Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

Etat populiste et modèle de développement en Amérique latine (1930-1960)

Glodel Mezilas
Etat populiste et modèle de développement en Amérique latine (1930-1960)

Cet article porte sur une époque paradigmatique de l’évolution politique et économique latino-américaine (1930-1960), époque de grandes mutations structurelles ayant marqué la société, la culture, l’économie et la politique de la région. Ce moment est marqué par l’émergence de l’État populiste ayant conçu un modèle de développement ( modèle d’accumulation du capital et de transformation sociale, selon notre perspective) basé sur l’industrialisation par substitution d’importations (ISI) en vue de faire face à la crise de l’ancien modèle de développement (1880-1930) focalisé sur l’exportation des matières premières et l’importations des produits manufacturés. Aussi convient-il de  mettre en contexte cet État, de le conceptualiser, d’analyser sa politique économique, d’aborder quelques cas concrets (mexicain et brésilien) et enfin d’examiner brièvement sa crise autour des années 1960.

Contexte de l’État populiste

Commençons par la crise économique de 1929 qui frappait le système capitaliste depuis sa naissance. Elle a eu des impacts sur l’ensemble du système économique tant dans les pays du centre que dans ceux de la périphérie. Aux États-Unis, il y a eu une baisse considérable dans la production industrielle d’environ 29 % et de 50 % au niveau du revenu national. Le PIB des pays industrialisés se réduisait à 17 % entre 1929 et 1932. Il y avait aussi une réduction massive des activités économiques dans ces pays, en plus du chômage, de la perte de confiance financière et de la lenteur de la récupération. On observait aussi une grande réduction des exportations, des importations ; et le commerce extérieur a été durement affecté. Cette crise mettait un terme à la domination anglaise sur l’économie latino-américaine et consacrait l’hégémonie nord-américaine.

En ce qui concerne la structure sociale, une forte immigration européenne dans la région la rendait plus hétérogène depuis la fin du 19e siècle. En 1914, 62% de la population argentine naissaient à l’étranger. Les migrants européens en Argentine ont été les premiers à créer de syndicats dans la région et y apportaient l’expérience de la lutte ouvrière et des idéologies comme le marxisme, le communisme, le socialisme, le libéralisme.

Autour du 20e siècle, la structure sociale de la région se trouvait ainsi élargie. La révolution mexicaine de 1910 a fait émerger les indigènes comme des acteurs sociaux importants ; le mouvement des étudiants de Cordoba en Argentine en 1918 constituait un évènement important dans la dynamique sociale de la région, ce qui faisait voir les étudiants comme des acteurs de la scène politique. En outre, le processus d’urbanisation, de migration vers les villes d’industrialisation constituait des changements sociaux de grande ampleur. Désormais, il y avait de nouvelles figures sur la scène politique comme les classes moyennes, les masses populaires, urbaines, les ouvriers, etc. Le pouvoir oligarchique (1880-1930) ne pouvait pas contenir la montée en puissance de ces acteurs sociaux qui questionnaient son ordre politique traditionnel basé sur le clientélisme, le népotisme, la corruption, etc.  

Dans ce sens, l’État populiste allait tirer profit de cette révolution sociologique, lié à la migration urbaine, l’arrivée des masses dans les villes. Cela créait ainsi l’effet de démonstration, l’effet d’aveuglement ou la révolution des attentes, selon les sociologues latino-américains. Cette situation entrainait que le pouvoir oligarchique ne pouvait pas faire face à la complexité de la structure sociale et des nouvelles revendications. Ainsi, l’État populiste allait émerger parce qu’aucune autre classe ou catégorie sociale ne pouvait combler le vide laissé par la fin de l’État oligarchique. Dans ce cas, l’État populiste (1930-1960) était en Amérique latine pour faire face à ce vide politique, alors que dans les années 2000 le populisme surgissait dans la région pour faire face à la crise du néolibéralisme.

Le concept d’État populiste

Plusieurs termes sont utilisés pour nommer l’État populiste en Amérique latine : État national-populaire, État de compromis, État développementiste, État-providence populiste, etc. Cependant, tous ces termes renvoient à une problématique commune liée à un contexte historique déterminé : 1930-1960. L’État populiste apparait dans ces sociétés latino-américaines marquées socialement par l’hétérogénéité et la fragmentation dans le cadre d’économies dépendantes, cherchant à construire la nation, à penser le développement économique, à donner des droits essentiels comme la santé, l’éducation par le biais des alliances de classes, du consensus politique, dans des formes non démocratiques.

Il s’agit d’une révolution à partir d’en haut pour créer un État-providence créole, par le biais d’une culture paternaliste, clientéliste et d’un présidentialisme autoritaire. L’État devient le garant de l’ordre social, l’organisateur du système productif, agit comme le facilitateur de l’accumulation du capital, le canalisateur des processus politiques, le diffuseur de la culture et de l’idéologie. C’est un agent du développement social et politique. En tant qu’acteur central de la société, il gère les conflits entre les groupes sociaux.

A la différence de l’État des pays centraux (du capitalisme développé), l’État populiste en Amérique latine est le centre l’organisation de la vie économique. C’est la politique qui structure l’ordre social créant un type de relations entre les classes sociales dans le cadre des politiques nationalistes, développementistes, anti-impérialistes, industrialisantes, etc.

L’État populiste organise le mouvement ouvrier, la bourgeoisie, les classes moyennes, les classes populaires, facilitant des accords entre eux dans le cadre des relations du travail. Il crée aussi des politiques de bien-être, de régulation sociale, des modèles de développement social et économique. Il est donc le facilitateur, le régulateur et l’articulation des dynamiques sociales.

En outre, il subordonne les décisions économiques aux demandes sociales, sans affecter profondément les intérêts des capitalistes. Il est le garant du statu quo, un agent de modernisation, de transformation sociale. 

C’est un État planificateur, interventionniste, promoteur direct de nouveaux modèles de structuration sociale, correcteur des failles du marché, intégrateur du territoire national. Il est basé sur le clientélisme politique, bureaucratique en échange de loyautés pour légitimer le pouvoir politique. D’où la création d’un système corporatif patrimonialiste.

Il ne se veut pas un État de classes, mais plutôt une entité qui concilie les contradictions entre les classes sociales, donnant surtout priorité aux masses indifférenciées. À la différence d’autres formes de populisme, il ne cherche pas à provoquer la polarisation sociale, la lutte des classes, les conflits sociaux. La stabilité sociale est un élément central de sa politique et de l’organisation de l’ordre social.

Cependant, il priorise les intérêts de la nation sur tous les autres. D’où son nationalisme. Il cherche surtout à créer un capitalisme national, autonome et indépendant des pressions internationales, des relations de pouvoir. 

En substance,  l’État populiste est « une structure institutionnelle de type autoritaire et semi-corporative, d’orientation politique de tendance nationaliste, antilibérale, anti-oligarchique, d’orientation nationaliste, industrialisante, de composition sociale polyclassiste, dotée d’un large appui majoritaire venu des masses populaires ». Cet État est très fort dans les champs politique, économique, social, culturel. Il est doté d’une aspiration développementiste-distributive afin de réorienter le flux de l’excédent économique vers l’intérieur et au bénéfice des classes moyennes, urbaines et industrielles. 

L’économie politique de l’État populiste.

L’économie politique de l’État populiste reposait sur l’industrialisation nationale ou le  modèle de développement tourné vers l’intérieur, à la différence du modèle antérieur tourné vers l’extérieur par l’exportation des matières premières. Le modèle d’industrialisation par substitution des importations : « va s’intensifier par la fabrication locale des biens jusque là importés. Dans la première étape, cette substitution s’effectue à travers des entreprises de capitaux nationaux, tout d’abord à faible intensité de capital et à technologie relativement simple. Ce sont les périodes de crises, des reflux commerciaux internationaux qui, en remettant en question le schéma d’échange dominant, assurent les conditions propices à l’expansion et à l’accélération du développement industriel. » 

Il se caractérise par cinq éléments, selon Theotonio Dos Santos : a) le changement d’un modèle de développement « extraverti » vers un développement « intraverti » permettait de tirer les pays sous-développés de la dépendance du commerce extérieur et de générer une économie contrôlée à partir de l’intérieur ;b) l’industrialisation a affaibli le pouvoir des oligarchies traditionnelles, fondé sur la production pour le commerce extérieur et a entraîné la redistribution du pouvoir national avec la participation des classes moyennes et des secteurs populaires, ce qui crée une dynamique de démocratisation politique ; c) cette démocratisation est liée à une tendance d’une redistribution du revenu, ou mieux, vers une société de consommation ; d) la création d’un centre de décision économique nationale à travers la conversion  de l’économie « intravertie », la démocratisation politique au moyen de l’affaiblissement des oligarchies, le renforcement des classes moyennes et l’intégration économique des secteurs populaires dans une société de consommation de masses qui trouve son expression dans un Etat indépendant et qui n’est pas un Etat libéral mais plutôt un Etat développementiste ; e) le développement industriel permettait de dépasser le retard scientifique, technologique et culturel. C’est le dépassement de l’aliénation culturelle, qui est le processus par lequel la culture latino-américaine était une simple répétition de la culture dominante  des centres coloniaux. Cette aliénation était la clé de la survivance du sous-développement. Par contre, une conscience critique se développait et se manifestait une idéologie de développement qui unit les volontés et les intérêts nationaux autour des objectifs de la société nationale indépendante.

Ce modèle permettait à la région de croire en son  autodétermination économique et de promouvoir un modèle de croissance économique qui répondait aux exigences nationales. Ce modèle de développement était lié à « l’esprit du temps », c’est-à-dire, à un moment où l’idée était mise sur l’Etat-providence dont l’intervention devait permettre de corriger les imperfections de l’économie. En Amérique latine, l’État populiste était beaucoup plus qu’un simple correcteur des imperfections du marché. C’était un agent du développement face a`l’absence d’une bourgeoisie nationale.

Le modèle d’industrialisation par substitution des importations (ISI) a permis l’apparition de géants sidérurgiques, l’ouverture des capitaux étrangers, « désormais encouragés à investir dans les secteurs stratégiques selon les modalités fixées à l’avance par l’Etat et à fournir les biens intermédiaires indispensables à toute politique d’industrialisation... La réalisation précaire de ce modèle de développement à un cadre hésitant de régulation des investissements étrangers, n’a pas permis à l’industrie de ce pays, pourtant prospère à l’époque, de faire le saut qualitatif nécessaire pour s’affranchir du sous-développement. Favorisée pendant longtemps par un marché fermé à la production étrangère, l’Argentine avait pu rester compétitive, mais ces conditions allaient disparaître avec le démantèlement progressif des barrières commerciales. »

Les économies de la région continuaient, cependant, de dépendre du commerce extérieur et ne parvenaient pas à une plus grande liberté par rapport au marché mondial, notamment de l’Europe et des Etats-Unis. François Maillet a écrit, à l’époque : « La fragilité des économies latino-américaines est aussi due au fait que leurs exportations se font à destination d’un nombre restreint de pays : les U.S.A. et l’Europe occidentale.

96 % des exportations du Panama se font à destination des U.S.A. Il en est de même pour 75 % de celles du Mexique ; 71 % de celles de la Colombie et de celles de Cuba (en 1958) ; 65 de celles de Guatemala ; 48 % de celles du Brésil, etc. Seuls les pays de Rio de la Plata, Argentine et Uruguay, sont moins tributaires des U.S.A.; respectivement 11 % et 12 % de leurs exportations leur sont destinées. »

Les centres de décisions ne se transféraient pas non plus au niveau national.  En outre, les changements promis par les régimes populistes ne se produisaient pas vraiment. « La vielle structure électorale clientéliste qui prévaut à la campagne au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle se transfère dans les villes et contamine les nouvelles formes d’action politique. Dans une certaine mesure, le populisme reproduit à sa manière ces vieux procédés clientélistes et représente une situation de compromis entre les techniques de masse urbaine et les techniques personnalistes traditionnelles. Ainsi, malgré que les masses assument un rôle important dans la vie nationale, on ne parvient pas à construire une démocratie bourgeoise à la manière européenne. A l’époque, les régimes autoritaires se sont multipliés en Amérique Latine en vue barrer la route au communisme. Et la participation croissante des masses à la politique donnait lieu au coup d’Etat militaire. Ces régimes mettaient l’accent sur la modernisation et multipliaient aussi l’intervention de l’Etat dans l’économie. Ils se faisaient les alliés des Etats-Unis en combattant les idéologies communistes et aussi ils allaient engager leurs pays dans la voie du néolibéralisme.

Concernant la question de cette politique économique, Theotonio Dos Santos souligne : « En premier lieu, la théorie du développement qui a prédominé dans nos pays a mis l’emphase sur la transition d’une société arriérée ou traditionnelle ou féodale, etc., à une société moderne ou développée ou capitaliste, etc. Cette emphase supposait que les problèmes à résoudre provenaient du pôle arriéré de ces économies et faisait que l’analyse scientifique se concentrait sur les obstacles au développement qui se trouvaient dans ces pôles arriérés.

En fonction de cette attitude méthodologique de base, on a élaboré un modèle de développement pour l’Amérique Latine qui se confiait fondamentalement aux effets économiques, sociaux,  politiques et idéologiques progressifs de l’industrialisation.

Cependant, le cours de l’industrialisation dans nos pays n’a pas éliminé non seulement une grande partie des obstacles attribués à la société traditionnelle, mais qu’elle a créé de nouveaux problèmes et tensions très profonds qui se manifestent par une crise générale en Amérique Latine.

Cette crise du modèle de développement dominant dans les sciences sociales de nos pays (et du projet de développement implicite) mettait en crise cette science même. Elle mettait en crise la notion même de développement et de sous-développement et le rôle explicatif de ces concepts. C’est pourquoi naît le concept de dépendance comme facteur explicatif possible de cette situation paradoxale. Il s’agit d’expliquer pourquoi nous ne nous sommes pas développés de la même manière que les pays développés aujourd’hui. Notre développement est conditionné par certaines réalités internationales qui se définissent comme des réalités de dépendance. Cette situation soumet notre développement à certaines lois spécifiques qui le qualifient  de développement dépendant, modifié par l’étape historique de l’économie internationale. »

L’expérience mexicaine

Le Mexique a été le théâtre d’une révolution en 1910 qui a renversé l’État oligarchique qui s’est installé dans le pays depuis fin des années 1860.

La révolution de 1910 ne résolvait pas encore la question des classes populaires, le rôle de la bourgeoisie, de l’oligarchique dans l’organisation politique et économique du pays. Avec l’arrivée au pouvoir de Lázaro Cárdenas (1934-1940), le pays allait connaitre une transformation politique de fond en comble. 

Cárdenas réalisait de grandes mutations au Mexique, créant un régime politique qui rendait possible l’accumulation du capital, une réforme agraire de grande portée et une expansion massive de syndicats patronnés par l’État, ce qui les rendait plus docile et facilitait l’accumulation du capital. Il a pu distribuer des terres aux paysans  (environ 17,9 millions d’hectares) bénéficiant à 771.640 familles, alors qu’entre 1915 et 1934 les gouvernements révolutionnaires avaient distribué 7,6 millions. Cárdenas, comme le dit Ronaldo Munck, concrétisait le rêve révolutionnaire d’une réforme agraire de grande ampleur.

Le gouvernement de Cárdenas s’inscrit dans la ligne du renforcement de l’État suite à la crise de 1929. Dans son discours d’investiture, Cárdenas affirme : « Seul l’État un intérêt général et pour cela il a une vision d’ensemble. L’intervention de l’État doit être de plus en plus grande, de plus en plus fréquente, de plus en plus fondamentale ».

Pour lui, l’État doit être un médiateur, un conciliateur entre les fractions, les classes sociales. Son gouvernement repose surtout sur l’appui des ouvriers, des syndicats. Ce qui fait que l’État parvient à avoir un grand contrôle social. C’est dans ce sens qu’il souligne que « l’État est l’arbitre et le régulateur social ». Pour lui, « gouvernement et ouvriers, gouvernement et maîtres feront une meilleure société ».  Il invite tous les secteurs à mieux s’organiser l’harmonie des activités au sein de la société : « Que les ouvriers s’organisent en accord avec leur pensée, en accord avec leurs intérêts professionnels, et que les entrepreneur industriels et propriétaires terriens fassent de même : la lutte économique et sociale ne sera plus alors la bataille et inutile de l’individu contre l’individu, mais la bataille corporative dont doit surgir la justice et l’amélioration de tous » (prononcé dans un discours de 1934, quand il était encore Secrétaire d’État de presse et de Propagande).

Sous sa présidence, il se développe une forte syndicalisation et le secteur public. Il invite tous les groupes à faire valoir leurs droits sans aucun risque de fractures sociales. Pour lui, les classes patronales ont le même droit que les ouvriers pour lier leurs organisations dans une structure nationale. Il pense que le pouvoir public est le meilleur médiateur dans les conflits qui surgissent chaque jour entre ouvriers et patrons. Ainsi, il reconnait et valorise le rôle organisateur de l’État dans la vie nationale avec sa politique d’unité nationale, de conciliation de classes sociales, Cárdenas parvient à s’attirer même l’appui de la gauche, des communistes. Octavio Ianni souligne à propos de lui : « la bourgeoisie s’accommode du style populiste du gouvernement dans lequel la rhétorique parfois socialisante n’altère pas fondamentalement les relations capitalistes de production ni les conditions et économique d’accumulation de capital ».

Comme d’autres gouvernements, Cárdenas élabore une politique d’industrialisation dans l’objectif de créer un capitalisme dépendant. Pour cela, il amplifie les fonctions de l’État, en facilitant les conditions matérielles de production quand le secteur privé ne dispose pas de la capacité adéquate.

Cela le porte aussi à créer des entreprises publiques, d’où la nationalisation de la compagnie pétrolière PEMEX (Pétrole du Mexique) en 1938. Il affirme : « le gouvernement a fondé des institutions nationales pour répondre aux besoins que l’initiative privée ne pouvait ou ne voulait pas résoudre. C’est ainsi que les entreprises publiques et privées parviennent à fonctionner. Mais tout est pensé à partir de l’État.

Le mode d’organisation de l’État au Mexique fait que la bourgeoisie n’a pas du mal à faire l’accumulation du capital et n’a pas besoin de recourir au coup d’état comme dans d’autres pays de la région. Mario Vargas Llosa soutient à cet effet que le Mexique est une dictature parfaite.

L’expérience brésilienne

Comme le Mexique, le Brésil allait faire face à la nécessité de penser l’État, de construire le développement industriel et de penser l’ordre national même si depuis le seconde moitié 19e siècle, il y a eu un effort d’industrialisation.

Cependant, l’un des efforts de Vargas était de penser l’intégration nationale, la lutte contre les fractures sociales, la lutte des classes. Un mois après son investiture en 1930, il affirme : « le mouvement révolutionnaire fut l’affirmation de tous comme nationalité, sans distinction de classes, de sexe, pour la construction d’une Patrie nouvelle. Nous réalisons un mouvement éminemment national ». Il soutient encore : « la révolution est le fruit des couches profondes de la société, c’est un impératif de conscience collective. C’est la cristallisation lente de la nationalité ».

Dans ce sens, son gouvernement se veut le coordonateur et le régulateur des intérêts collectifs, la société organisée comme pouvoir, pour diriger et assurer son progrès. Toute structure constitutionnelle implique, aussi, la structure des fonctions de l’État ». En 1938, Vargas vient le terme de Estado Novo tout en soulignant que « l’État ne reconnait pas la lutte des classes ; les lois du travail sont des lois d’harmonie sociale ». Il met en évidence l’importance de la protection du droit des travailleurs. En 1939, Vargas affirme : « les lois de protection des classes travailleuses et de satisfaction de leur justes revendications reflètent le sen supérieur de l’harmonie sociale, dans laquelle l’État se place comme le suprême réglementateur et que sous son égide sont uniquement assurés les droits, et impôts dans les relations entre les classes. L’État ne comprend pas, ne permet pas les antagonismes de classes, ni d’explosion violente de lutte ; à cette fin, il crée des organes régulateurs qui coordonnent non seulement les relations, mais qu’ils résolvent les divergences et les conflits entre classes sociales ». En 1944, Vargas soutient : « Jamais je ne comprends créer la lutte des classes, mais au contraire, la paix, l’harmonie, et la collaboration entre elles ».

Cette vision de la paix sociale, de l’harmonie entre les clases sociales coïncide aussi avec une forte politique d’industrialisation. Face à la crise oligarchique et l’incapacité d’une bourgeoisie de faire la révolution capitaliste dans le pays, l’État se donne pour mission de rendre possible l’industrialisation. Ainsi, l’État sous Vargas travaille dans le but de l’industrialisation du pays, qui devient l’instrument direct de la construction du système industriel.

Au niveau social, il implique plusieurs acteurs dans le cadre de la transformation sociale. Si sous le péronisme en Argentine il s’agit de masses urbaines, au Brésil il s’agit de masses agraires. L’État rend possible le compromis entre les clases sociales : la bourgeoisie mercantile et le prolétariat. La bourgeoisie agraire et commerciale reçoit des concessions sociales, de bonnes lois du travail et l’encadrement syndical. Ce qui permet au l’État de neutraliser les forces sociales.

Vargas prend bon nombre de mesures. Il crée le Plan SALTE (plan d’investissements publics en santé, en éducation, en alimentation, transport, énergie), Banque Nationale de Développement, Pan Nationales de Infrastructures (routes) ; Fonds National d’Électrification, Petrogras,

En plus, Vargas se fait connaitre par sa rhétorique anti-communiste, anti-impérialiste, nationaliste. Sa politique attire surtout les secteurs populaires.

Crise de l’État populiste

La crise de l’État populiste en Amérique latine autour des années 1960 marque un tournant important dans l’évolution politique de la région, qui passe des régimes civils à l’instauration de dictatures militaires se donnant pour objectifs de réorganiser l’ordre politique, social, économique et culturel de la région.

La fin des régimes nationaux-populaires était la fin d’une forme d’organisation de la vie économique et politique de la région. Ces régimes reposaient sur des alliances de classes, visaient à construire un capitalisme autonome, national. Ils étaient  caractérisés par des formes d’autoritarisme, par une présence active et permanente de l’État. Désormais, les régimes militaires se passaient de ces alliances, des politiques économiques de type développementiste.

La recherche des causes de l’effondrement de ces régimes sont d’une grande importance. Pour Amadeo Vasconi, l’État populiste va échouer car l’alliance entre la bourgeoisie et le prolétariat s’effritait. La bourgeoise, souligne-t-il, préfère s’allier avec les anciennes oligarchies. D’où le prolétariat perd tout sa représentativité au niveau politique.

Ensuite, l’État populiste va faire face à une situation inflationniste où il se trouve incapable de surmonter ses contradictions. Il lui était impossible d’affronter la diminution des salaires des ouvriers en raison de l’inflation. Cela va provoquer la crise de la base matérielle du national-populisme. D’un coté, les masses augmentent leurs revendications et cherchent leur autonomie en tant que classes sociales non cooptées par l’État  et de l’autre, l’État essaie de préserver les intérêts de la bourgeoisie. D’où la contradiction de classes va surgir.

De même, la bourgeoisie va recourir au coup d’état en dernière instance pour résoudre le problème posé le pouvoir national-populaire, et l’instauration de l’État d’exception avec les régimes militaires va définitivement liquider les régimes civils. L’État militaire va reposer sur la doctrine de la sécurité militaire, la lutte contre le communisme, la lutte contre toutes formes de résistances sociales venant des masses populaires et va faciliter l’entrée du capital transnational en complicité avec les oligarchies locales, au détriment des intérêts de la société.

A partir de l’installation des régimes militaires, de ce que Guillermo O’donnell appelle l’État bureaucratique-autoritaire, la région va progressivement expérimenter un troisième modèle de développement : néolibéralisme.

Le premier modèle était basé sur l’exportation des matières premières, caractéristiques de l’État oligarchique (1880-1930), le deuxième renvoie au modèle de développement tourné vers l’intérieur (industrialisation par substitution d’importations), caractéristiques de l’État populiste, le troisième modèle va consister en l’ouverture des marchés, la réduction du rôle de l’État dans l’économie, la diminution des services publics (santé, éducation, logement, etc.), la renonciation à l’engagement social de l’État, etc. 

 

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.