La passe d’armes par médias interposés (ici, reportage de Via-ATV et là, Facebook live) entre Catherine Conconne, sénatrice de la Martinique, et une grand-mère martiniquaise exaspérée à propos de la vaccination obligatoire promue par le président de la République française, Emmanuel Macron, paraît être l’illustration parfaite du décalage voire de la rupture entre une certaine classe politique déconnectée et la grande majorité des martiniquaises et des martiniquais.
Rupture dans le fond et dans la forme.
D’une part, dans le fond :
D’autre part, dans la forme :
Si, on peut déplorer –à tort ou à raison– que la langue créole ne serve, une fois de plus, qu’à l’injure, mais « lè dlo dépasé farin », quand acculé-e-s à l’extrême de notre humanité, que nous reste-t-il ? Sinon la purgation jubilatoire par le juron pour demeurer femme ou homme debout.
Cependant, ce refus de la vaccination obligatoire et du Pass sanitaire, qui se retrouve chez bon nombre de martiniquaises et de martiniquais, quoiqu’en pense la sénatrice, s’explique rationnellement.
Comment ne pas comprendre leur réticence et leur rejet lorsque l’arrivée de ce « vaccin » fut annoncée dans les eaux troubles de ce qui ressemble à de la propagande de la pire espèce ? Aujourd’hui, les sources d’information sont plurielles : on ne s’abreuve plus, depuis l’avènement des nouvelles technologies, à la seule presse mainstream, Martinique la 1ère, Via-ATV, France-Antilles, BFM-TV, C-News, Le Monde, pour ne citer que ceux-là. Notre connaissance des grands bouleversements du monde et la découverte d’informations longtemps dissimulées se font, désormais, via les blogs privés (Montray-Kréyol, Bondamanjak, Free Pawol …), les réseaux sociaux, et ce, malgré la distance critique qu’on est en droit de garder vis-à-vis de ces derniers. Paradoxalement, c’est un peu grâce ou à cause de ce nécessaire recul à observer, que nous avons appris à décrypter la presse traditionnelle. Le détour par les réseaux sociaux
-sans en faire l’alpha et l’oméga non plus– (outre le recours aux livres) devient désormais la démarche quasi obligée dans une consommation autre des infos. Le rituel du journal télévisé de 19h ou du 20h n’est pas d’actualité ainsi que les expressions telles que : « Man wè’y latélé ! », « I té matjé adan gran-jounal-la ! Kidonk sa vré. ». Tant mieux. La culture de la source « Ki koté ou tann sa ? Ki koté ou wè sa ? » pour valider ou invalider une info devient réflexe dans la réception d’une nouvelle. On ne s’en plaindra pas.
L’idée longtemps répandue, selon laquelle la curiosité intellectuelle s’émousse chez les utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux –jeunes comme moins jeunes d’ailleurs– reçoit un sérieux démenti en cette période de « pandémie ». Des expert-e-s, des immunologues, des virologues autoproclamé-e-s ou payé-e-s par les grandes firmes pharmaceutiques ou relayant, tout simplement, en « chiens de garde », la voix du Pouvoir politique ou économique, sont légion sur les plateaux des grandes chaines. Cette engeance qui se retrouve, également, sur les écrans digitaux, ne reçoit en direct aucune contradiction. A la différence de Facebook ou WhatsApp, qui sont des lieux d’âpres empoignades où l’apprentissage du débat emprunte souvent des voies inédites quand elles ne sont pas tout bonnement iconoclastes, en dépit de l’anathème du complotisme.
Comment ne pas comprendre la réticence à l’encontre du « vaccin » et le rejet du Pass sanitaire lorsqu’on parcourt l’histoire récente de la Martinique ? Le scandale du Chlordécone laisse dans nos chairs, dans nos mémoires, traces amèrement mortifères de l’incurie et du mépris de l’Etat français, comme de ses affidés, devant nos souffrances et notre légitime demande de réparation. Hier, aucune considération pour notre santé et aujourd’hui, brusquement, mise en place de tout un appareillage (répressif !) afin de « sauvegarder notre santé » !
Se pose néanmoins la cruciale question de la tolérance au sein de la population martiniquaise entre ces deux franges opposées quant à sa relation à la vaccination obligatoire, condamnées, malgré tout, à vivre sur un même territoire. Que faire ? Trouver coûte que coûte un modus vivendi privilégiant les Humanités en marge des diktats élyséens, et, en fuyant un moment les écrans, oser la réalité à travers des alternatives qui fassent émerger la Créativité tout azimut dans la Résistance. Ay di yo, sa fèb !
Considérations à peine générales sur une confrontation pas seulement verbale, Juillet 2021, Serghe Kéclard.
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