qu'il y ait des fuites ou pas... L'école était entourée de champs de cannes, c'est ce que je raconte dans Faims d'enfance (Seuil). Je suis la troisième génération d'enseignants. Je suis issu d'un mélange, africain, européen et indien. Mais mes parents étaient catholiques, et Gauvin, c'est Breton.

Pourquoi écrivez-vous ?

Axel Gauvin : Ma passion pour la littérature vient de l'époque où ma mère nous lisait des histoires, juste après l'école. Quant à mon père, il nous lisait des textes français, notamment tiré du journal Témoignages [l'Humanité réunionnaise] - NDLR]. Il y avait des articles fameux d'un certain Henri Lapierre. Mon père reprenait ses meilleures expressions, en me disant : " Écoute comme il a dit ça. " Cela m'a donné le goût du mot. Il nous faisait davantage apprécier le style que le contenu. Mes romans sont des histoires racontées. Pour moi, un roman qui ne raconte pas n'est pas un roman. J'ai d'autres manuscrits en attente. Deux en kréole, par exemple. Ils touchent moins de lecteurs (huit cents environ...). Ce n'est pas frustrant. C'est important pour moi, je vous l'ai dit.

Dans votre nouveau roman, Train fou (Seuil), pour la première fois vous faites référence à la métropole, à Paris... Le personnage principal est un " métro ". Y a-t-il un message politique ?.

Axel Gauvin : Non, il y a un cadre social, historique et culturel. Je raconte avant tout des histoires humaines. J'aime que mes personnages soient perclus de paradoxes. Un vieux communiste peut, par certains aspects, être réactionnaire. Je n'arrive pas à accepter cette société comme elle est. Je ne tolère pas, je ne comprend pas cette " world company " qui se développe. Le monde ne doit pas être ça. Mais, par expérience, je sais que pour être membre d'un parti, il faut avoir une tête politique, avaler des couleuvres. Moi, je n'en suis pas capable. J'ai été membre du Parti communiste réunionnais. Aujourd'hui, je suis un compagnon de route... et pas devenu anticommuniste. La situation sociale est dramatique à la Réunion. Je continue, à ma façon, de défendre des idées humanistes. Les classes sociales existent. Il y a des oppresseurs et des opprimés, dans le fond rien n'a changé. C'est ma façon de lutter qui a évolué.

Propos recueillis par Guillaume Chérel.

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