(DISCOURS PRONONCE AU SALON INTERNATIONAL DU LIVRE DE QUEBEC LE 18 AVRIL 2008)
{« Et puis ces détonations de bambous annonçant sans répit}
_ {une nouvelle dont on ne saisit rien sur le coup}
_ {sinon le coup au coeur que je ne connais que trop… »}
Lorsque celui qui s’en va est une magnificence, ce n’est pas un abîme qui se creuse mais un sommet qui se dévoile. Confrontée à certaines existences, la mort n’est qu’un révélateur, et c’est sa seule victoire. Le silence de Césaire s’est soudain rempli du verbe de Césaire, de ses armes miraculeuses, de ses combats, de ses lucidités et de ses clairvoyances. De son amertume aussi. « Regarde basilic, le briseur de regard aujourd’hui te regarde ». La mort n’est ici qu’une paupière brutale, écarquillée sur une splendeur qui ne frémit même pas. Soudain total, un monde se dégage des cécités du petit ordinaire de la vie.
La mort n’est pas la seule à se voir désemparée en face d’une telle présence que l’absence renforce. C’est toute parole, toute célébration, toute explication, qui, à l’amorce même de leur profération, s’écroulent au dérisoire. Ici le seul avocat, le seul rempart contre les bêtises hostiles ou bienveillantes : c’est l’œuvre. L’œuvre dans son infinie clameur qui nous incline d’abord vers le silence. C’est ne rien savoir de l’œuvre de Césaire que de la penser soucieuse d’être défendue, célébrée, avivée. Elle est là. Elle irrigue non seulement notre esprit, mais notre rapport au monde, mais les combats que nous menons, et dans lesquels nous recherchons encore la plus juste posture.
Alors, d’où vient ma peine à l’instant de la disparition ? Pourquoi l’œuvre qui m’habite et que j’habite (avec le sentiment de n’être qu’un clandestin dans un immense palais) ne suffit-elle pas à compenser ce sentiment d’une perte irrémédiable ? Pourquoi moi, fils bâtard, qui me suis toujours tenu loin de sa politique, éprouvai-je cette brusque fragilité sous ce « bruit de larmes qui tâtonne vers l’aile immense des paupières ? » (...)
{{Patrick Chamoiseau}}
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