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Des fortunes algériennes trouvent refuge au Canada

Fabien Deglise
Des fortunes algériennes trouvent refuge au Canada

La crise politique et sociale qui frappe l’Algérie depuis le 22 février dernier se fait sentir jusqu’au Canada où, depuis le début de l’année, les transferts de capitaux en provenance de ce pays d’Afrique du Nord sont en forte croissance par rapport aux années précédentes, a constaté Le Devoir.

La préparation à l’exil d’une classe dirigeante confrontée à la contestation populaire en cours expliquerait en partie cette hausse qui inquiète toutefois plusieurs membres de la diaspora : ils craignent que ces transferts ne servent à blanchir de l’argent mal acquis sur le territoire canadien, alors qu’une campagne anticorruption cible plusieurs hauts dirigeants actuellement en Algérie.

Entre janvier et juillet 2019, plus de 78,6 millions $ ont été envoyés au Canada depuis l’Algérie, selon des chiffres obtenus auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, qui surveille les télévirements de fonds de plus de 10 000 $ en provenance de l’étranger. Pour les sept premiers mois de l’année, il s’agit de 10 millions de plus que pour l’année 2018 complète, mais également d’une croissance de 50 % des transferts par rapport à 2017. Cette année-là, 52 millions de dollars avaient été transférés au Canada depuis des institutions bancaires algériennes.

En période de crise, les transferts d’argent d’un pays vers un autre s’accentuent, c’est toujours le cas

— Jean-Pierre Vidal

Signe d’une certaine fébrilité, la valeur moyenne des transferts a également explosé en 2019, pour atteindre 405 195 $ par transaction déclarée, contre 187 900 $ et 157 857 $ respectivement en 2018 et 2017. Ce montant représente plus de 26 fois le PIB par habitant en Algérie en 2018, confirmant ainsi que ces transferts sont orchestrés principalement par les plus grosses fortunes du pays. Le Québec est le principal point d’entrée de cet argent. La diaspora algérienne au Canada y est particulièrement bien établie.

« En période de crise, les transferts d’argent d’un pays vers un autre s’accentuent, c’est toujours le cas, résume Jean-Pierre Vidal, professeur de fiscalité internationale à HEC Montréal. Il s’agit d’argent de dirigeants, de compagnies ou de particuliers qui, craignant la chute de la devise nationale, cherchent à protéger la valeur de leurs avoirs dans une monnaie plus forte et plus stable. »

Cette augmentation des transferts de capitaux algériens au Canada accompagne l’incertitude qui prévaut en Algérie depuis le 22 février dernier et le début de l’« Hirak », ce mouvement populaire spontané, lancé par la jeunesse, qui réclame le départ des dirigeants algériens actuels, la fin du régime cacique autoritaire et militaire en place et surtout la construction d’une nouvelle Algérie, démocratique et ouverte sur le monde.

La pression populaire, en forçant le retrait de la vie politique de l’ancien président qui souhaitait se présenter pour un cinquième mandat, malgré sa léthargie induite par un accident cardiovasculaire subi en 2013, a également déclenché une vaste campagne anticorruption. Depuis avril dernier, cette chasse aux corrompus cible plusieurs membres et proches des gouvernements d’Abdelaziz Bouteflika des 20 dernières années et grosses fortunes du pays, dont l’ancien ministre de la Justice et garde des Sceaux Tayeb Louh, l’ancien préfet d’Oran et ex-directeur de la campagne de Bouteflika en 2019, Abdelghani Zaâlane, ou encore l’ancien ministre de l’Énergie Chakib Khelil, placé en détention provisoire ou poursuivi dans des affaires de corruption, de dilapidation de fonds publics ou d’infraction à la législation et à la réglementation en matière de mouvements de capitaux vers l’étranger.

Une brochette d’entrepreneurs influents ont également été conduits devant les tribunaux : le bonze des travaux publics et ex-président du Forum des chefs d’entreprise d’Algérie Ali Haddad, le géant de l’industrie du transport Mahieddine Tahkout ou encore le président du groupe Condor, spécialiste des télécommunications, Abderrahmane Benhamadi. Ce groupe vend des téléphones mobiles et d’autres produits électroniques aux Algériens avec un nouveau slogan depuis 2015 : « Prenez votre envol. »

En juin dernier, le député du Nouveau Parti démocratique Pierre-Luc Dusseault, alerté par un citoyen d’origine algérienne vivant dans sa circonscription de Sherbrooke, a écrit au ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, pour l’informer de la hausse de ces transferts provenant d’Algérie et pour l’inciter à la plus grande vigilance devant l’augmentation du montant des opérations financières de l’Algérie vers le Canada. « Ces mouvements financiers sont majoritairement faits par la classe politique et dirigeante algérienne actuelle, qui se prépare à un exil imminent », écrit-il dans sa lettre, dont Le Devoir a obtenu copie. « Le peuple algérien est inquiet que le départ du gouvernement et de ses dirigeants se fasse en amenant avec eux […] des fonds publics dilapidés […]. Ces dirigeants corrompus ne devraient pas pouvoir trouver un refuge au Canada pour ces fonds illégitimes. »

Les mouvements d’argent depuis l’Algérie sont également en croissance depuis le début de l’année vers d’autres pays, dont la France, la Belgique et la Suisse, où le blanchiment de ces sommes issues possiblement de la corruption passerait principalement par des transactions immobilières. Au Canada, les opérations douteuses dans le domaine de l’immobilier font l’objet d’une surveillance particulière, souligne le ministre des Finances, sans plus de détails, puisque les déclarations de transactions immobilières suspectes ne sont pas rendues publiques.

Les crises qui touchent le pays depuis plusieurs années s’accompagnent immanquablement d’une augmentation des transferts d’argent des citoyens riches vers l’étranger. Ainsi, en 2015, alors que le pays faisait face à une crise économique et politique provoquée par la chute du prix du pétrole, un secteur vital de son économie, plus de 151 millions de dollars ont été transférés au Canada depuis l’Algérie. Le montant moyen des transactions était alors de 374 000 $, soit 30 000 $ de moins qu’en 2019.

Le mouvement populaire qui ébranle le pouvoir algérien avec des manifestations pacifiques qui font descendre des millions d’Algériens dans les rues chaque vendredi entre dans sa 29e semaine, sans qu’un dénouement soit proche. Lundi, le chef de l’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, l’homme fort du pays depuis la chute de Bouteflika, a annoncé que des élections se tiendront d’ici la fin de l’année. Il prévoit d’ailleurs la convocation du corps électoral le 15 septembre prochain afin de mettre en marche le processus. Une idée largement rejetée par la rue qui, avant toute nouvelle élection, réclame surtout la rédaction d’une nouvelle constitution pour le pays ou bien l’établissement d’un cadre légal instaurant un véritable État de droit dans le pays.

L’Algérie s’enfonce dans l’instabilité politique, économique et sociale depuis que les élections du 4 juillet ont été reportées sans date précise par le Conseil constitutionnel, les mouvements d’opposition ayant refusé d’y prendre part en raison du cadre toujours construit à la faveur du régime en place.

Post-scriptum: 
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les manifestations du vendredi en Algérie ont entraîné le départ du pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika et déclenché une campagne contre la corruption.

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