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« De Panama à la Guadeloupe, la vie de Dubail ELISA »

Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES
« De Panama à la Guadeloupe, la vie de Dubail ELISA »

Le canal de Panama a été construit, il y a 100 ans, en grande partie grâce à l’exploitation de travailleurs caribéens, notamment de Guadeloupéens. Beaucoup sont morts sur ce chantier monstrueux, beaucoup par la suite se sont intégrés dans la société panaméenne. Mais certains nés à Panama en sont revenus. C’est le cas de Dubail ELISA, dont la mémoire est aujourd’hui sauve grâce à son biographe Ary BROUSILLON.

Dubail Elisa, mort à Petit-Bourg, en 1988, était un homme de conviction, à la fois chrétien et communiste. Il  a consacré sa vie à défendre les opprimés.

Son père Léonard Elisa, charpentier de marine avait quitté son pays pour le Panama où étaient recrutés par milliers, et en ratissant large, des Antillais (Ouvriers agricoles, chômeurs, voire même repris de justice) chargés de creuser, au beau milieu du continent américain, un canal entre l’océan Pacifique et l’océan Atlantique. Les Guadeloupéens entassés dans les cales des navires Ancon et Lavalley, surveillés par des gardes armés, imaginaient voguer vers l’Eldorado. Ils espéraient un logement, des soins médicaux, un bon salaire, le prix du voyage leur étant avancé… Dés le débarquement à Colon, une ville sale et malodorante, les difficultés avaient surgi, à commencer par une discrimination fondée sur la nationalité et sur la couleur. Pour le même  travail, les ouvriers blancs américains touchaient trois fois plus que les Guadeloupéens et couchaient non pas dans des dortoirs mais dans des zones protégées « Only for white ! » Les engagés souffraient mille maux à dynamiter et creuser le canal, nombreux étaient ceux qui y laissaient leur vie. Léonard, quant à lui, solide jeune homme de 25 ans, participait  aux luttes et aux grèves  menées par les communistes panaméens. Par ailleurs, il avait rencontré la belle Paulimie Edwige, une couturière martiniquaise d’ascendance japonaise par son père, qui confectionnait les vêtements de travail des Américains. Ils s’étaient mis en ménage. Le 11 décembre 1917, un fils avait vu le jour, prénommé Dubail. Le creusement du canal achevé, Léonard avait cherché à s’intégrer dans la société panaméenne mais las d’être exploité, il était rentré en Guadeloupe.

C’est ainsi que le Guadeloupéen Dubail Elisa, né au Panama, et ayant de qui tenir, sera ouvrier à l’usine de Roujol. C’est là qu’il fera aboutir sa première revendication syndicale en obtenant que les apprentis comme lui soient payés, il a 19 ans. En 1944, il entre au parti communiste. Dubail n’épargne pas ses forces dans le combat politique et il se distingue notamment en vendant le journal de son parti. Devant sa porte trône un tableau noir sur lequel il consigne toutes les informations utiles à la population. Dubail a du bagout et une volonté farouche de dénoncer les abus et injustices. Rien ne l’arrête, ni les quolibets, ni les paroles méprisantes, ni les menaces parfois mises à exécution par les usiniers de lui faire perdre son travail, ni les discriminations dont l’Eglise fera preuve à l’égard de sa famille. Par exemple, le prêtre refusera un enterrement chrétien à son épouse Gertrude, décédée en couches, alors que la malheureuse, très croyante,  ne se préoccupait même pas de politique. En 1946, il est embauché à l’usine de La Retraite, où il intensifiera sa lutte orchestrant victorieusement sept grèves, ce qui lui vaudra  en 1954, d’être choisi comme candidat du PC aux cantonales. Mais l’usine ferme en 1950 afin, dit Monsieur Dubail Elisa, de tuer le syndicat. Et le militant de raconter à Ary Broussillon ses difficultés à retrouver un travail pour nourrir sa famille. « Partout où j’allais solliciter un emploi, on me chassait parce que j’étais communiste. C’était comme si j’avais la lèpre ou une quelconque maladie contagieuse. Quand j’avais la chance de trouver quelque chose, les Blancs de l’usine et les Nègres anticommunistes passaient dire : Fouté’y déwò, sé on kominis ! Mais j’avais une foi inébranlable, communiste et chrétienne : je me battais pour ma classe et pour mes frères. Pas question de mollir. On pouvait me priver de tout sauf de ma dignité. » Alors Dubail se fait boulanger ; Gertrude vend le pain à des clients « pwofitan » qui ne la paient pas; ils estiment en effet qu’en tant que communiste son mari doit donner le produit de son travail gratuitement, comme si lui et les siens vivaient de l’air du temps. Capable de faire un esclandre à tout moment et en tout lieu, Dubail Elisa, ce Guadeloupéen né à Panama, passait aux yeux de certains pour fou ; sans doute l’était-il un peu comme le sont souvent, avec une certaine fierté, les personnes entières et intègres qui comprennent mal que les autres ne soient pas comme eux.

 

    Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

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