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DYLAN NOBELISE : "ET POURQUOI PAS LE NOBEL DE PHYSIQUE AUX BOGDANOV ?"

Par Michel Schneider http://www.lepoint.fr/
DYLAN NOBELISE : "ET POURQUOI PAS LE NOBEL DE PHYSIQUE AUX BOGDANOV ?"

L'écrivain Michel Schneider déplore la décision de l'académie de Stockholm qui a choisi un Américain politiquement correct, au mépris de la littérature.

La tendance constante des Nobel à décerner leur prix de littérature selon des critères plus géopolitiques que littéraires et à couronner systématiquement des écrivains de langue non anglaise, dont la plupart sont totalement inconnus des lecteurs occidentaux, n'est pas aujourd'hui démentie. Bob Dylan, Prix Nobel de littérature, c'est une vraie surprise, mais pas une bonne surprise.

Dans la liste des possibles cette année, il y avait jusqu'à hier trois écrivains américains de premier plan :  Philip Roth, Don DeLillo, et Joyce Carol Oates. Le scandale de certains choix précédents n'était pas que Modiano, Tranströmer ou Aleksievitch soient lauréats, mais que des titans littéraires depuis des décennies ne l'aient pas été, simplement parce qu'américains.

Pourquoi Dylan ? Parce que, bien qu'américain et quoique devenu aujourd'hui une légende parfaitement mainstream, il représente encore pour les jurés du Nobel la révolte (fausse, celle des indignés établis) et la jeunesse (la leur sans doute : sur les 18 membres de l'Académie suédoise, 14 sont nés avant 1965 et la secrétaire perpétuelle, Sara Danius, est née en 1962, année du premier album de Dylan). On passe à Dylan de chanter en anglais parce qu'on croit qu'il chante contre l'Amérique. De même, on a pardonné à Alice Munroe d'être anglophone parce qu'elle n'était pas américaine mais canadienne. Le dernier auteur américain nobélisé fut Toni Morrisonen 1993, peut-être parce que, noire et femme, elle n'était pas l'écrivain, homme et blanc tant honni par les Suédois progressistes et tiers-mondistes.

 Ils appartiennent à la littérature, pas au spectacle, au silence des mots sur la page qui n'ont pas besoin de musique pour émouvoir 

Pourquoi Dylan ? Hommage indirect au mouvement des Afro-Américains contre les violences policières et l'injustice pénale en Amérique, à travers les protest songs qu'ont été certaines de ses chansons dans les années 60 (notamment « Hurricane » qui raconte l'histoire du boxeur Rubin Carter accusé du meurtre de trois personnes en 1966, et libéré vingt ans plus tard ?

Times, they are a changing ! Mais les jurés Nobel continuent de méconnaître les grands écrivains américains. Sanglot de l'homme blanc, discrimination positive pour contrer l'hégémonie culturelle de l'Amérique, ou simplement méconnaissance des vraies valeurs de la littérature contemporaine ? Les écrivains de fiction inventent le réel, ils racontent des histoires, et pas seulement la leur, parlant de l'Amérique montrée à nu dans sa démence (DeLillo), son puritanisme hypocrite (Roth), sa folie ordinaire (Oates). Mais ils parlent aussi d'autre chose que de l'Amérique : du monde tel qu'il est. Ils appartiennent à la littérature, pas au spectacle, au silence des mots sur la page qui n'ont pas besoin de musique pour émouvoir. C'est la littérature qu'on dévalue quand chez nous on baptise des lycées et collèges Brassens, Jean Ferrat ou même Pierre Perret (groupe scolaire de Serris, 77 700). Dieu sait si j'aime toujours très fort Brassens – pas du tout les deux autres –, mais le mien de lycée s'appelait Buffon. J'y ai appris le goût de la littérature.

En Suède aussi, les temps changent. Pas en bien. L'Académie Nobel décrit Dylan comme « un grand poète dans la pure tradition anglophone » et l'inscrit, rien moins, en filiation directe d'Homère, se souvenant vaguement que L'Iliade et L'Odyssée – que les académiciens n'ont pas dû beaucoup lire – est divisée en chants. Tout est culture, mais tout n'est pas art. Le Nobel de littérature à Bob Dylan, c'est un peu comme si on décernait le Nobel de physique aux Bogdanov.

Une bibliographie qui ne dépasse pas 4 ou 5 livres

Il y a des arts mineurs, et la chanson en est un, mais il y a aussi des artistes de divertissements, entertainement disent les Américains, sans mépris pour les plaisirs qu'ils en tirent, mais sans en faire des phares de l'humanité. Le déclin de la culture générale qu'annonçait Allan Bloom (L'Âme désarmée, 1987) s'accomplit quand on donne le Nobel à un baladin de génie, mais dont la bibliographie ne dépasse guère quatre ou cinq livres : un scrapbook, un songbook, ses chansons, ses dessins, un point, c'est tout.

Tout ce qui est écrit n'est pas littérature : les livres de Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de 2015 par exemple, si forts soient-ils, appartiennent plus au journalisme qu'au roman. Ceux signés de Dylan ne sont pas des jalons dans l'histoire littéraire. Dylan n'est pas Dylan Thomas, dont il emprunta le prénom. tout comme Joan Baez n'est pas Emily Dickinson. Les chanteurs, eux, folk avant-hier, rock hier, ou rap aujourd'hui (Danny Brown, parlant de Detroit) se prennent rarement pour des écrivains, même quand ils écrivent bien et pensent avec profondeur, comme Patti Smith ou Bruce Springsteen, et racontent dans de beaux livres qui ne prétendent pas au statut littéraire leur vie d'artiste de variétés, comme on disait autrefois.

Tout vaut n'importe quoi

Que le Nobel revienne vite à des auteurs de littérature. L'Amérique n'en manque pas. Ce pays dont 60 millions d'habitants n'ont pas l'anglais pour langue natale continue de produire des écrivains puissants, venus de plus en plus d'autres cultures (le New Jersey de Junot Díaz est aussi celui de Philip Roth). Mais, contrairement aux blockbusters du cinéma, conçus comme produits d'une culture hors sol pour le marché mondial, les romans américains ne sont pas écrits pour le succès, c'est pour cela qu'il serait temps de leur en assurer un par le Nobel.

Reconnaissance plus symbolique que réelle pour des écrivains qui n'espèrent la leur que de leurs lecteurs. Philip Roth n'attend plus le Nobel. Tant pis pour eux, qui se seraient honorés en l'honorant. Relisez-le. Et écoutez Desire, le plus bel album de Dylan, selon moi. Il date de 1976, mais les paroles ne sont pas de Dylan. J'espère que Dylan viendra à Stockholm recevoir son prix la guitare à la main et un sourire de mépris aux lèvres pour ceux qui méprisent la littérature. D'avance, je lui dis : Yer gonna make me lonesome when you go.

« Tout le reste est littérature », semblent dire les Nobel, après Verlaine, qui n'y mettait aucun mépris. Oui, dans son monde où tout vaut n'importe quoi, ce qui nous reste, c'est la littérature.

 

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