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Congo-Métis: l'Etat belge assigné pour crimes contre l'humanité

Thierry Fiorilli
Congo-Métis: l'Etat belge assigné pour crimes contre l'humanité

Cinq femmes nées de père blanc et de mère noire, au Congo, durant la colonisation, saisissent la justice contre la Belgique. Parce qu'elles ont été enlevées toutes petites à leur famille, placées de force dans une mission catholique au Kasai et abandonnées au moment de l'évacuation des soeurs juste après l'indépendance. Une information du Vif/L'Express, du Soir et la RTBF.

Congo-Métis: l'Etat belge assigné pour crimes contre l'humanité

Simone, Noëlle, Monique et Léa (de g. à dr.) et Marie-José (photo de dr.) assignent l'Etat belge. © ERIC HERCHAFT/REPORTERS/DR

Le 4 avril 2019, au Parlement, Charles Michel présentait des excuses " aux Métis issus de la colonisation belge et à leurs familles ", reconnaissant " la ségrégation ciblée dont [ils] ont été victimes sous l'administration coloniale du Congo belge et du Ruanda-Urundi jusqu'en 1962 et à la suite de la décolonisation, ainsi que la politique d'enlèvements forcés y afférente ". L'alors Premier ministre disait espérer que " ce moment solennel soit une étape supplémentaire vers une prise de conscience de cette partie de notre histoire nationale ". Cinq femmes, aujourd'hui septuagénaires, nées au Congo colonisé, de pères blancs et de mères noires, ont décidé d'accélérer le processus : elles assignent l'Etat belge pour crimes contre l'humanité (imprescriptibles depuis 1968), révèlent Le Vif/L'Express, Le Soir et la RTBF.

"Pour qu'il y ait transmission, les choses doivent être reconnues et nommées telles qu'elles sont." Michèle Hirsch, avocate des parties citantes

Léa Tavares Mujinga, Monique Bitu Bingi, Noëlle Verbeeken, Simone Ngalula et Marie-José Loshi, résidant aujourd'hui en Belgique ou en France et en ayant la nationalité, reprochent à la Belgique l'enlèvement systématique des enfants métis, de 1911 à 1960 ; l'abandon d'une soixantaine d'entre eux (dont elles cinq) placés dans la mission catholique belge de Katende (Kasaï) au moment de l'évacuation vers la Belgique des religieuses, juste après l'indépendance du Congo; les conséquences (abus sexuels, attouchements et viols) de cet abandon pour certaines de ces enfants (dont elles cinq).

" Il faut une loi de réparation "

L'assignation, déposée ce 24 juin devant le tribunal de première instance de Bruxelles, précise que les parties citantes ont été " privées du jour au lendemain de leur mère, de leurs proches, de leur famille ; de nourriture convenable et des soins les plus élémentaires ; déracinées de leur propre culture, de leurs origines ; privées d'identité ; parfois victimes de mauvais traitements, de violences, d'abus sexuels et de viols. L'Etat belge les a privées de toute possibilité de facto de revendiquer un lien juridique avec leur famille (droit à des aliments, possibilité d'hériter). Des vies volées, pour l'unique raison d'être nées métisses. Le résultat de la politique généralisée et systématique d'enlèvements forcés décidée et mise en oeuvre par l'Etat belge avec le concours de l'Eglise. "

Les cinq femmes, âgées de 2 à 4 ans lorsqu'elles ont été arrachées à leur famille ( lire leur récit page 54), sont défendues par les avocats Michèle Hirsch, Sophie Colmant, Jehosheba Bennett et Christophe Marchand. Elles se basent sur l'article 136ter du Code pénal : " Le crime contre l'humanité s'entend de l'un des actes commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque : réduction en esclavage, déportation ou transfert forcé, emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique, torture, viol, esclavage sexuel, persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste... "

Léa, Monique, Simone, Marie-José et Noëlle entourées de leur groupe de filles à Katende. La plupart d'entre elles sont aujourd'hui décédées., DR

Léa, Monique, Simone, Marie-José et Noëlle entourées de leur groupe de filles à Katende. La plupart d'entre elles sont aujourd'hui décédées. © DR

Les faits reprochés à la Belgique relèvent " d'une violence extrême, sur la base de lois raciales, assène Michèle Hirsch. L'Etat belge a refusé aux métis l'accès à leur identité. Il a refusé de reconnaître leur existence. Il faut une loi de réparation et d'indemnisation. Pour qu'il y ait transmission, les choses doivent être reconnues et nommées telles qu'elles sont : crimes de déni, crimes raciaux, crimes contre l'humanité ". Léa Tavares Mujinga, Monique Bitu Bingi, Noëlle Verbeeken, Simone Ngalula et Marie-José Loshi réclament chacune 50 000 euros et la désignation d'un expert chargé d'évaluer le préjudice moral qu'elles ont subi, " le montant de ce préjudice devant être augmenté des intérêts au taux légal depuis le jour de leur enlèvement respectif ".

" Un véritable rapt organisé "

Le 7 février 2018, devant la commission des Relations extérieures de la Chambre, Assumani Budagwa, auteur du livre Noirs-Blancs-Métis : la Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi (1908-1960) (2014), expliquait que " dès 1911, l'Etat colonial est invité à appliquer aux métis le décret du 12 juillet 1890, qui concernait la protection des enfants abandonnés, orphelins, délaissés, trouvés, dont la tutelle était déférée à l'Etat ; et le décret du 4 mars 1892, qui autorisait les associations philanthropiques et religieuses à recueillir, dans les colonies agricoles et professionnelles qu'elles dirigeaient, les enfants indigènes dont la loi avait déféré la tutelle à l'Etat. L'application de ces deux décrets légalisa l'acheminement et le confinement des métis dans des asiles philanthropiques, des orphelinats et autres lieux similaires par le recours à la force, aux menaces ou à la séduction, sans qu'ils ne répondent aux critères pourtant bien définis d'enfants abandonnés, délaissés, orphelins ou trouvés. Un véritable rapt fut organisé, couvert par le poids de l'Etat conjugué à la toute-puissance de l'Eglise catholique et des missions protestantes. Les fonctionnaires reçurent des instructions pour l'exécuter. "

"Ce crime ne s'efface pas"

Assumani Budagwa concluait en " évoquant une parole très forte entendue au Sénat de la part de l'ancien commissaire européen Louis Michel : ''Les autorités belges et institutionnelles de l'époque ont privé les métis de l'assurance de leur identité, de la reconnaissance de leurs valeurs. Les enfants arrachés à leur mère, à leur famille, coupés de leurs racines, de leur histoire, de leur liberté, de leur personnalité, de leur culture... Ce crime ne s'efface pas. C'est un crime contre l'homme et, au-delà, contre l'humanité toute entière.'' "

Devant la même commission, l'historienne Sarah Heynssens (UGent) rappelait qu'en 1948, " l'Etat belge recensait un total de 4 056 métis sur le territoire colonisé. Un peu plus de 16 % ont été reconnus par leur père. Les estimations du nombre total de métis au Congo belge varient de 1 000 à 12 000 enfants. Mais un deuxième recensement officiel n'a jamais été organisé. "

La décision du tribunal n'est pas attendue avant deux ans. Elle constituera en tout cas la dernière étape vers " une prise de conscience de cette partie de notre histoire nationale ".

Thierry Fiorilli et Hadja Lahbib

 

Post-scriptum: 
Simone, Noëlle, Monique et Léa (de g. à dr.) et Marie-José (photo de dr.) assignent l'Etat belge. © ERIC HERCHAFT/REPORTERS/DR

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