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ETATS-UNIS/CUBA : CEUX QUI ONT LE PLUS A PERDRE...

ETATS-UNIS/CUBA : CEUX QUI ONT LE PLUS A PERDRE...

   L'Histoire, avec un grand "H", est souvent dotée d'un sens de l'humour pour le moins douteux. Cela s'est vérifié en moult occasions quand on examine ce qui s'est passé sur notre planète depuis, disons, les cinq derniers siècles. Si l'on prend, par exemple, le rapprochement Etats-Unis/Cuba qui s'est concrétisé ces derniers jours par la visite de Barack OBAMA à La Havane, on est en droit de se poser une question. Une seule : qui a le plus à perdre dans un tel rapprochement ?

   Avant de tenter d'apporter une réponse à cette question, il convient de poser un postulat. Ou plus exactement une évidence : ce ne sont pas les Etats-Unis qui, à terme, deviendront communistes, mais Cuba qui deviendra capitaliste. On a déjà pu s'en rendre compte après la chute du Mur de Berlin et l'effondrement de l'Union soviétique. On l'a encore vu quand le président chinois Den Xiao Ping a lancé à ses compatriotes son fameux : "Enrichissez-vous !". Certes, ces pays, pour beaucoup, en Asie surtout (Laos, Vietnam etc...) continuent à se dire communistes, mais il suffit de visiter le gigantesque "Mall" (centre commercial) qui se trouve au centre de Hanoï, capitale du Vietnam, regorgeant des produits occidentaux les plus luxueux, pour se rendre compte qu'on est désormais loin, très loin, de l'époque où les fils et filles de Ho Chi Minh résistaient aux bombardements des B52 américains envoyés par le président Lyndon B. Johnson.

   Donc à partir du moment où l'on admet qu'à moyen ou long terme, c'est Cuba qui deviendra capitaliste, on décèle dans cette évidence une double ironie de l'Histoire :

 

   . le virus capitaliste aura été apporté par un Noir, Barack Obama.

 

   . ceux qui y auront les plus à perdre seront les Noirs cubains.

 

   Le deuxième élément retiendra tout particulièrement notre attention. D'abord pour dire qu'avant l'arrivée de Fidel Castro au pouvoir en 1959, Cuba était un état raciste guère différent de l'Alabama ou du Mississipi. Certains restaurants et certaines plages étaient interdits aux Noirs et la majorité de ces derniers occupaient les tâches les plus ingrates au sein de la société. En fait, l'île était une semi-colonie des Etats-Unis, coupée donc de son environnement "latino" et adoptant les mœurs yankees : basket, baseball, football américain, jazz etc...et conséquemment une forme de ségrégation raciale. Certains analystes refusent de faire la différence entre la "pigmentocratie" (latino) et le racialisme (anglo-saxon) proprement dit. Pourtant, elle existe bel et bien, ne serait-ce qu'à un seul, mais important niveau : en Amérique latine, les Blancs pauvres vivent dans les mêmes quartiers que les Noirs pauvres. Aux Etats-Unis, non ! Il n'y a qu'à se rendre en Caroline du Nord, en Virginie, en Alabama etc... pour se rendre compte que les Blancs pauvres (dits "White trash" en anglais) préfèrent vivre dans des mobile homes déglingués, voire pourris, à la périphérie des villes plutôt que dans les quartiers (ou ghettos) noirs. Cela a une première conséquence : le mélange racial est beaucoup plus faible aux USA qu'en Amérique latine. Deuxième conséquence : les Noirs américains sont obligés d'avoir leurs propres écoles, leurs propres églises et leurs propres universités. En fait, la ségrégation n'a jamais été vraiment démantelée.

   Donc Castro arrive en 1959 et détruit le système colonialo-capitaliste de Batista. Le racisme est mis au ban de la société cubaine. Il n'y a désormais plus de restaurants ou de plages réservés aux Blancs. La Révolution a pour objectif d'arriver à l'égalité de tous les Cubains. Sauf que l'idéologie marxiste, quoique parée de bonnes intentions, n'est guère fortiche sur la question coloniale et donc la question du racisme. Elle oublie que les Noirs cubains ont accumulé, à cause du passé esclavagiste, un retard scolaire et universitaire par rapport à leurs compatriotes blancs. Elle oublie qu'ils partent de plus bas ou de plus loin et qu'il ne suffit pas de décréter l'égalité raciale pour que par un coup de baguette magique, ce retard soit résorbé. C'est si vrai que vingt ans après la révolution, un intellectuel cubain noir, Carlos MOORE, écrit un ouvrage pour dénoncer les inégalités raciales et notamment le fait que les trois-quarts des dirigeants cubains soient des Blancs alors que, selon lui, les Noirs sont majoritaires dans l'île. Sauf que...

   Sauf que là encore, il convient de faire un distinguo entre l'univers anglo-saxon et l'univers latino. Ils ne partagent pas du tout le même imaginaire racial. Barack Obama et feux Hugo Chavez ont tous les deux un père noir et une mère blanche, mais personne n'a jamais considéré le président vénézuélien comme un Noir. Donc dire comme MOORE que la majorité des Cubains sont noirs dépend du point de vue auquel on se place : oui, si on se place du point de vue anglo-saxon ; non, si on se place du point de vue latino. Mais bon, même en se plaçant du point de vue latino, force est de constater que durant les 60 ans de révolution cubaine, la grande majorité des dirigeants, ministres, généraux etc...cubains étaient clairs de peau. Peu de noirs de peau bénéficiaient d'une grande visibilité (sauf dans le sport et la musique évidemment).

   Tout cela pour en arriver à dire quoi ? Que certainement beaucoup de Noirs cubains ont dû ressentir une fierté profonde en voyant quelqu'un qui leur ressemble, dirigeant de la 2è puissance économique du monde, être reçu en seigneur à La Havane. Qu'en outre, vu que ce sont les plus pauvres et donc les Noirs cubains qui souffrent le plus des privations de biens de consommation, ceux-ci doivent espérer que le capitalisme améliorera grandement leur sort. Et c'est là, l'ironie de l'Histoire ! Car déjà les riches cubains (blancs) qui avaient fui en 1959 aux Etats-Unis fourbissent leurs armes judiciaires, entretiennent déjà des bataillons d'avocats pour récupérer, à terme, leurs plantations, leurs maisons, leurs hôtels etc...Les magnifiques demeures de la Vieille Havane, occupées par des Noirs après la Révolution, mais appartenant à de riches Cubains blancs ne manqueront pas d'être réclamés par leurs propriétaires, titres de propriété à l'appui.

   Car la retour du capitalisme à Cuba signifie aussi, proximité géographique oblige, retour de la ségrégation à l'anglo-saxonne. Ces Noirs cubains, qui certainement se pâment d'aise devant Obama, savent-ils qu'alors que les Noirs américains ne constituent que 15% de la population totale des Etats-Unis, ils forment 74% des personnes emprisonnées ? Savent-ils que la police y abat régulièrement de jeunes Noirs comme des lapins à travers tout le territoire étasunien ? Savent-ils que près de 37% des forces combattantes américaines sont des Noirs qui faute de travail, s'engagent dans l'armée et vont se faire tuer en Afghanistan, en Irak ou ailleurs ? Savent-ils qu'hormis une minuscule caste de Noirs richissimes (basketteurs, athlètes, acteurs, chanteurs, musiciens, politiciens etc.), la majorité des Noirs américains a un niveau de vie indigne d'une grande puissance mondiale ?

   Certes, la Révolution cubaine, pour les raisons expliquées plus haut, n'a pas totalement réussi à éradiquer le préjugé de couleur et la pigmentocratie, mais n'importe quel observateur un tant soi peu objectif, ne peut pas ne pas constater qu'être Noir aux USA est bien pire qu'être Noir à Cuba. Donc l'irréversible transformation de la société cubaine suite au dégel des relations avec le grand voisin yankee ne présage rien de bon pour les Noirs cubains.

   Ironie de l'histoire : c'est un Noir, Obama, certainement animé de très bonnes intentions, qui aura provoqué cette transformation...

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