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Florent Charbonnier, directeur de CARAIBEDITIONS ou la passion du livre

Raphaël Confiant
Florent Charbonnier, directeur de CARAIBEDITIONS ou la passion du livre

   La vie est une drôle de chose quand même. Vous croisez des gens, de manière furtive ou imprévue, et vous ne vous doutez pas que dans dix ou quinze ans, vous serez amenés à collaborer de manière très étroite avec eux. 

   J'ai rencontré Florent CHARBONNIER, le directeur de CARAIBEDITIONS, dans un avion. Un vol Guadeloupe-Martinique, si mes souvenirs sont exacts, un soir où nous rentrions sur Fort-de-France. Le hasard nous avait placés côte à côte. C'était à la toute fin du siècle dernier ou au tournant du nouveau siècle, je ne sais plus. C'est lui qui m'a adressé la parole car en avion, je suis toujours stressé, n'aimant pas du tout l'idée d'être enfermé dans un tube de métal volant et attaché à un siège en plus. J'avais noté une pointe d'accent québécois et un visage qui respirait la sympathie. M'ayant dit qu'il dirigeait une concession automobile pour une grande marque, en Martinique, je lui avais fait part de mon allégeance à l'Austin Mini et des petites voitures en général, chose qui l'avait fait sourire, mais à aucun moment il n'avait tenté de m'inciter à acheter l'une de ses BMW ou Mercedes (je ne sais plus).  

   Puis, nous nous étions salués à l'arrivée à l'aéroport qui ne s'appelait pas encore Aimé CESAIRE et nous ne sommes plus revus pendant des années. 

  Jusqu'au jour où, dans une librairie de Foyal, je tombe sur un album de bandes dessinées en créole. Tintin ou Astérix, là encore, je ne m'en souviens plus. Il y avait déjà, certes, eues des expériences de ce genre avec MGG de Tony DELSHAM ou encore le magazine "FOUYAYA" d'Alexandre CADET-PETIT, mais là, avec cet album estampillé "Caraibéditions", une étape décisive se trouvait être franchie. On était dans du pro, du léché, du professionnel, du boulot de niveau international, quoi ! Puis, dans les mois qui suivirent, d'autres albums parurent. Sur le moment, je ne savais pas qui était derrière CARABEDITIONS. J'ignorais que le sympathique personne avec un léger accent québécois que j'avais rencontré dix ans plus tôt dans un avion et qui dirigeait une grosse concession automobile avait largué tout ça et s'était embarqué dans la difficile aventure, la périlleuse aventure même qu'est l'édition.

   Il s'agissait pourtant bel et bien de Florent CHARBONNIER dont le nom m'était resté, moi qui ai pourtant peu la mémoire des noms.

   L'édition, je connaissais. J'avais d'abord commencé par l'autoédition de mes 5 premiers livres, tous en créole, entre 1979 et 1987 car à l'époque aucun éditeur n'aurait été assez fou pour publier un livre entièrement en créole et surtout pas des romans tels que les miens. Puis, j'avais collaboré avec deux éditeurs extraordinaires : d'abord, Emile DESORMEAUX, pour lequel je lisais des manuscrits et avais rédigé maints articles, notamment ceux liés à la langue et à la culture créoles, pour sa fameuse Encyclopédie des Antilles-Guyane en 7 volumes ; ensuite, plus tard, un personnage tout aussi extraordinaire, Jean-Louis MALHERBE, fondateur des éditions Ibis Rouge, installé, lui, en Guyane. J'ai publié pas moins de cinq ouvrages chez lui et me suis occupé de la fameuse collection "GUIDES DU CAPES DE CREOLE" qui sortit 12 guides l'année même où fut créé le CAPES de créole.

   Tout cela n'empêchait évidemment pas les malhonnêtes de déclarer que "CONFIANT préfère se fait publier par les éditeurs parisiens". Pff ! D'abord, on ne "préfère" pas, on est choisi par un éditeur sur la base d'un manuscrit qu'on lui a soumis qu'il a lu avant de le soumettre au comité de lecture de sa maison d'édition. 95% des manuscrits envoyés par la poste sont rejetés chez les grands éditeurs des bords de la Seine !

   J'ai donc toujours été attentif à l'édition locale et ai toujours travaillé avec elle tout en étant conscient qu'un livre publié localement n'aura jamais la même audience que s'il l'avait été par Gallimard, Mercure de France, Grasset ou Le Seuil. Ce n'est pas parce que nous sommes en "Outremer" selon l'expression consacrée. Un éditeur régional de l'Hexagone, belge, suisse, québécois, maghrébin ou africain, tout comme un éditeur antillais, sera toujours en marge de la République des Lettres dont Paris est la capitale. Et la Ville Lumière n'est pas que la capitale des francophones, mais la capitale mondiale de la littérature ! Le boom latino-américain des années 70-80, par exemple, avec Garcia MARQUEZ et les autres, a démarré à Paris. La découverte de la littérature dissidente d'Europe de l'est (avec SOLJENYTSINE entre autres), à l'époque du communisme, également.

   Pour en revenir à CARAIBEDITIONS, j'ai été fort surpris de découvrir que l'ex-PDG d'une grosse concession automobile en était le fondateur. Florent CHARBONNIER, que je revoyais, une bonne dizaine d'années après notre rencontre fortuite dans un avion, était demeuré le même : abord sympathique, détermination, projets en pagaille, dix idées à la minute, enthousiasme contagieux, amour profond pour le livre et tutti quanti. Il travaillait sur les deux îles (Guadeloupe et Martiniquais) et surtout labourait le terrain hexagonal au niveau des librairies et des médias, chose que n'ont jamais fait ou su faire ses prédécesseurs. J'ai donc publié ou republié plusieurs livres chez CARAIBEDITIONS et à l'occasion de la sortie de celui que j'ai écrit sur Frantz FANON, "L'Insurrection de l'âme", j'ai pu mesurer à quel point il avait réussi à se constituer tout un réseau de journalistes, de libraires, de bibliothécaires et de militants associatifs à travers tout l'Hexagone, en particulier à Paris et à Bordeaux. En fait, il avait assuré la promo de ce livre exactement comme l'aurait fait un grand éditeur parisien. Chapeau !

   Chapeau d'autant plus qu'un bouquin n'est pas une BMW. Il existe tout un système de prêt aux Antilles ("Achetez maintenant en octobre et commencez à payer en janvier !") parfaitement rodé qui permet une rotation hallucinante du parc automobile. Quand quelqu'un paie une traite de voiture 500 euros mensuels, il est clair qu'il ne va pas songer à acheter des livres. Les Smicards, les gens au RSA et autres "malheureux", comme on dit en créole, ont, eux, d'autres chats à fouetter, pris à la gorge qu'ils sont. Le livre aux Antilles est donc pris dans une sorte d'étau formé d'un côté par une petite-bourgeoise hédoniste et à moitié inculte et de l'autre de masses populaires condamnées à lutter au jour le jour pour tenter de garder la tête hors de l'eau.

   Ce qui a deux conséquences : la majorité des lecteurs de nos auteurs ne se trouve pas aux Antilles  et aux Antilles, la majorité des lecteurs ou en tout cas d'acheteurs de livres est composée de..."métros".

   Je vois déjà nos grands nationalistes-indépendantistes-machins hurler au mépris des Antillais. Non, je ne méprise rien du tout. Je constate ! Point à la ligne. Donc il faut vraiment avoir l'amour du livre chevillé au corps comme DESORMEAUX, MALHERBE et CHARBONNIER pour mettre ses billes dans une activité économique aussi peu lucrative et aussi risquée (quand un bouquin ne se vend pas, il reste sur les bras de l'éditeur ! L'auteur, lui, n'en souffre pas, hormis son amour-propre). C'est ce qui explique que dans la plupart des pays, l'édition reçoive des aides publiques conséquentes, notamment au Québec. Cela a rarement été le cas aux Antilles, hormis en Guadeloupe, à l'époque d'un certain dirigeant grand amoureux du livre. En Martinique en tout cas, pays pourtant de CESAIRE, FANON et GLISSANT, auteurs qui ont permis à la minuscule Martinique d'exister au plan mondial, rien de tel et cela quel que soit le parti politique au pouvoir ! Il n'y a d'ailleurs pas non plus de politique linguistique et c'est pourquoi le créole est en train de se déliter.

   Bref...

   En dépit de tous ces obstacles, Florent CHARBONNIER fête les 10 années d'existence de sa maison d'édition, CARAIBEDITIONS. Dire que ce parcours n'a pas été un long fleuve tranquille serait un euphémisme. En fait, il lui a fallu souquer, ramer, se démener, résister au découragement, faire preuve d'inventivité, afin de pouvoir traverser les tempêtes, tout cela pour la promotion du livre antillais. Lui qui n'est pourtant pas Antillais de naissance mais d'adoption ! Voici qu'aujourd'hui, il va encore plus loin en créant une "Collection Blanche", ces fameuses collections à couverture sobre qui, chez les grands éditeurs, servent à publier les auteurs reconnus ou en devenir.

   Si quelque autorité martiniquaise ou guadeloupéenne pouvait lire le présent article et comprendre qu'il faut absolument épauler CARAIBEDITIONS, nous autres, auteurs antillais serions  grandement encouragés à publier chez nous et non à l'extérieur... 

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