Texte d'une conférence prononcée par l'écrivain martiniquais Raphaël Confiant au Québec lors d'une rencontre d'écrivains des trois Amériques dans la ville de Montréal en 1993...
J’ai été très intéressé par cet article, et je remercie Raphael Confiant de publier à nouveau ce texte de 1993.
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Tout d’abord, très pertinentes ses observations sur la société qui fut la matrice de la langue créole : société coloniale, esclavagiste, très conflictuelle entre ses différentes composantes, dont aucune n’a une langue vraiment « normée » mais ou l’élément blanc parlant des langues régionales de France domine. Le créole est donc né pour des impératifs de survie.
Tous ces ingrédients se retrouvent dans notre situation particulière, et surtout dans l’essence même de la langue créole.
Raphael confiant nous dit qu’il veut écrire le créole pour la langue elle-même et ensuite l’inscrire dans la chair même de la langue française.
Raphael confiant nous précise qu’il a écrit cinq livres en créoles et que personne ne lui a appris à le faire. C’est vrai et j’ai compris que ce fut très courageux.
Mais depuis ?
Pratiquement plus de textes originaux en créole.
Que des traductions, des textes universitaires sur le créole …
et surtout une formidable production romanesque en français. Un grand bravo à Raphael Confiant, dans ces récits et ces romans, on sent et on vit la réalité martiniquaise (plutôt celle des années 40/60 du siècle dernier).
Bien sûr, dans toute cette production, la langue créole affleure et transpire, non seulement par des expressions en créole, mais dans les situations, les raisonnements, les façons de penser, de faire et d’agir des différents personnages.
Une question : pourquoi Raphael Confiant n’écrit-il plus des romans ou des nouvelles en créole ?
Je veux parler de fictions pour nous tous, d’œuvres qui permettraient de vulgariser la langue créole et sa graphie dans le grand public ?
Je me permets quelques remarques à ce sujet :
1) La question de la graphie du créole ne semble plus faire débat, celle proposée par le GEREC. est pratiquement adoptée à l’unanimité.
2) Le fait d’écrire en créole est de moins en moins un obstacle à la diffusion et à la vente des ouvrages écrits en créole.
3) Les récentes publications en créoles n’ont-elles pas eu un réel succès (je pense par exemple à « Ti anglé-a » ou « Farizet Leransky » (même s'il y a de nombreuses remarques à faire), ou encore la traduction de « Ti-Prens lan ». Sans parler des oeuvres poétiques.
4) J’ai lu dernièrement « Kod Yanm ». Très intéressant, pas tout à fait la graphie actuelle mais ce n’est pas grave. Par contre, beaucoup de mots demandent des recherches, des explications et surtout ils ne sont plus de notre époque.
5) Donc, le temps est peut-être venu de publier des œuvres de fiction en créole. Pas obligatoirement des histoires relatant l’époque contemporaine, mais avec des phrases et des mots d’aujourd’hui, dans lesquels les martiniquais se reconnaîtraient.
6) Je constate un effort d’écrire en langue créole dans les médias et les publicités. C’est peut-être opportuniste, mais il faut en profiter pour améliorer la qualité de ces productions, leur graphie étant quelquefois « folklorique ». Il faudrait faire les remarques nécessaires et préciser les règles, même à postériori.
Comment ? A quel niveau ? Par qui ? …
Pour moi, le créole est le creuset de l’identité martiniquaise.
La Martinique est actuellement une « région française d’outre-mer ».
Que deviendra-t-elle ?
Seuls les martiniquais ont la solution entre leurs mains. Malgré de multiples et très puissants lobby, la France ne peut et ne pourra rien faire contre la volonté du peuple martiniquais.
Je pense que, face à toutes les oppressions, la langue est le meilleur ciment d’une communauté (c’est par exemple grâce aux langues nationales que les états-nations européens sont nés).
L’indépendance d’une nation est toujours l’aboutissement d’une demande d’une plus grande liberté pour la communauté qui la réclame. Cette quête est d’autant plus forte que cette communauté partage une langue commune dans laquelle elle se reconnaît.
C’est le cas du créole. Quel que soit l’endroit où l’on se trouve, quelle que soit sa condition sociale, le « parler » créole est un signe de reconnaissance et de connivence !
Si la langue créole écrite étaient vraiment répandue et vulgarisée, quelle démultiplication pour la cause de l'identité martiniquaise !
Plusieurs fois, avec étonnement, l’on ma posé la question « pourquoi je m’intéresse tellement à la langue créole » ?
Je rappelle que je me considère comme un martiniquais d’origine française.
Bien que je sache que cela ne présente que peu d'intérêt, pour expliciter mon itinéraire, je me permets de relater en quelques lignes mon histoire personnelle.
Je suis arrivé en Martinique en 1977, suite problèmes familiaux, divorce …
En France, j’étais technicien et formateur dans une grande entreprise d’électronique. Connaissant mon désir de « changer d’air », un client martiniquais (de type mulâtre avec une famille très mélangée « noir/blanc, mais je n’ai compris ce que cela signifiait que bien plus tard !) m’a proposé de venir dans son entreprise. Ce monsieur pour qui j’ai le plus grand respect ne m’a rien promis et (je crois) ne m’a favorisé en aucune façon sinon reconnaître mes capacités professionnelles. La preuve, mon salaire en Martinique n’a retrouvé le niveau de celui que j’avais antérieurement en France que vers 1983…
J’étais seul, isolé, avec une méconnaissance totale du pays. Je me souviens m’être fait souvent « arnaqué », en particulier pour la location d’une petite chambre minable (j’étais blanc !), j’ai subi de nombreux déboires tant au travail qu’en ville. J’ai souvent eu envie de partir, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait étant donné que je me conformais au mieux aux règles de vie du pays. Il y avait deux extrêmes: soit l’attitude était très hostile et l’on me disait des choses très désagréables (en créole, quelque fois avec des gestes), soit l’on prenait ma défense sans raison avec des arguments totalement surréalistes (souvent dans un français très académique).
J’ai constaté que cette réaction concernait toutes le couches la société, la couche populaire (dont j’estimais que je faisais partie), comme celle qu’on peut appeler les intellectuels (avec lesquels j’avais quelques affinités de part mes études). Les seules exceptions (et je ne l’ai compris que bien plus tard) étant les « békés » et une certaine « mentalité » mulâtre.
A l’époque, je n’avais que deux lieux pour tisser des relations sociales : mon lieu de travail avec mes collègues (tous martiniquais, j’étais le seul blanc) et nos clients, et d’autre part l’entourage de mon patron (pour lequel il me semblait que j’étais une sorte de « faire valoir », je dirai maintenant « le blanc de service ») .
Voilà mes premiers contacts vécus avec la langue créole.
Dans mon désir de comprendre, j’ai lu dans les années 1980/2000 de nombreux ouvrages sur la Martinique, l’histoire, la psychologie, la politique et la langue créole.
J’ai lu presque tous les livres que les auteurs martiniquais publiaient à l’époque.
Par mon désir de réussir, puis mon désir d’intégration, puis mon désir de comprendre le pays Martinique, petit à petit, je me suis fait des amis, puis je me suis marié avec une martiniquaise. Avec ma nouvelle famille, j’ai pu vivre, apprécier et aimer « de l’intérieur » la réalité martiniquaise, tant à Fort-de-France que dans certaines campagnes très reculées.
Le temps a passé, mes enfants sont nés, puis ma petite fille (dont l’autre grand père est un pécheur du Robert…)
Je comprends maintenant que l’histoire de la Martinique et des martiniquais c’est bien sûr celle de mes enfants … mais c’est aussi la mienne !
Je pense en particulier à « notre » passé d’esclave et à la langue créole.
Je sais bien que cette expression que je m’applique à moi-même « notre passé d’esclave » est ambiguë, car je suis certainement perçu comme descendant d’esclavagiste…
Mais, mes enfants et petits enfants sont descendants d’esclaves et… ce sont mes enfants !
La langue créole est le fruit de cette histoire, de ce drame, de ce malheur.
Pour moi, comprendre dans son intimité la langue créole, c’est faire acte d’amour envers mon épouse, mes enfants et mes petits enfants…
Encore un grand merci à Raphael Confiant et … Que vive la Martinique !
Jacques Humbert
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