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En Corse, la frénésie immobilière met en danger les tortues d’Hermann

En Corse, la frénésie immobilière met en danger les tortues d’Hermann

La tortue d’Hermann est l’un des symboles de l’île de beauté et l’un de ses enjeux de biodiversité. Mais le bétonnage à outrance et parfois illégal du sud de l’île menace le chélonien. Les lanceurs d’alerte sont intimidés par l’administration censée les soutenir, le tout dans une pesante omerta.

  • Ajaccio (Corse-du-Sud), reportage

« On ne peut pas laisser faire ce massacre ! » lance Laurence Constantin, cofondatrice de l’association environnementale Global Earth Keeper France. C’est par le biais d’une vidéo mise en ligne le mois dernier sur leur page Facebook que l’ONG a annoncé porter plainte contre l’Office français de la biodiversité de Corse-du-Sud. Assez courte, la vidéo mêle images chocs d’une tortue mortellement blessée et des images aériennes de chantiers immobiliers en cours dans la baie d’Ajaccio. Cette partie de l’île voit cohabiter deux phénomènes peu conciliables : un bétonnage galopant (+26 % de permis de construire en 2019 selon l’Insee) et une vaste, mais déclinante, population de tortues d’Hermann.

« Le bassin ajaccien abrite encore l’une des dernières populations dynamiques de tortues », explique Sophie [*], fonctionnaire d’une administration locale de l’environnement. « Leur densité de population peut aller jusqu’à dix-sept individus par hectare et cette espèce protégée constitue le premier enjeu de biodiversité en Corse. Elle est menacée », précise la jeune femme. Une tortue vit dans un milieu naturel de plusieurs hectares et sa reproduction nécessite des conditions particulières (par exemple, sa maturité sexuelle est atteinte à seulement sept ou huit ans). À ce jour, la destruction de son habitat constitue sa principale menace en Corse, devant la pollution, les feux et l’agriculture.

La végétation et tout particulièrement le maquis de cette partie de l’île conviennent parfaitement à la tortue d’Hermann.

Relativement préservée des activités humaines et de l’industrialisation, l’île abrite de nombreuses espèces protégées et rares. Dans les faits, la tortue d’Hermann et son lieu de vie sont sous la protection d’un arrêté de 2007 qui protège les reptiles et amphibiens. Quand un chantier immobilier démarre, un permis de construire est nécessaire mais s’il y a des espèces protégées, comme des orchidées ou des tortues par exemple, il faut faire valoir une dérogation conditionnée par la reconnaissance de « raisons impératives d’intérêt public majeur » de la construction… Des commerces ou même des logements sociaux ne rentrent en principe pas dans ce cadre, un hôpital si. Cette dérogation délivrée par la préfecture permet alors de pouvoir détruire, altérer et/ou déplacer l’espace des êtres vivants protégés et de « compenser » à proximité. Sur le papier, c’est l’OFB (Office français de la biodiversité, fusion depuis janvier 2020 de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et de l’Agence française pour la biodiversité) qui doit veiller à préserver les habitats et donc à contrôler la conformité des chantiers. Sur le terrain, la réalité est tout autre et les travaux engagés sur cette partie de l’île concernent en majorité des résidences secondaires.

Les hauteurs de la baie d’Ajaccio sont très prisées des promoteurs immobiliers... Le but ? Des résidences secondaires avec vue sur la Méditerranée.

Le bras de fer qui oppose Global Earth Keeper France à l’OFB se base sur plusieurs témoignages de citoyens ayant alerté l’administration au sujet de tortues tuées sur des chantiers ou lors de travaux de « démaquisages ». Mais ils peuvent conduire à subir des menaces. Dumè [*], l’un de ces lanceurs d’alerte, témoigne : « Un responsable de l’OFB m’a rappelé après un message d’alerte de ma part. Au téléphone, il m’a dit avoir vérifié les permis de construire mais m’a vite découragé dans ma démarche. » L’homme, qui se présente comme quelqu’un qui aime « nettoyer les plages et sauver des hérissons », continue : « Face à ma volonté d’en savoir plus, le ton a changé. Mon interlocuteur m’a ainsi demandé qui j’étais et quelles étaient mes activités professionnelles... avant de m’expliquer qu’en cas de lancement de la procédure, le juge et les propriétaires du terrain auraient mes noms et prénoms et que je serais ensuite convoqué ! » Cette pratique, illégale et selon nos témoignages recueillis assez récurrente, a pour effet de dissuader les lanceurs d’alerte... qui craignent de s’opposer publiquement à de puissants entrepreneurs immobiliers – ou simplement à leurs voisins.

Mail d’un agent de l’OFB Corse-du-Sud expliquant au lanceur d’alerte que son identité sera rendue publique.

Jean-Luc [*], également fonctionnaire d’une administration voisine de l’OFB, confirme ces témoignages : « Plusieurs personnes ont en effet été mises en difficulté après un coup de fil à l’OFB. En temps normal, le procureur de la République doit être informé que le lanceur d’alerte veut rester anonyme mais en aucun cas son identité ne peut être rendue publique s’il ne le souhaite pas. D’autant que ce n’est pas indispensable à la procédure judiciaire. C’est une menace à peine cachée dans le contexte corse. En agissant ainsi, on bloque la chaîne judiciaire, puisque la justice n’est finalement mise au courant de rien. Cela laisse le champ libre aux constructions, légales ou non », dit-il.

La flore aussi est fortement touchée par la bétonisation croissante en Corse-du-Sud.

La plainte déposée auprès du parquet d’Ajaccio et la vidéo vue plus de 250.000 fois ont vivement fait réagir l’OFB qui, via son service juridique, a exhorté l’association à retirer la vidéo ou à y insérer sa réponse à ces accusations. Contactée par Reporterre, l’OFB n’a pas souhaité « communiquer sur une affaire judiciaire en cours ».

Global Earth Keeper France a contre-attaqué avec une nouvelle plainte pour « pression sous condition » en ayant tout de même posté le droit de réponse de l’OFB. « Il s’agit d’une espèce protégée, des institutions sont censées faire respecter la loi et en fait, elles mettent la pression sur les lanceurs d’alerte », dit Laurence Constantin. « Un comble quand on lit sur le site de l’OFB des incitations aux citoyens pour qu’ils deviennent acteurs de l’environnement et signalent les dysfonctionnements... Mais quand on agit, on nous fait peur. » Si l’OFB a pour l’instant pris le parti de bomber le torse face à l’association, Global Earth Keeper France n’a en revanche pas pour l’instant subi d’autres pressions. « Aucune menace ne nous est parvenue, d’autres associations de l’île ont reçu des lettres de menaces ou leurs voitures ont brûlé... Ce qu’on lit sur les réseaux sociaux étonne parfois, même si les Corses sont très divisés, ils sont aussi très attachés à leur nature. Il y a même un lien affectif entre cette tortue et eux », sourit la jeune femme.

Laurence Constantin, cofondatrice de l’association environnementale Global Earth Keeper France.

En effet, l’espèce des tortues d’Hermann apparaît souvent dans la vie courante des habitants de l’île et cela pose parfois des problèmes à des particuliers qui entretiennent leur terrain. Pour un simple citoyen, les sanctions financières peuvent être lourdes en cas de contrôle... Mais bizarrement, en baie d’Ajaccio, les puissants entrepreneurs immobiliers semblent sortir des radars de l’OFB. Un constat que souligne le syndicat des Jeunes agriculteurs dans un communiqué diffusé le 11 décembre, en dénonçant l’envoi au tribunal d’un des leurs pour avoir tué des tortues lors d’un démaquisage. Le syndicat y formule ainsi la différence de traitement entre exploitation agricole et chantier immobilier : « La spéculation immobilière forte quant à ces terrains nous fait nous interroger : si un défrichement avait été effectué pour une construction immobilière ou autre, aurions-nous vu un tel acharnement ? »

Une tortue d’Hermann déchiquetée découverte sur un chantier immobilier proche du centre-ville d’Ajaccio.

Un plan d’action national en faveur de cette espèce existe et les menaces qui pèsent sur elle ont été identifiées très tôt, notamment avec, dès 1923, l’appel pour la protection de la tortue d’Hermann. Selon le Conservatoire d’espaces naturels de Corse, 80 % des tortues d’Hermann françaises se trouvent sur l’île. La baie d’Ajaccio est donc en première ligne pour la sauvegarde de l’espèce, mais bien peu de chantiers immobiliers semblent s’en soucier... « Pour moi, 99 % des chantiers en Corse sont illégaux à ce sujet », annonce carrément Jean-Luc, le fonctionnaire proche de ces dossiers. « Une colline a été récemment démaquisée illégalement près d’Ajaccio pour accueillir un futur complexe de résidences secondaires... sur place ont été trouvés une centaine de cadavres de tortues, déchiquetées », dit-il, dépité. La presse locale ne s’est que peu emparée du problème. Cela renforce l’idée qu’une omerta existe à ce sujet, avec une connivence entre BTP, entreprises et certains membres de l’administration. « Les problèmes environnementaux de la Corse sont sous-jacents à l’économie », explique un proche de Global Earth Keeper France. « La problématique des associations environnementales ici se heurte au monde économique, et en premier lieu à la construction immobilière démesurée dans l’île », dénonce l’homme, membre des forces de l’ordre. « Il règne ici un déni général, c’est un cataclysme immobilier », conclut Jean-Luc.

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