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COUP DE FROID SUR FRANCE-ANTILLES

Yves-Léopold Monthieux
COUP DE FROID SUR FRANCE-ANTILLES

Deux figures emblématiques de la presse martiniquaise sont en proie à des difficultés : une télévision privée et l’unique quotidien du département. Arrêtons-nous au second, le journal France-Antilles, qui a publié en début d’années un numéro spécial reproduisant un certain nombre de ses unes parues au cours des 50 dernières années d’actualités de la Martinique. L’ouvrage met en évidence certains repères de la vie martiniquaise au cours de cette période et évoque pour la plupart des Martiniquais une part d’eux-mêmes. 

Des sociologues pourraient s’emparer de cette mine d’informations pour mener une étude approfondie sur l’évolution de la société martiniquaise. A cette fin, je ne connais pas de meilleure source que France-Antilles. C’est le sentiment que j’ai notamment éprouvé en consultant quelques numéros du quotidien à la direction des Archives départementales. Des titres accrocheurs m’ont parfois dévié de l’objet de mes recherches du moment. Ainsi, la rubrique « petites annonces » permettrait de réaliser une étude sur l’évolution de la population ancillaire qui a connu un véritable pic au cours des années 1960 - 1970. Cette activité qui n’était pratiquement jamais déclarée à la Sécurité sociale constituait souvent l’alternative au BUMIDOM pour une population souvent méprisée. On se souvient de cette chanson du carnaval martiniquais sur les servantes. Ces anciennes « bonnes » forment aujourd’hui l’essentiel des laissés pour comptes de la retraite. Il y a de quoi faire pour un sociologue.

Mais la réflexion peut-être poussée en d’autres directions. On sait que France-Antilles a bénéficié de la diffusion la plus large possible à travers le département, si bien que chaque Martiniquais a pu pendant des décennies se procurer son journal chez le commerçant le plus proche de son domicile, même dans les quartiers les plus reculés de l’île. Une lecture quotidienne aussi largement répandue n’a pas pu être sans importance dans la lutte contre l’illettrisme. Sachant que la plupart des illettrés le sont parce qu’ils ont cessé de lire après leur scolarité, France-Antilles a été sans doute le meilleur et souvent le seul moyen de donner une suite utile à l’apprentissage de la lecture à l’école.

Le quolibet de l’opposition de l’époque lui a longtemps collé à la peau : « France menti ». L’absence de concurrence a beaucoup contribué au sentiment que le France-Antilles véhicule la parole officielle. N’a-t-il pas été installé dans les locaux ayant appartenu à feue l’Imprimerie officielle ? La direction a toujours été consciente de son pouvoir et le montre. Ainsi Robert Hersant avait refusé l’accès du quotidien à une personnalité politique de droite candidat à une élection à Fort-de-France. Motif : celui-ci n’avait pas répondu à l’invitation qui lui avait été adressée afin de participer à la fête organisée à la gloire du quotidien.

La création d’un journal moderne avait relevé de la volonté du général de Gaulle, président de la République. Robert Hersant avait été missionné à cette fin. Quotidien de droite, lorsque le vent politique a tourné, France-Antilles a viré de bord, comme tout le monde. Cependant il a réussi à assurer dans ses colonnes un minimum de pluralité. C’est que dans l’intervalle le patron de presse est devenu bien plus un vendeur de papier qu’un faiseur d’opinion. Curieusement ce travers lié au seul intérêt financier du magnat a peut-être permis au quotidien de diversifier le contenu de ses colonnes.

Aujourd’hui, comme toute la presse française et internationale France-Antilles traverse des difficultés. En dépit de tout ce qui peut lui être reproché, y compris par celui qui écrit ces lignes, on ne peut pas imaginer la disparition de cette institution qui présente un intérêt proche de celui du service public. Aussi il  faudrait veiller à la conservation de ce patrimoine et à ce que certaines parutions ne disparaissent pas.

L’une des unes reproduites par le « collector » concerne le passage à la Martinique de l’épouse du président Giscard d’Estaing. J’ai été surpris qu’on n’ait pas retenu, de préférence, la visite officielle du président de la République, lui-même, fin décembre 1974. Sauf que j’ai noté récemment, au cours d’une visite aux Archives départementales, que le numéro du quotidien relatant cette visite ne figure pas dans les liasses mises à la disposition des lecteurs. Coïncidence troublante, il est également introuvable à la Bibliothèque Schoelcher. France-Antilles avait publié ce jour-là, en couverture, plusieurs articles avec, en gros caractères, l’évaluation de la foule venue accueillir le président de la République, la veille, sur la Savane de Fort-de-France : 50 000 manifestants. On se souvient que dans la soirée la fête s’était gâchée, le président n’ayant pas pu se rendre à la visite prévue à l’hôtel de ville. Ce fut le début d’une controverse politique et d’un désamour entre Giscard et le Parti progressiste martiniquais, dont les tenants et aboutissants sont encore mal établis.

On n’ose croire que la disparition du numéro manquant ait un rapport avec cette controverse. Quoi qu’il en soit, il ne paraît pas impossible de retrouver ce numéro dans quelque bibliothèque publique ou privée, et de le mettre, dans l’intérêt de l’histoire et de la recherche, à la place qui lui convient aux Archives départementales. Un appel à détenteur adressé dans les colonnes du quotidien y pourvoirait.

Yves-Léopold Monthieux, le 5 octobre 2014

 

 

 

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