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Ceci n’est pas une librairie

Par Paul Vacca
Ceci n’est pas une librairie

« L’union fait la force », dit le proverbe. C’est dans cet esprit d’union des forces et des bonnes volontés qu’Ernest publie aujourd’hui ce texte de Paul Vacca, romancier et essayiste (Dernier roman : Le Monde de Tom l’Eclair au Livre de Poche). Dans ce texte, Paul Vacca démontre comment Amazon a inventé « l’anti-librairie ».  Ce n’est pas la première fois que Paul prend position pour défendre les libraires indépendants (il a prouvé qu’à l’heure d’internet, nous avions encore besoin des librairies). Sa démarche rejoint celle d’Ernest avec son manifeste pour la lecture responsable. Ensemble, nous pouvons tout. DM.

En lançant il y a deux ans de nouveaux espaces de vente physiques dédiés aux livres sous l’appellation d’Amazon Books, la firme de Jeff Bezos a mis au point un concept totalement disruptif : l’anti-librairie.

Qu’est-ce que l’anti-librairie ? L’anti-librairie est à la librairie, ce que l’antimatière est à la matière. Son contraire absolu. Mais attention, il s’agit d’une innovation extrêmement pointue, fruit d’une réflexion en merchandising et sur l’expérience client très élaborée. Dans ces nouveaux lieux de vente, tout semble parfaitement pensé pour que l’amateur de livres y soit à coup sûr parfaitement déçu.

D’abord, dans un grand espace, l’anti-librairie propose le moins de livres possible : 3000 références au maximum, là où une librairie de la même taille serait en mesure de vous proposer 50.000 à 100.000. Surtout ne pas proposer du choix ni de la diversité au client, cela le perturbe. Préférer au contraire exposer une courte sélection de titres que l’on trouve partout dont tout le monde a entendu parler, présentée non pas sur la tranche — ce qui permettrait de gagner de la place — mais de face pour que chaque livre soit en quelque sorte sa propre tête de gondole.

Amazonbook22

C’est évidemment capital pour un lecteur de savoir que 91% des clients Amazon ont noté un livre 5 étoiles.

L’anti-librairie nous libère aussi du classique et ancestral choix par auteurs. Cela évite d’encombrer les rayons avec des livres inutiles. En effet, quel lecteur aurait l’idée saugrenue de vouloir lire le livre d’un auteur qu’il a adoré ou de s’intéresser au reste de son œuvre ?

Il est bien plus important pour les lecteurs et lectrices de savoir quels sont les «Livres ayant été notés plus de 10.000 fois sur Amazon.com », « Livres ayant été obtenu 4,8 étoiles ou plus en moyenne sur Amazon.com » mais aussi d’être guidé avec des indications aussi indispensables que les « Livres les plus lus dans votre ville » ou « Les livres que les lecteurs sur Kindle ont fini en 3 jours ou moins ». Et l’on apprend au passage que la firme lit sur votre épaule lorsque vous avez un Kindle à la main et sait quand vous vous arrêtez de lire ou le reprenez. Dommage que cette innovation n’ait pas existé du temps de Marcel Proust. Amazon aurait pu utilement apprendre à l’auteur de la Recherche du Temps perdu que ses lecteurs calaient un peu au début et qu’il aurait gagné à faire des phrases plus courtes s’il voulait être noté plus de 10.000 fois sur Amazon…

L’anti-librairie fait aussi le bonheur des enfants. Pas comme les autres en leur proposant banalement un espace dédié avec des coussins qui aurait le défaut de leur donner envie de saisir un livre et de le parcourir. Non l’enseigne fait mieux : pour ne pas les dépayser, elle leur a aménagé des petits bureaux avec des tablettes numériques dotées d’applications et de jeux-vidéos dédiés. Quant aux ados ils ont la possibilité de tester le sens de l’humour et parfois d’insulter Alexa, l’assistant vocal d’Amazon en démonstration dans le magasin.

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Ici pas question de distraire un enfant avec des livres… il faut qu’il se concentre sur des jeux vidéos

Autre point innovant : dans l’anti-librairie, plus la peine d’importuner un libraire en lui demandant un conseil pour un livre — celui-ci est occupé d’ailleurs à expliquer à un client le fonctionnement des enceintes connectées made in Amazon. L’enseigne a pris le soin de placer sous chaque ouvrage l’avis éclairé et expert d’un client Amazon — celui de Gaya ou de Polo61. Et si vous voulez d’autres avis, rien de plus simple, scannez le code barre du livre et pouvez lire toutes les critiques des clients du site. Magique, non ?

On l’aura compris, dans la rutilante enseigne lumineuse “Amazon Books”, l’important ce n’est pas “Books” évidemment, mais “Amazon”. Car dans ces lieux de vente, le livre n’est qu’un produit d’appel permettant de mettre en valeur les produits et les services de la firme. D’offrir une « expérience consommateur » : faire tester les produits technologiques mais surtout fourguer des abonnements Prime, le vecteur de fidélisation et d’addiction aux offres d’Amazon par des réductions mais aussi des séries exclusives de prestige telles que Mozart in the Jungle ou Transparent.

« Pour Amazon, le livre est un simple marchepied »

Ces magasins constituent donc une sorte d’appartement témoin de la firme numérique. Pourquoi pas ? Mais pourquoi l’avoir appelé Books alors, si ce n’est pour se donner des airs d’espace culturel ? Et de permettre de façon subtile et perverse à Jeff Bezos d’endosser les habits du chevalier blanc. Regardez, lui que l’on accuse d’avoir tué les librairies investit désormais dans les librairies ! Imparable. Certains aimeraient y voir une conversion. Mais ces magasins sont un véritable manifeste en 3D de ce que représente et a toujours représenté le livre pour Amazon : un simple marchepied.

L’amour de Jeff Bezos pour les livres est une légende construite de toute pièce. Du pur storytelling. Ou alors s’il les aime c’est parce qu’ils ont eu toujours eu l’avantage d’être moins cassables et périssables que les œufs et moins sujets à des pannes que des produits électroniques : bref, le produit idéal pour amorcer un commerce en ligne. Après l’attaque online, la guerre contre le livre s’est simplement déplacée sur le terrain. Dans les centres villes et dans les malls, luxueux si possible. Non pas par une conversion aux atouts de la librairie, mais avec des anti-librairies. Pour Bezos/Clausewitz, le brick-and-mortar ce n’est pas un revirement ni un changement de cap, c’est simplement la continuation de la politique d’Amazon par d’autres moyens.

Pour autant, face à cette offensive, une contre-attaque s’organise. Le maquis culturel. Les librairies indépendantes font mieux que résister et une nouvelle vague apparaît comme antidote à l’achat en ligne et à ses lieux aseptisés que sont les anti-librairies. D’ailleurs, les librairies qui sont mortes sont celles qui imitaient Amazon. On veut maintenent de véritables librairies pas des ersatz. Mais qu’est-ce qu’une véritable librairie? La véritable librairie est à l’anti-librairie, ce que la matière est à l’antimatière. Elle n’est pas faite d’écrans, d’algorithmes et de données. Mais de livres, d’auteurs. Et de libraires en chair, en os et en passion.

Ce texte est initialement paru dans le magazine hebdomadaire belge Trends Tendances dans lequel Paul Vacca tient une chronique.

Paul Vacca  est romancier et essayiste. Il a publié plusieurs romans : La petite cloche au son grêle, Nueva Königsberg, Le Monde de Tom l’éclair, et Au jour le jour.  Il est également l’auteur d’un essai remarquable, « la société du hold-up » sur les GAFA (Google, aMazon, Facebook, et Apple).

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