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FATIMA MERNISSI, UNE LUMIERE ARABE S’EST ETEINTE AU MAROC

Par Youssef Ait Akdim (contributeur Le Monde Afrique)
FATIMA MERNISSI, UNE LUMIERE ARABE S’EST ETEINTE AU MAROC

Elle s’est éteinte en silence, elle qui emplissait le monde de son rire, de son charisme et de la hardiesse de ses propos. La sociologue et écrivaine marocaine Fatima Mernissi est décédée, tôt, lundi 30 novembre, à Rabat. Une disparition regrettée par les nombreux amis et élèves de cette figure complexe, à la fois universitaire et militante féministe, et qui a inspiré des profils variés, de la journaliste américano-égyptienne Mona Eltahawy à la figure de proue du féminisme musulman, Amina Wadud.

Pour s’être saisie avec courage des grandes questions de société – féminisme, islam et modernité –, Fatima Mernissi était devenue, d’abord au Maghreb puis au-delà, une icône pour toute une génération d’intellectuels. « Je suis née en 1940 dans un harem à Fès, ville marocaine du IXe siècle, située à 5 000 km à l’ouest de La Mecque, et à 1 000 km au sud de Madrid, l’une des capitales des féroces chrétiens », écrit-elle en incipit de son best-seller Rêves de femmes, une enfance au harem (Albin Michel/Le Fennec, 1994, le Livre de Poche, 1998).

Cette œuvre résolument fictionnelle tisse les fils de la mémoire en évoquant une multitude de figures féminines hautes en couleur. Dans la lignée assumée des Mille et une nuits, Mernissi y mêle le récit, par moments autobiographique, et des réflexions sociologiques par la bouche d’une fillette découvrant sa place dans le monde et, surtout, les frontières (hûdûd) fixées par une société patriarcale. Originellement écrit en anglais, l’ouvrage est traduit en vingt-cinq langues. Rêves de femmes consacre la carrière originale d’une sociologue sortie des sentiers battus de l’université.

Au service de « la liberté, la création, l’amour »

Après des études de lettres à Rabat, elle décroche une bourse pour la Sorbonne puis obtient en 1974 un doctorat de sociologie à l’université américaine de Brandeis (Massachusetts). L’année suivante, elle tire de sa thèse une première publication, Beyond the Veil, qui s’impose rapidement aux Etats-Unis comme un classique des cultural studies. Sa thèse : les profondes entraves à la liberté des femmes dans les pays dits « islamiques » ne trouvent pas tant leur origine dans les sources scripturaires que dans des formes de contrôle théorisées dans un second temps de l’islam, notamment sous la dynastie des Omeyyades.

Mernissi retourne ensuite enseigner la sociologie à l’université Mohammed-V de Rabat. Elle y côtoie les principales figures de l’avant-garde intellectuelle, dont Abdelkébir Khatibi, qui la présente au poète Mohammed Bennis. « Elle a brillé bien au-delà de la sociologie, car elle a ouvert des fenêtres vers la culture arabe et islamique, témoigne le poète, ému de cette disparition. « Vous me l’apprenez », confie-t-il, au téléphone depuis la Chine, où il est en déplacement.

Fatima Mernissi aimait aussi courir le monde, de conférences en cérémonies. En 2003, l’intellectuelle reçoit le prix Prince des Asturies – le Nobel espagnol – que lui remet alors le prince Felipe, pas encore souverain. Cette large reconnaissance n’empêche pas des moments plus douloureux, une solitude parfois, qui semblent avoir été moteur dans son écriture et son engagement civique. La parution, en 1987, de son livre Le Harem politique (Albin Michel, 2010), l’expose à la vindicte des islamistes marocains et de certains oulémas. La sociologue y plaide, après avoir démontré qu’il a été falsifié, une réappropriation du message du prophète Mahomet, qu’elle oppose à la « misogynie » de son successeur, le calife Omar. « En tant que femme, Fatima a toujours bataillé pour revendiquer sa place dans la culture marocaine, et plus largement dans le référentiel arabo-musulman. Elle y a défendu la liberté, la création, l’amour », insiste Mohammed Bennis.

A partir des années 1990, Mernissi s’engage dans la vie associative au Maroc. L’écrivaine reconnue anime des ateliers d’écriture avec des amateurs, des militants des droits humains, d’anciens prisonniers des « années de plomb » marocaines (années 1960 à 1980), des journalistes. Tous se sentent aujourd’hui orphelins. Comme Fadma Aït Mous. Cette politologue a été la dernière à l’interroger longuement pour son ouvrage cosigné avec Driss Ksikes, Le Métier d’intellectuel. Un recueil de dialogues avec quinze penseurs du Maroc qui a reçu le prix Grand Atlas le 20 novembre, à Rabat. « J’ai rencontré Fatima en 2008, se souvient Fadma Aït Mous. A moi qui voulais l’interviewer, elle m’a orienté vers mes origines. Par son humilité, elle incarne la générosité, la curiosité intellectuelle, la joie de vivre et la capacité de s’émerveiller au quotidien des petits fourmillements de la vie sociale. »

 

Le legs de Fatima Mernissi paraît immense. Fadma Aït Mous en retient « une grande maîtrise du patrimoine musulman, un travail étymologique minutieux où elle décèle des formes de modernité et dans lequel elle puise l’essence d’un islam cosmique, remède contre la peur et les cloisonnements territoriaux des temps présents ».

 

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