De l'harmonie des profondeurs mythologiques, de l'étendue des eaux, de la splendeur océanique du vivant, émerge une communauté de pensée philosophique fédératrice par l'adaptation sportive et méditative au milieu marin. Les témoignages de Coralie Balmy, des athlètes apnéistes Guillaume Néry et Morgan Bourc'his, de l'aqua-cinéaste Jean-Charles Granjon et du nageur très longue distance Isma Huukena.
" THERE ARE TWO WORLDS,
THE ONE YOU KNOW ...
... AND THE ONE BELOW ! "
***
" IL Y A DEUX MONDES,
CELUI QUE VOUS CONNAISSEZ ...
... ET CELUI SOUS LA SURFACE "
(Michael Turner)
L'océanisation de la planète augmente tous les jours, il n'y a qu'à observer l'érosion côtière généralisée des continents et la fulgurante submersion d'îles et d'archipels. En revanche les échos-systèmes et les espèces se raréfient, leurs équilibres biotiques se fragilisent, alors que notre conscience placentaire, notre intuition du monde, d'amniotique origine, a tendance à s'évanouir, et notre glande pinéale à se dessécher.
Depuis son monde silencieux, l'Opéra - Océan offre encore quelques mers de sérénités à qui consent d'en entendre les musiques secrètes. Cet équilibre lyrique de la Création nous est interprété par cinq prodiges. Coralie Balmy nous en donne l'ouverture en virtuose soprano, Morgan Bourc'his, Guillaume Néry, Jean-Charles Granjon et Ismaël Huukena, excellent en ténors. Ces solistes solidaires, chacun dans sa discipline de prédilection, entrent en composition avec l'eau, jouant leur partition là où ils ont harmonisé le rêve, la mythologie, la maitrise de soi, l'exigence éthique et économique du respect environnemental, la performance de l'aquacité (motricité aquatique) sportive, l'écriture, la dimension poétique, philosophique et enfin spirituelle de notre présence nautile au monde.
Cinq médiums, cinq talents d'écriture qui nous rendent compte des messages de cet autre monde inconnu. Coralie Balmy, ex nageuse olympique, triple championne d'Europe sur 200, 400 et 800 mètres nage libre, fille du corail née des eaux de la mer des Caraïbes (prénom prédestiné, Bravo aux parents visionnaires !) soigne au quotidien les multiples stigmates de tortues marines en souffrance en mer Méditerranée, elle nous explique les origines de sa relation à l'océan. De leur côté Guillaume et Morgan, les deux apnéistes en très grandes profondeurs sont capables, pourrait-on dire comme des bougies qui s'éteindraient doucement, de gagner le coeur des fathoms grâce à l’accueuil, à la gestion et à l’accompagnement des révolutions métaboliques qui s'opèrent dans leurs corps, pour ensuite trouver la bonne raison de remonter vers la lumière. Jean-Charles, l'intrépide cinéaste-poète et globe trotter sous-marin pourrait être pris pour un dompteur de fauves pélagiques et de grands carnassiers, alors qu’il semble plutôt avoir été apprivoisé par eux. Ismaël est l’enfant du « Pito » (l’Épicentre océanique dans la mythologie marquisienne). Son origine Enata (né de parents marquisiens) le rappelle à l’ordre du Pacte des eaux. Il est revenu payer sa dette d’homme moderne envers l’océan par la natation en eaux libres, nageant durant des jours et des jours de mers afin de lui demander pardon pour son ingratitude.
Si la fameuse unité anglaise, le Fathom : mesure impériale de profondeur, n'avait pas été empreinte d'un certain colonialisme militaire, j'aurais été tenté d'anoblir les plongeurs par le titre de « Seigneurs des Fathoms » ("Lords of the Fathoms"). Cette unité de mesure, depuis émancipée de son impérialisme pan-océanique, est devenue par une heureuse métamorphose, celle des dimensions métaphoriques de l'imaginaire, des profonds de la pensée et des beautés mythologiques de l'humanité.
Les mythologies, notamment grecque (Poseidon), romaine (Neptune) et polynésienne (Taaroa aux Îles Marquises) rivalisent d'imagination pour garantir par le pouvoir du trident (le puroro en langue eo-enana) leur pleine souveraineté sur l'étendue de nos rêves et l'insondable des eaux. Ainsi pourrions-nous être sujets à d'irrationnels, vertigineux, et inconscients courants de pensées.
Coralie BALMY, née le 2 juin 1987 à Trinité. Martinique
Membre bénévole comme soigneur animalier du Centre d'Études et de Sauvegarde des Tortues Marines de Méditerranée ( le CEST Med) au Grau-du-Roi.
"L’océan est pour moi une immensité bleue, pleine de mystères et de richesses, qui nourrit des contes en tous genres, fait peur fait vibrer, fait rire fait pleurer. Née en Martinique, j’ai depuis mon plus jeune âge nagé dans l’océan. La légèreté, le sentiment de liberté et la douceur de l’eau m’ont tout de suite envoutée."
"Ma carrière de nageuse m’a amenée tous les jours dans l’eau, et cette sensation agréable que l’eau me procurait (et me procure encore) s’est transformée en addiction. Nous sommes fait de 60% d’eau n’est-ce pas ? Est-ce là la raison pour laquelle j’aime tant évoluer dans cet élément ?
Toute ma jeune histoire s’est écrite dans l’eau. La performance que je cherchais à atteindre en tant que nageuse de haut niveau m’imposait une humilité face à cet élément : se déplacer à travers une masse liquide le plus rapidement possible demande de l’écoute et de la patience. Mes sensations aiguisaient mes sens, mes sens amélioraient ma performance.
Solide, douce, froide, poignante, dure, réconfortante, agaçante, éblouissante, rassurante. L’eau est pour moi un vecteur d’émotions qui m’a permis de me découvrir et de me révéler.
La natation est simple : évoluer le plus vite possible du point A au point B. Les lois de la physique nous imposaient un alignement horizontal parfait, nos doigts et tous les grains de notre peau nous traduisaient nos déplacements.
En mer ou en piscine, l’eau a toujours eu une place majeure dans ma vie. La carrière de sportive de haut niveau est une chose, la vie de femme en est une autre. Je me consacre maintenant à la protection de l’eau, des océans et de la faune et la flore marine. A travers les tortues marines, nous essayons de révéler à chacun une conscience protectrice. Cette planète à 70% recouverte d’eau ne représente-elle pas un trésor précieux à protéger ?
Amener les personnes désireuses de découvrir, d’apprivoiser et de connaître la mer et les océans, tels sont mes objectifs de vie aujourd’hui.
La planète bleue attire et éveille la curiosité de beaucoup de passionnés, d’aventuriers et d’explorateurs. Aujourd’hui, au temps où les hommes marchent sur la lune et vont à la conquête des autres planètes du système solaire, nous ne connaissons que 5% de la profondeur des océans.
Il reste tant à voir, tant à faire. L’eau, cette essence précieuse si forte et si fragile à la fois, si belle et envoutante, continuera à nourrir la curiosité des hommes pour longtemps. Alors, protégeons ce trésor."
Morgan BOURC’HIS né le 7 avril 1978 à Tours (habite Marseille), depuis son journal de bord sur Facebook:
« Je suis un plongeur apnéiste [free diver] double champion du monde dans cette discipline atypique en 2008 et 2013, et je viens de partir pour une plongée à - 90 m qui durera 3’28. Je m’immerge avec une seule inspiration à la seule force de mes bras et de mes jambes en nageant la brasse, sans palmes et sans aucune autre assistance. »
[Dans un article intitulé : "C'est un vrai bouleversement sensoriel", de Frédéric Sugnot, journaliste de Libération le 28 août 2017, répondant à la question suivante : "N'est-ce pas là que se situe le plus grand danger, dans cette sorte d'oubli de soi ?" Morgan répondait :
"Non, parcequ'on garde une certaine humilité face à l'élément naturel, on plonge au large, on ne sait pas ce qu'il y'a au fond. Et lorsqu'on s'enfonce on se retrouve aussi confronté à la puissance du milieu marin et à notre petitesse. On plonge aussi avec toutes les peurs ancestrales qui entourent l'océan, les histoires de monstres marins, les projections fantasmagoriques d'un endroit réservé aux dieux"]
« On ne devient pas champion du monde de plongée en apnée par hasard, du jour au lendemain. Chacun a son histoire personnelle, la mienne contient évidemment toutes les subtilités qui m’accompagnent jusqu’à aujourd’hui. Plus de trente ans séparent mes premières immersions dans la piscine municipale de Joué-Lès-Tours, ma ville natale, de mon titre de champion du monde en poids constant sans palmes obtenu en Grèce en 2013.
Pourtant les deux sont liés. J’ai appris à nager très jeune, et j’étais spécialiste de la brasse lors des compétitions qui ont rythmé ma vie de pré-adolescent. Mais le ballon orange et les paniers m’ont cependant éloignés des bassins par la suite pendant plus de douze années. Courir derrière un ballon était plus amusant que de compter les carreaux pour moi. J’ai eu la chance de pratiquer le sport que j’aimais le plus à cette époque, et à haut-niveau, grâce au soutien de mes parents. Avec l’insouciance de l’adolescence, je rêve même d’être basketteur professionnel. J’aime le sport, et vivre en faisant du sport m’apparaît un idéal de vie extraordinaire. Mais il faut être très fort pour cela…"
Mes parents avaient aussi la bonne idée de nous emmener voyager tous en famille l’été au bord de la Méditerranée, parmi la multitude d’îles qui la composent. J’avais abandonné l’eau chlorée, mais je découvrais l’univers sous-marin. J’étais marqué par cet univers, plus que je ne l’imaginais. Les immersions rythment ces journées fabuleuses. Je tente même de respirer sous l’eau d’abord avec un tuyau d’arrosage et de manière désordonnée, puis plus tard avec un scaphandre autonome, lors d’un voyage aux abords de Marseille en 1993… J’ai alors quinze ans, je vois au loin d’immenses bateaux dans ce qui semble être une cité fantastique. Mais elle reste au loin, curieuse et énigmatique.
Le parquet des salles de basket-ball m’accompagnera jusqu’à l’université de Poitiers. Et bien des années après mes premières brasses, l’envie de nager me reprend. Le ballon orange m’amuse moins. Je n’ai plus le même âge ni la même maturité. Je découvre l’apnée en piscine en me rapprochant d’un club de plongée en 1999. J’enchaîne les longueurs, je découvre un plaisir immense. Je décide même de consacrer mes études sur cette discipline. Je travaille alors pendant deux ans sur la physiologie cardio-vasculaire de l’homme en apnée. J’étudie les adaptations du corps humain, et je tente de les ressentir en pratiquant la discipline. Je deviens l’un de mes cobayes lors de mes expérimentations.
Ces recherches m’amènent à Marseille en 2000, pour de nouvelles collaborations scientifiques et pour (re)découvrir l’apnée en mer. Je vis désormais dans la cité fabuleuse de mon adolescence. Je ne peux continuer mes études pour diverses raisons. Je deviens alors professeur de sport pour des enfants et des adolescents ayant des troubles du comportement et des troubles psychiatriques. Mais je continue à pratiquer assidument en me rapprochant d’un club local. Il existe peu de références sur l’entraînement à l’époque. Et fort de mes connaissances scientifiques sur le sujet et d’un parcours universitaire dans le sport, je prends rapidement les rênes de la structure. J’en suis encore le président aujourd’hui.
Je participe à ma première compétition en 2001. En 2005, je suis sélectionné une première fois en équipe de France AIDA d’apnée, pour disputer l’épreuve d’apnée dynamique sans palme. Il s’agit de nager la plus grande distance immergée en bassin… à la brasse. Un premier clin d’œil à mon premier sport. Autodidacte depuis le début, mes entrainements semblent pertinents. En 2006, nous sommes médaillé de bronze par équipe dans une compétition qui ressemble alors à la coupe Davis en tennis. Chacun rapporte des points en fonction de ses performances. Cette récompense collective est extraordinaire. En 2007, je bas mon premier record de France dans la discipline du poids constant sans palme, qui se nage toujours à la brasse. Mais ici, il s’agit de descendre au fond de la mer. En 2008, nous sommes sacrés champion du monde par équipe avec mes partenaires. Une récompense ultime après une première étape deux ans auparavant. La passion pour ce sport devient forte et j’aimerais bien en faire mon métier. Mais la profession « champion d’apnée » n’existe pas vraiment.
En 2011 j’obtiens mon premier podium individuel en championnat du monde, toujours dans ma discipline de prédilection. En 2012 je bas mon premier record d’Europe dans la mer des Caraïbes, aux Bahamas. En 2013, je deviens champion du monde en poids constant sans palmes. A partir de cet instant, tout s’accélère. Et un rêve devient réalité. 2014 est une année de transition professionnelle. Mon titre m’a apporté beaucoup de retombées médiatiques et de partenaires. Depuis janvier 2015, je suis devenu « champion d’apnée professionnel ! ». Je vis de ma passion grâce à mes sponsors, je suis ambassadeur pour des marques. Avec à mon expérience d’athlète de haut-niveau, je donne également des conférences en entreprises, j'ai aussi un rôle de consultant, et j’organise des stages d’apnée partout en France.
Après des années d'effort, avec le soutien de mes proches et la rencontre de personnes clés, je me suis donné les moyens de vivre un rêve d’enfant. J'ai su saisir les opportunités quand elles se présentaient, mais je reste persuadé qu'elles ne sont jamais le fruit du hasard.
Bienvenu dans mon univers, venez avec moi dans une autre dimension."
Points de réflexion, d'expérience de Morgan :
"Respectez des parenthèses dans votre journée ou dans votre vie vous permet de respirer facilement. Cela détourne l'attention de votre but et nettoie votre esprit. Par conséquent, vous êtes à nouveau disponible, accessible et productible"
"Respirer la douceur nous permet de comprendre la différence entre la rétention ou la suspension de la respiration. La première conduit à l'oppression, au forcing ou à une impasse. Le second est synonyme d'adaptabilité, d'évolution, et prend en compte les contraintes pour avoir plus de plaisir !"
"Savez-vous que la température moyenne de la surface de la mer (entre 0 et 200m) est de 17,5 ° C ? Et la moyenne générale est juste ... 3,5 ° C"
"Il est plus facile de nager, de plonger, de faire de l'apnée ou de se baigner dans les zones tropicales. Quoi de plus relaxant que de profiter du temps dans une eau à 25 degrés Celsius. Je suis d'accord !
Mais je recommande que vous expérimentiez différentes façons de profiter de l'eau, à n'importe quelle saison de l'année. Le froid amer sur le corps procure une sensation intense qui vaut la peine d'être contrôlée. "
« La photographie sous-marine ne consiste pas seulement à faire des reportages sur les paysages, la vie sous-marine ou les mouvements sportifs : vous pouvez inspirer le questionnement, le contraste, la réflexion ou la surprise grâce aux propriétés physiques de l'environnement. Ici, nous pourrions dire que faire le premier pas est ce qui compte le plus."
Ethimologie du prénom Morgan : (Celui qui vient de la mer, qui est né de la mer, en langue bretonne... tout de même, ça ne s'invente pas !)