Aux Antilles, des familles entières basculent dans la précarité. Les recours aux minima sociaux se multiplient. Les inégalités, déjà considérables, s’aggravent.
En trente-huit ans d’existence, Mickaël n’a jamais eu d’emploi fixe. Comme nombre de Guadeloupéens, il est un « jobeur » et enchaîne les petits boulots non déclarés. Jusqu’en mars, il renforçait le service d’un bar très touristique de la Grande Terre. Depuis, le patron ne l’a jamais rappelé, faute d’activité. Quant à Thérèse, jeune mère célibataire, elle vivait de la vente de sorbets à la sortie d’un hôtel huppé. Elle non plus ne gagne plus un sou depuis des mois.
Ni l’un ni l’autre n’ayant jamais été déclarés, ils ne peuvent bénéficier d’allocations chômage et s’en remettent, désormais, aux minima sociaux, à l’instar de (très) nombreux autres Antillais. Depuis juillet, la Guadeloupe enregistre plus de 1 000 inscrits supplémentaires par mois au RSA, soit un bond de 50 % en un an.
« L’économie informelle, même si elle n’est pas quantifiable, fait vivre des milliers de foyers dans les Antilles » , analyse Olivier Sudrie, économiste spécialiste des outre-mer. Or, les petits boulots se sont raréfiés en raison des confinements successifs et de l’arrêt du tourisme, plongeant des familles dans une précarité préoccupante. Déjà en 2017, un tiers des Martiniquais et Guadeloupéens vivaient en dessous du seuil de pauvreté national, établi à 1 010 € mensuels pour une personne seule.
« Cela empire. On le ressent notamment au niveau du recours aux aides alimentaires », note la députée martiniquaise Manuéla Kéclard-Mondésir. « L’impact est considérable, du demandeur d’emploi au salarié. » Outre les « jobeurs », beaucoup d’autoentrepreneurs et de très petites entreprises familiales ont dû mettre la clé sous la porte. Seuls épargnés, les fonctionnaires et les employés du tertiaire dont l’activité a pu se poursuivre. De quoi creuser des inégalités déjà existantes.
Si la tension sociale reste silencieuse, « la cocotte-minute siffle » , d’après l’expression d’un élu. L’évolution du chômage est scrutée avec anxiété, les chiffres étant déjà bien supérieurs à celui de l’Hexagone : 15 % en Martinique, 21 % en Guadeloupe fin 2019, contre 7,9 % en métropole d’après l'Insee. Les outre-mer concentrent les inquiétudes de l’Observatoire des inégalités. Dans son rapport du 26 novembre, celui-ci les place en tête des territoires les plus pauvres.