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«Césaire contre Aragon», ou la lutte contre le racisme à travers la poésie

Sarah Boumedda
«Césaire contre Aragon», ou la lutte contre le racisme à travers la poésie

Au coeur du film Césaire contre Aragon se trouve une lettre rédigée en 1955, vive dans le propos, qui déclenchera une série de bouleversements dans le monde poétique français et dans la politique d’après-guerre en France. Le film du cinéaste martiniquais Guy Deslauriers se concentre sur cette lettre et ce qu’elle provoque, mêlant littérature, politique et lutte anticoloniale.

Le documentaire sera diffusé à la Cinémathèque québécoise et suivi d’une conférence, à l’occasion de la soirée de clôture du festival Fondu au Noir. L’événement montréalais fait la promotion de la création artistique noire d’ici et d’ailleurs, soulignant par la même occasion le Mois de l’histoire des Noirs.

Césaire contre Aragon, c’est l’histoire d’une rivalité à la fois littéraire et politique entre Aimé Césaire, poète de la Martinique et député de la région à l’Assemblée nationale sous la barre du Parti communiste français, et Louis Aragon, lui aussi écrivain et membre du comité central du même parti, au milieu des années 1950.

« Très vite, un différend va apparaître entre les deux hommes », nous explique le réalisateur du film. Au sein du parti, Louis Aragon tente de donner une ligne directrice aux écrits de ses membres en espérant, par la même occasion, influencer la littérature française de façon globale. « C’est une position, une vision de la littérature qui [prône] le retour à la littérature traditionnelle telle qu’elle s’est pratiquée pendant des siècles. »

Aimé Césaire s’y oppose, et la tension monte entre les deux poètes. Mais lorsque René Depestre, écrivain d’Haïti, communiste et proche de Césaire, publie dans Les lettres françaises une correspondance favorable à la proposition d’Aragon, Césaire réagit. « C’est ce qui va déclencher l’écriture de cette fameuse lettre de Césaire à Depestre, mais qui est en réalité destinée à Aragon. C’est une lettre qui cristallise cette opposition, cette différence entre les deux hommes. »

Photo: Universal Photo/SIPA

L’écrivain Aimé Césaire en compagnie de la chanteuse et poète créole Moune de Rivel, France, 1957

Dominance et colonialisme

Cette lettre devient alors l’élément déclencheur d’une opposition publique entre les cercles de Césaire et d’Aragon, leur dispute maintenant dévoilée au grand jour. Les écrivains du parti et d’ailleurs prennent position — et la position de Césaire rassemble peu à peu une multitude d’écrivains des Caraïbes, des Amériques et de l’Afrique, entre autres.

« Le glissement du différend du terrain poétique au terrain politique va se faire à ce moment-là, c’est-à-dire au moment où des écrivains noirs vont prendre pour Aimé Césaire, et cela va également déclencher un mouvement politique. En toile de fond et en supposition, il y a le fait que certains d’entre eux pensent que la volonté d’Aragon d’imposer une forme de littérature à Aimé Césaire n’est rien d’autre qu’une forme de domination à la fois politique et coloniale », explique Guy Deslauriers.

Il n’est pas anodin que cette lettre — et le militantisme politique qui en découle — soit le thème principal de Césaire contre Aragon. Ce moment de la vie du poète martiniquais se devait d’être partagé, selon le cinéaste, avec l’avis de son partenaire scénariste Patrick Chamoiseau. « En passant en revue toute la vie littéraire et politique d’Aimé Césaire, on est tombés sur ce moment-là, dont on s’est rendu compte qu’il a été très peu évoqué, ou peu développé, explique Guy Deslauriers. Nous avons trouvé là une belle occasion d’explorer ce moment de la vie d’Aimé Césaire que personne ne connaissait jusqu’à présent. »

Cette histoire de combat contre une dominance culturelle aux accents coloniaux est loin d’être révolue. « C’est une histoire qui, aujourd’hui encore, a des échos extrêmement forts et qui reflète une réalité qui vaut encore. Les écrivains, les créateurs — et surtout lorsqu’ils viennent de ces régions qu’on a du mal à pointer sur une carte géographique —, ces personnes sont confrontées à une domination intellectuelle, culturelle ou d’ordre politique. Il nous semblait que ce combat d’Aimé Césaire, qu’il a mené dans les années 1950, n’avait pas pris une seule ride. »

C’est une histoire qui, aujourd’hui encore, a des échos extrêmement forts et qui reflète une réalité qui vaut encore. Les écrivains, les créateurs, ces personnes sont confrontées à une domination intellectuelle, culturelle ou d’ordre politique — Guy Deslauriers

De telles histoires, mettant en scène et détaillant ce que c’est que d’être un Noir en Occident comme ailleurs, prennent diverses formes dans plusieurs des autres projections et conférences au festival Fondu au Noir. Leur importance n’a pas faibli non plus depuis l’époque de Césaire.

« Il me semble qu’on ne cessera, qu’on ne dira, qu’on ne racontera jamais suffisamment les histoires de tous ces combats qui ont été menés, de manière anonyme ou non, quel que fût leur aboutissement. Que cela fût un succès ou un échec, ce qui est important, c’est que le combat a été mené », ajoute le cinéaste.

D’autant plus que n’importe qui — Noir ou pas — peut se reconnaître et apprendre de ce refus de la domination, pense Guy Deslauriers. « Le combat qu’Aimé Césaire a mené face au titanesque Parti communiste français, cette histoire de combat au départ solitaire mais qui devint ensuite celui de nombreux écrivains et intellectuels noirs, ce combat est valable pour tous. C’est un combat dans lequel des personnes qui ne sont pas forcément noires peuvent se retrouver. Là me semble être l’intérêt de ce type d’histoire »

https://youtu.be/dqY-clSL6bo

 

Post-scriptum: 
Photo : Kreyolimages Une scène du film «Césaire contre Aragon», du cinéaste martiniquais Guy Deslauriers

Commentaires

Frédéric C. | 02/05/2020 - 22:13 :
J'espère qu'on pourra vite trouver ce film en DVD (YouTube ce serait du pillage). Cela nous permettra de faire le lien avec le "fraternalisme" paternaliste du PCF évoqué par Césaire dans sa "Lettre à Maurice Thorez", avec corréler aussi avec le comportement colonial-de-gauche du PCF à partir de la fin des années 1930, qu'Ho-Chi-Minh lui même dénonçait dans le Komintern (cf aussi "Le PCF et la question coloniale" de Jacob Moneta, Maspero, 1971) . Même si Césaire s'est parfois trompé, et a parfois faibli (flou sur la question nationale et statutaire, ambigüités souvent, grosse faiblesse [euphémisme] avec son moratoire, comme le révélera P.Aliker en 1987), il a dû lui falloir un sacré courage pour affronter cela tout seul au départ, en sachant à quoi il devait s'attendre avec le "petit Marquis Aragon" et une grosse franchouillardise derrière. Sachant qu'il a dû bien se faire insulter par des députés "bien Blancs bien racistes" à l'Assemblée Nationale. Il devait mener tout çà de front. Et il a osé! Chapeau quand même, malgré tout le reste! Malgré tout ce qu'on a pu dire, ce n'était pas un "Oncle Tom" ni un "Blaise Diagne"...

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