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ET SI UNE ÉCOSSE INDEPENDANTE POUVAIT SE DISPENSER DE LA PROCEDURE D’ADHESION A L’UE ?

par Marion Larché http://www.taurillon.org/
ET SI UNE ÉCOSSE INDEPENDANTE POUVAIT SE DISPENSER DE LA PROCEDURE D’ADHESION A L’UE ?

Le 18 septembre prochain pourrait s’ériger en une date tant mémorable et historique que source de débats et de confusions à l’échelle nationale et européenne. Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, annoncé par le Premier ministre Alex Salmond en 2012 après l’accord d’Edinburg, se veut le promoteur d’un bouleversement politique et idéologique. En effet, l’organisation de ce référendum, somme toute inédite au coeur de la citadelle européenne, révèle une pluralité de questionnements quant à notre conception de l’État moderne et offre des potentialités de réflexions encore trop peu inexplorées.

Ce moment électoral anime depuis plusieurs mois déjà la communauté des politiques, journalistes et politistes. Elle les invitent, outre à s’interroger sur le processus menant à la création des États ou les implications du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à réfléchir aux conséquences juridiques de l’issue du référendum et, plus précisément, à ce qu’il adviendrait du statut de cette Écosse nouvellement indépendante au sein de l’Union européenne (UE). Alors que le Premier ministre écossais a fait savoir dès le départ que l’indépendance de l’Ecosse ne s’envisagerait qu’au sein de l’UE, beaucoup se demandent si ce résultat n’emporterait pas l’obligation pour cet État de s’engager dans la voie d’une procédure d’adhésion. La communauté des juristes n’échappe évidemment pas à la tentation de nous offrir une réponse qui se revendique solide et unanime. On voit ainsi poindre une multitude d’analyses dont la majorité tend à observer que l’accès à l’indépendance engendrerait de facto la sortie automatique des écossais du cercle des citoyens européens, la réinsertion n’étant possible qu’à l’issue du processus d’adhésion.

 

José Manuel Barroso a lui-même affirmé en février 2014 que « il serait difficile, voire impossible, pour une Écosse indépendante d’adhérer à l’UE » dans le cas où cette région britannique deviendrait un État à l’issue du référendum de septembre. Tant la légitimité que la véracité de cette déclaration du président de la Commission laissent perplexe. Premièrement, lui appartenait-il de se prononcer publiquement sur la question ? Et surtout, au nom de qui l’a t-il fait ? Deuxièmement, cet avis, suivant l’opinion majoritaire, semble éloigné de la vérité juridique, si tenté qu’il y en ait une – ou disons plutôt – qu’il n’y en ait qu’une. Ce discours matérialise en réalité l’une des tendances naturelles et constantes du droit : il peut s’ériger en un outil au service du politique et, plus généralement, il peut justifier et fonder tout énoncé déclaratif, toute prise de position et de décision.

 

Une adhésion à l’UE n’est pas une question juridique

Cet usage du droit au service du politique est d’autant plus condamnable dans le cas de l’Écosse que l’issue du référendum, et a fortiori les modalités de participation de cet État à l’Union, s’inscrivent, ou du moins devraient s’inscrire, davantage dans une démarche politique que juridique. Penser l’adhésion de l’Écosse à l’Union en des termes juridiques semble d’ores et déjà irréaliste. Le droit ne devrait pas, dans ce contexte, être l’élément fondateur de réflexion. Au contraire, il ne devrait être considéré que comme une simple variable d’ajustement à un tel bouleversement politique : l’Écosse devient indépendante, elle reste intégrée à l’Union et il convient seulement d’adapter le droit à cette réalité politique nouvelle en modifiant les dispositions des traités fondateurs concernées. Le droit ne devrait en aucun cas conditionner l’intégration de l’Écosse – problématique par essence politique – mais seulement en prendre acte et s’en accommoder.

 

Ce n’est pas en ce sens que le débat s’est invité dans l’actualité européenne, et l’on ne peut que le déplorer. Est tout autant regrettable la portée que l’on tente d’attribuer aux textes fondateurs de l’Union européenne. En effet, placé au coeur de l’oeuvre interprétative, le droit possède cette fabuleuse et dangereuse capacité de s’adapter à tout ce que l’on veut, ou non, lui faire dire. Pour rappeler les propos du prince Hector dans la Guerre de Troie n’aura pas lieu : « le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination » et il semble bien que le référendum écossais en soit une formidable porte d’entrée !

 

L’Écosse doit devenir, et ce de manière automatique, membre de l’Union, ne serait-ce que parce que les conséquences pour les citoyens écossais seraient socialement, économiquement et politiquement dévastatrices, à commencer par la perte de la citoyenneté européenne et donc des bénéfices tenant aux libertés de circulation. Retenir une solution contraire constituerait une menace réelle pour la sécurité juridique de chaque citoyen européen et pour l’intégralité des droits que nous avons acquis au gré de la construction européenne. Cette conception purement politique de la situation écossaise peut, elle aussi, s’appuyer sur le droit en proposant une interprétation à contre-courant des analyses majoritairement présentées. Ainsi, à l’instar du Prince Hector, prêtons-nous aux jeux de l’imagination et invitons l’Écosse à demeurer européenne sans passer la porte de la procédure d’adhésion.

 

1. Ce que ne dit pas le droit européen

Pour beaucoup, la procédure d’adhésion serait commandée par les traités fondateurs eux-mêmes. Cette interprétation peut être doublement renversée. Premièrement, il est faux d’affirmer que le Traité de Lisbonne, dernier traité européen en date, prévoit cette exigence. Pour cause, la seule lecture de ce traité suffit à convaincre : aucune de ses dispositions ne règle la question du statut d’une partie du territoire de l’Union qui serait devenue indépendante.

 

Deuxièmement, si certains interprètent le silence des textes comme exigeant un acte procédural de la part du nouvel État constitué, on pourrait, a contrario, tout autant affirmer que le vide juridique reflète en réalité l’inexistence d’une telle obligation. « Qui ne dit mot, consent » selon la maxime latine, et il est tout est aussi logique de croire que si les rédacteurs n’ont pas mentionné cette exigence, c’est qu’une telle formalité n’est pas nécessaire et qu’elle n’existe donc pas.

 

Bref, nulle part en droit européen n’est mentionnée une quelconque obligation explicite pour l’Écosse de présenter une demande d’adhésion.

 

2. Ce que pourrait ne pas dire le droit européen

Ceux qui affirment la nécessité d’une procédure d’adhésion se fondent essentiellement sur l’article 49 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Cette disposition régit la procédure d’adhésion et prévoit que : « tout État européen qui respecte [les valeurs de la dignité humaine, de liberté, de démocratie et de l’État de droit] et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union ». Le Conseil doit alors se prononcer à l’unanimité après consultation de la Commission et approbation du Parlement. Là encore, il n’est pas évident d’interpréter cette disposition comme exigeant une nouvelle procédure d’adhésion. En effet, ce dispositif est-il réellement applicable au cas écossais ? Ne vise t-il pas davantage les États qui n’ont jamais été membres de l’Union ?

 

Le même constat s’impose donc : le statut de l’Écosse indépendante, cas inédit que personne n’avait envisagé au moment de l’élaboration des traités, se confronte à un gouffre juridique.

 

En l’absence d’élément pertinent en droit européen, il convient alors de se tourner vers cette grande nébuleuse qui régit les relations entre États et organisations internationales : le droit international.

 

3. Ce que dit le droit international

La Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’États en matière de traités règle les droits et obligations des États nouvellement constitués. La naissance d’un État peut survenir suite à un processus de fusion – un nouvel État nait de la fusion de deux ou plusieurs États préexistants (réunification de la RFA et de la RDA) ; de dissolution – un État éclate en deux ou plusieurs États nouveaux (éclatement de l’URSS) ; ou de sécession (séparation d’une partie du territoire d’un État préexistant qui laisse subsister celui-ci). Le cas de l’Ecosse entrerait dans cette dernière catégorie.

 

Cette Convention n’a, à ce jour, pas été ratifiée par la Grande-Bretagne mais il est admis qu’elle reflète l’état du droit coutumier et qu’elle s’applique donc à l’ensemble des États de la Communauté internationale. L’esprit de cette convention est guidé par une idée essentielle : les changements territoriaux ne doivent pas toucher la stabilité des rapports contractuels entre États.

 

S’agissant de la participation des États successeurs aux organisations internationales, le principe posé est le suivant : lorsqu’un État engagé dans un processus successoral est considéré comme un État successeur, il ne bénéficie d’aucun transfert des droits et obligations possédés par l’État prédécesseur (article 4 de la Convention). In fine, selon cette disposition, l’Écosse indépendante devrait demander son admission et passer par la procédure classique d’adhésion.

 

Toutefois, le droit possède également cette capacité inépuisable d’accompagner chaque principe d’un riche éventail d’exceptions et de faire ainsi apparaître un décalage entre la règle et la pratique. Le droit international demeure en effet un droit fluctuant et mutant au gré de la volonté des États qui en sont les principaux acteurs. Il est même relativement difficile de faire une généralisation car la pratique demeure elle-même, en matière de succession d’États, idiosyncratique.

 

4. Ce que pourrait dire le droit international

Deux parades peuvent permettre d’écarter l’application de l’article 4 de la Convention de 1978. Premièrement, la règle posée par cette disposition n’a été utilisée, en pratique, que dans le cadre de l’ONU, les nouveaux États ayant toujours du notifier leur volonté d’être membres au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale. Quid des autres organisations internationales ?

 

Deuxièmement, une exception a précisément été admise pour certaines organisations économiques en faisant prévaloir ce qu’il convient d’appeler le principe de continuité. Même si les organisations prévoient toujours des procédures formelles d’admission, en pratique, la nature même de ces organisations invite souvent à adopter une solution contraire afin de préserver les relations contractuelles et les différents acquis. Par exemple, le 14 décembre 1992, le Bureau exécutif du FMI constata que la République socialiste fédérative de Yougoslavie avait cessé d’exister (dissolution). Il décida de considérer la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, l’ex République Yougoslave de Macédoine et la Serbie-Monténégro comme successeurs des droits et obligations de la Yougoslavie au FMI en dehors de la procédure classique d’admission.

 

Il ressort donc de ce précédent que les institutions de l’Union, organisation économique, disposent d’armes plus consensuelles et de procédures moins contraignantes pour traiter le cas écossais. Dans cette hypothèse, il suffirait simplement à l’Écosse de leur notifier son accord d’être membre de l’Union.

 

Conclusion : ce que pourrait dire le droit européen

Les processus de création et d’extinction des États sont provoqués par des phénomènes politiques et sociaux qui échappent aux règles de droit. Il ressort des brefs développements présentés, qu’en réalité, la solution adoptée dépend de l’intérêt de l’organisation et de la volonté politique de ses acteurs institutionnels.

 

Or est-il dans l’intérêt de l’Union de ne pas intégrer d’office l’Écosse sans user de la procédure formelle d’adhésion ? La réponse est non. Faut-il rappeler que l’Union a pour but de promouvoir le bien-être de ses peuples, qu’elle leur offre un espace de liberté et de sécurité sans frontières intérieures, qu’elle combat l’exclusion et les discriminations et promeut la solidarité et la cohésion économique, sociale et territoriale ? Le préambule du traité de Lisbonne n’affirme t-il pas que les 27 États membres sont résolus « à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe et dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens » ? Exiger l’inexigeable reviendrait à prendre à contre sens cette déclaration commune, à écraser cette voie dans laquelle l’Europe et ses citoyens s’engagent depuis plus de 60 ans.

 

L’acquis européen existe. Comment admettre alors que des citoyens européens puissent en perdre le bénéfice du seul fait d’une décision collective, fruit de l’expression de la volonté générale d’une nation, de s’organiser sous une autre forme étatique ? L’Union, qui ne cesse de se revendiquer démocratique, n’accepterait donc pas en son sein les bouleversements politiques engendrés par l’expression de la démocratie ? Ils semblent bien sombres les couloirs de l’imagination…

Post-scriptum: 
Illustration : Werner Bayer - Edinburgh the Royal mile (Flickr - CC)

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