Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL
DIRES DU MONDE

HOMMAGE A MON AMI L'ABBE SOUCHON

Khal Torabully
HOMMAGE A MON AMI L'ABBE SOUCHON

Malcolm de Chazal nous a quittés à nouveau

Que dire quand une grande âme vous quitte?

Parfois, se rappeler les petites choses partagées ensemble, qui révèlent l'ampleur du vide laissé par un être hors pair.

Et c'est le cas pour ce prêtre débonnaire, actif, avec une personnalité atypique, pétri de bon sens et voué à favoriser le dialogue entre les groupes humains de cette île Maurice paradoxale. Face à la nouvelle de son grand départ, je me sens, comme tous, un peu dépossédé d'une présence qui inspirait un mieux-vivre ensemble que ce pays doit continuer à poser dans les allées de ses différences que l'on agite parfois pour des besoins sectaires...

Tourner un film sur les traces de "l'oncle Malcolm"

Car Henri était de toutes les présences, de toutes les paroles... Je l'ai constaté à son enterrement il y a deux jours.

Henri, je l'ai connu quand, il y a quelque 17 ans, je tournais un film sur Malcolm de Chazal, avec le soutien de France Télécom et la Société Littéraire de la Poste de France. Le photographe Sobha, sachant que je cherchais un "double" de Malcolm, me conseilla de contacter l'abbé et de lui proposer le rôle de "l'oncle Malcolm". En effet, il était son neveu. Démarche téméraire à première vue. J'ai appelé l'abbé qui souhaitait m’entendre de vive voix.

Je l'ai rencontré à la Cure, à Port-Louis. Il m'a écouté, la tête penchée à droite, d’un air que j'ai interprété comme dubitatif.

Jusqu'au moment où il s'est fendu de son éclat de rire sonore, que je qualifierai de "rire nègre" qui aurait plu à Senghor, pour me dire: "Khal, ce que vous me proposez là est révolutionnaire. J'aurai certainement des "remarques"…". Je lui ai répondu, d'un air convaincant, en citant Chazal de mémoire: "Les prêtres ignorent souvent qu'ils sont des poètes et les poètes ignorent souvent qu'ils sont des prêtres..."  J'ai expliqué au Père Souchon que j'ai failli faire une thèse sur Malcom de Chazal, mais que je trouvais qu'un film pourrait le faire sortir dans l'oubli dans lequel il était plongé à Maurice à l'époque. Je lui avais précisé que Malcolm était un de plus grands auteurs de la coolitude avec Marcel Cabon, donc un auteur d'actualité.

L'abbé sortit de son écoute soutenue: "Je suis d'accord avec vous, il faut rendre un hommage à l'oncle Malcolm. Mais pensez-vous que je serai à la hauteur??" Il avait certes l'appréhension de "jouer son oncle". Je lui ai parlé de types de scènes à réaliser: pas de prise de parole en direct, des textes lus en off, une présence «en silhouette» ne demandant pas le jeu d'un comédien expérimenté...

"Bon, c'est bon, je suivrai à la lettre tout ce que vous me direz. je vous fais confiance. On commence quand?"

Ouf... Je pouvais commencer le film Malcolm, le tailleur de visions (52’) sans tarder!

L'accord était conclu par une franche poignée de mains. Le visage radieux de l'abbé Souchon m'a rasséréné.

Sobha avait raison.

La ressemblance avec Malcolm de Chazal, une fois le chapeau de feutre et le nœud pap posés sur l'abbé, était confondante.

Tournage: "Chazal n'est pas mort"...

Nous avons commencé le tournage deux jours après.

Sobha a réalisé de nombreux clichés de ce tournage.

Je me rappelle la première scène tournée à la Vallée des Prêtres.

J'étais avec le britannique Bob Latimer qui officiait à la caméra et des assistants.

Je filmais l'abbé souvent de dos ou au trois quarts de profil.

Et la première scène commença quand je demandais au père Souchon de regarder les montagnes du Moka Range et de faire semblant de leur parler. Tout proche, un maquignon faisait paître un troupeau de bœufs. Dès l'actionnement de la caméra, je ne sais par quelle conjonction d'événements "telluriques", le mâle dominant du troupeau a chargé pêle-mêle l'acteur chazalien et le caméraman, et on a dû démâter d'urgence, car la charge était explosive. Nous sommes allés plus loin, lorgnant l'animal fougueux du coin de l'œil. Nouvelles instructions, "action", nouvelle charge... L'abbé, hilare, finit par m'adresser un amical reproche: "Khal, tu ne m'as pas dit que jouer Malcolm était aussi dangereux", remarque assortie de son immense éclat de rire. "Mais qu'est-ce qu'on s'amuse bonhomme..."

J'abandonnai ce site pour ne pas mettre le tournage en péril et l'on se dirigea au célèbre "Mitre du prêtre"... Le documentaire montre cette image de Malcolm visitant les monts, qui irrigue son texte Petrusmok.

La présence du père Souchon fut un vrai régal.

D'autres épisodes "étranges" jalonnèrent le tournage du documentaire. Comme celui proche de la tombe de Malcolm, où le soleil radieux se changea en nuée cinq fois de suite, empêchant la prise d'images. Puis, le tournage au Marché Central où le «tisannier» Naiken, qui avait connu l'oncle Malcolm, m'interpella en me disant qu'il a failli avoir une attaque en voyant le "fantôme de Malcolm". "Quoi, Malcolm n'est pas mort, ha, il ne faut pas trop croire ce que racontent les journaux!" Remarque frappée au coin du bon sens, il est vrai... Je lui expliquai que ce n'était que l'abbé Souchon dans la peau de Chazal.

.... Prémonition? Je sus que l'affable Naiken succomba par la suite d'une crise cardiaque lors d'un tir de penalty dans un match opposant l'Allemagne à une autre équipe dans une Coupe du Monde...

Une semaine plus tard, nous avions terminé le tournage à la Cambuse, où l'abbé brûla nombre de documents représentant des textes que Chazal réduisit en cendres dans un accès de colère. Puis, ce fut la suite du tournage à Paris, avec l'immense Sarane Alexandrian, le "lieutenant" de Breton, auteur de Ma Révolution, dans laquelle il reproduit la lettre que Chazal écrivit aux Surréalistes, critiquant leur égarement dans le labyrinthe de l'inconscient, alors que sa théorie de l’Unisme menait à la lumière... Sarane vint à Maurice et je lui fis rencontrer l'abbé Souchon. Le courant passa bien entre ces deux esprits, l'un catholique, l'autre animiste...

Au théâtre de Port-Louis, Chazal renaît...

Puis, ce fut la projection du film au théâtre de Port-Louis.

Avant cet événement, la Municipalité de Port-Louis, très active culturellement, m'avait demandé de faire un choix d'aphorismes de Chazal, que j'avais placés sur des écriteaux le long du parcours culturel face au théâtre, que l'on peut encore voir. Le PM de l'époque vint inaugurer cette allée. L'abbé visita le lieu en ma compagnie et s'arrêta sur une citation de Chazal: "Dieu est le plus parfait des abrégés". Il me dit: "Magnifique, tu vois, j'ai bien fait d'accepter de jouer dans ton film!" Puis, soudain, il m'apostropha et me dit: "Tu es l'homme par qui le scandale arrive..." Je le regardai, étonné. Il signifiait par cela que la Fondation Malcolm de Chazal était née dans le sillage de ce documentaire. Je fus, en effet, invité à une réunion, au Parlement, pour discuter de ses bases.

Ce film avait donc porté ses fruits, au-delà même de nos espoirs! Et l'on connaît la suite. La Fondation est logée non loin de l'allée des aphorismes, dans le vieux Port-Louis historique. Et le film fut projeté à Paris, Amiens, Maurice et dernièrement, à Grenade, en Espagne, tout dernièrement.

Après ces résultats marquants, je décidai de partir à d'autres projets.

Mais avant, L'abbé me confia une mission. Il me donna une copie de Petrusmok.

"S'il te plaît, fais rééditer ce livre en France". Et les droits? "Je te les donne, je sais que tu aimes Malcolm et tu en feras de bonnes choses..." Qui ne serait pas touché d’une telle marque de confiance?

Quelque temps après, le film ayant fait des remous, je reçus une lettre des éditions Léo Scheer, me demandant l'autorisation de rééditer Petrusmok. Je répondis par l'affirmative. J'en informai l'abbé à une de mes visites. Et aussi, je lui fis part d’une excellente nouvelle qui le ravit. Lors d'un projet que je menais pour Gallimard, Jean-Paul Lacombe me demanda comment Gallimard pouvait me remercier. Je lui répondis: "Rééditez Sens Plastique, il est épuisé!" Lacombe me dit: "Donnez-moi une petite heure, je reviens vers vous..." Il m'appela et me dit: "C'est d'accord. Nous vous devons bien ça..." Rien, en effet, ne pouvait davantage me faire plaisir. Il m'envoya une copie de la réédition quelques semaines après. Les retombées positives étant là, je poursuivis mon itinéraire sous d'autres cieux. Et l'eau a coulé si vite sous les ponts...

Notre dernier entretien

Je passais voir l'abbé à la Cure quand j'étais à Port-Louis.

Je l'ai vu la dernière fois l'an dernier. Sans prendre rendez-vous – il m’accordait volontiers cette licence poétique - je suis passé le saluer. Il n'y avait pas de protocole entre nous. Le respect mutuel et l’amour des êtres et des lettres nous unissaient.

On s'est assis au même endroit, dans les fauteuils du salon.

On a parlé de religions, de littérature, de Malcolm, des SDF...

Je lui ai parlé de l'abbé Pierre. "Un homme admirable!".

J'avais écrit un texte sur ce Gandhi français, sur son "insurrection de lumière". Inutile de dire combien le père Souchon trouvait son combat indispensable.

Il m'a expliqué aussi combien il était inquiet de la montée des injustices et de la violence dans le pays, et m'a montré des «cutters» et couteaux qu'il avait "saisis", pour prévenir des agressions dans la rue. "Maitnenant, c’est l’arme qui parle. Quel malheur!…" Comme toujours, l'abbé avait devant lui une autre mission, aider les plus défavorisés, monter au créneau dans une société qui se déshumanise de plus en plus, lutter contre la haine, la misère...

Nous avons bu du thé. Même s'il parlait avec la même fougue, je l'ai trouvé fatigué. Je le savais malade.

Je me suis dit: il est solide, il va rester avec nous. Il m'a dit, comme s’il lisait dans mes pensées: "Tu vois, cela m'embête de rester au lit ou enfermé chez moi... Je me trouve plus utile à aller voir mes tontons". Ses tontons? Entendez par là, ses amis les SDF...

Au moment de prendre congé de lui, il me dit: "J'ai une confidence à te faire. Depuis que j'ai débuté comme acteur dans ton film, il m'est arrivé plein de choses. Je suis devenu une vedette (grand éclat de rire). Je ne peux compter le nombre de fois où j'ai joué mon rôle de prêtre au cinéma. Je viens de marier des amoureux dans un film de Bollywood, à Marie Reine de la Paix, l'acteur Salman Khan, devant une grosse foule de curieux... Tu vois où suivre les pas de l'oncle Malcolm m'a mené???"

L'air amusé, l'air émerveillé. L'abbé tel qu'en lui-même...

Il avait su garder cette candeur admirable devant l'adversité, c'est là l'une des leçons que je retiens de lui.

Oui, il y avait chez lui du pur Chazal, celui-là même qui disait: "Le génie est celui qui, passé l'âge de la puberté, a su conserver le regard de l'enfant".

C'est là un de ses points de force. Une inspiration pour toutes et tous.

Dans ces jours difficiles de deuil, j'adresse mes condoléances émues à sa famille, et particulièrement, à Véronique Le Clézio, sa nièce, qui conserve cette "insurrection de la lumière" qu'a portée cet homme exceptionnel.

Car le père Souchon est pour moi l'abbé Pierre de Maurice. Un homme qui a vécu sa foi dans la chapelle ardente de l'autre, au service des plus démunis. Et il a été ce que fut Chazal: "un mauricien sans frontières"...

Qu'il repose en paix avec ses "tontons" à Bois Marchand...

(a) Khal Torabully, 17/9/2013

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages