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INTERVIEW DE ROCK WAMYTAN PREMIER PRESIDENT INDEPENDANTISTE DU CONGRES DE NOUVELLE-CALEDONIE

Lisa David ITW à Nouméa le 10 octobre 2011
INTERVIEW DE ROCK WAMYTAN PREMIER PRESIDENT INDEPENDANTISTE DU CONGRES DE NOUVELLE-CALEDONIE

Rock Wamytan, élu FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) de la Province Sud depuis 1989, est redevenu le premier président indépendantiste du Congrès de Nouvelle-Calédonie le 19 août dernier.

Déjà élu le 1er avril 2011, avec des voix indépendantistes mais aussi du Rassemblement UMP, son élection n’avait pas fait que des heureux. Suite à un recours de Calédonie ensemble, (Droite) le Conseil d’Etat avait invalidé son élection en juillet 2011, pour irrégularités.

Rock Wamytan a été signataire des accords de Nouméa de 1998, au nom du FLNKS dont il a été le président de 1995 à 2001. A l’occasion d’un voyage en Nouvelle Calédonie, Lisa David l’a rencontré pour nous.

Montray : En juillet dernier, le Premier ministre François Fillon est venu ici où il a assisté à la levée des deux drapeaux kanak et français, qui flotteront désormais côte à côte en Nouvelle-Calédonie. Il a ainsi officialisé la légitimité du drapeau kanak. Une légitimité confirmée, un mois plus tard lors de son passage en août, par le Président de la République Nicolas Sarkozy. Ce n’était pourtant pas gagné, il y a même eu des manifestations à Nouméa contre le drapeau kanak considéré par certains comme étant le symbole de la lutte de libération. D’autres ont voulu un drapeau commun qui remplacerait celui du FLNKS au coté de la bannière tricolore.

C’est votre victoire, celle du camp indépendantiste ?

Rock Wamytan : Pour nous, c’est une victoire, une avancée significative. Il s’agit là d’une reconnaissance officielle de notre drapeau qui est le signe de ralliement à notre cause, à notre combat pour l’émancipation, la décolonisation, l’indépendance de notre pays.

Que ce soit le gouvernement, à ce niveau de responsabilité qui ait accepté qu’à coté du drapeau français flotte notre drapeau, pour nous c’est une avancée importante.

Montray : Quand on marche dans les rues ici, on remarque que beaucoup de jeunes notamment, arborent le drapeau kanak qui figure sur leurs vêtements, leurs foulards, les auto-collants sur les voitures. Il y a manifestement là un signe de fierté identitaire affirmé, revendiqué. Qu’en est-il aujourd’hui de l’idée même de l’indépendance avant le référendum prévu en 2014 ?

Rock Wamytan : Disons que dans la population kanak, la grande majorité est indépendantiste à plus de 90%. Ça se confirme dans les résultats électoraux. Si on accordait le droit de vote uniquement aux Kanak, nous serions indépendants depuis longtemps. Toute la population mélanésienne d’origine kanak souhaite être indépendante et maîtriser son destin. Le problème ce sont les autres, puisque nous avons été noyé par l’immigration. Une immigration organisée, pensée, dans le cadre de la colonie de peuplement. La France a toujours voulu faire de la Nouvelle-Calédonie un centre de peuplement dans cette partie du monde, dans le Pacifique. C’est vrai qu’elle n’avait pas toujours bien réussi, mais depuis une quarantaine d’années, ils sont en train de réussir. Et nous le sens de notre combat il est là, c’est à dire de freiner au maximum l’arrivée massive de métropolitains. Cela fait partie d’une politique que nous connaissons, d’une stratégie des pouvoirs public français.

Montray : Vous êtes déjà minoritaires ou à égalité actuellement dans votre pays ?

Rock Wamytan : En fait nous étions majoritaires jusque dans les années 1970, 1975 et ça a basculé avec le faux boum du nickel, comme on l’a appelé à l’époque. On a dit le boum du nickel, mais moi je dis que c’est un faux boum parce qu’on a gonflé exagérément les prix de l’époque pour faire venir du monde. Il y a eu un appel d’air et beaucoup de gens sont venus de Métropole mais aussi de la Polynésie, de Wallis et Futuna etc...Ce qui fait que l’équilibre démographique a basculé en notre défaveur. Nous avons été noyés par toute cette masse de gens. Il y en a qui sont repartis avec la crise, disons que nous somme actuellement à peu près à 50% de la population. Mais il faut continuer à nous battre pour éviter qu’on soit complètement noyés, nous avons affaire à un pays de 64 millions de personnes. Le problème pour nous se situe au niveau de la croissance démographique Kanak.

Montray : Il y a eu le faux boum du Nickel disiez-vous. Dans le cadre des accords signés après les évènements survenus dans les années 80, un partage des richesses minières est prévu, avec l’installation de l’usine du Nord. Qu’en est-il aujourd’hui et quelle est la place des Kanak dans le développement économique du pays ?

Rock Wamytan : L’usine du Nord a été un événement clé du rééquilibrage de la Nouvelle-Calédonie. On s’est aperçu que Nouméa s’est beaucoup développée, attirant les populations du Nord et des Îles. Nous avons pensé, depuis une vingtaine d’années, mettre en place cette usine, de façon à ce que ça puisse être un élément déclencheur d’une nouvelle dynamique de développement dans le Nord. Ceci pour fixer les populations, rééquilibrer le pays et permettre l’insertion des Mélanésiens dans le monde économique, entre autres. C’est vrai que tous les Kanak ne vont pas travailler dans l’usine, mais cela permettra d’enclencher le mécanisme.

L’usine du Nord va normalement être opérationnelle à partir de 2012, 2013 si ça ne prend pas encore du retard. Tout doucement les Mélanésiens s’insèrent dans le système économique mais c’est très long, parce que ce n’est pas notre système de valeur au départ. Nécessité oblige, nous sommes en train d’entrer dans le monde économique et on voit de plus en plus des sociétés dirigées par des Kanak se créer.

Montray : D’après ce que j’ai pu entendre, les insatisfactions sont encore nombreuses. Le système éducatif ne permettrait pas la réussite des Kanak et en conséquence ils profitent pas assez du développent économique.

Rock Wamytan : Le problème c’est que le système éducatif n’est pas pensé par nous, c’est l’éducation nationale française. On a du mal dans le cadre de ce formatage franco-français fait pour des Français de Métropole. Cet enseignement n’intègre pas nos valeurs. C’est tout le sens du combat politique que nous menons au niveau du pays, avec bien sûr les responsables politiques, les responsables coutumiers, les responsables d’associations. Pour faire en sorte que ce système éducatif qui n’est pas le nôtre, qui nous est imposé depuis 150 ans, prennent en compte les valeurs qui sont les nôtres, qu’il prenne en compte ce qu’est l’enfant mélanésien, l’enfant océanien dans son milieu avec son système social, son système de liens familiaux, claniques etc... Pour le moment on en n’est pas là, parce qu’il y a des lobbies.

Montray : Vous n’avez pas localement le pouvoir d’influer sur les programmes scolaires ?

Rock Wamytan : A partir du moment où on n’a pas les majorités nécessaires pour changer le système, c’est compliqué. Il nous faut aller à la discussion, au débat, mais quand on a des lobbies qui défendent le système français et qui pensent tout haut et tout fort qu’en dehors du système français, il n’y a pas de salut, comment faire ?
C’est petit à petit, à petit pas qu’il nous faut progresser par la discussion, par la négociation pour faire évoluer cet espèce de bloc complètement rigide qui est là. Le jour où nous aurons la majorité pour pouvoir faire évoluer les choses, ce sera différent. Même au niveau du transfert de compétence, nous ne sommes pas arrivés à faire transférer les programmes à la Nouvelle-Calédonie. C’est fondamental que ce soit la Nouvelle-Calédonie qui pense ses programmes en fonction de son contexte culturel, socio économique. Les programmes sont métropolitains. Nous n’avons pas réussi à cause des lobbies. Même avec l’enseignement (1) qui nous sera transféré à partir du 31 décembre 2011, la marge d’adaptation reste extrêmement faible. C’est un grand échec.

Montray : Et les langues kanak n’ont toujours pas trouvé leur place dans l’enseignement, contrairement à ce qui est prévu par l’ accord de Nouméa.

Rock Wamytan : C’est prévu dans l’accord de Nouméa que les langues Kanak soient des langues d’enseignement. Mais on a du mal à les faire accepter.

Montray : Cela a été un combat aussi en Martinique pour que notre langue soit reconnue et enseignée...

Rock Wamytan : A la Martinique, vous avez de la chance, l’ensemble des Martiniquais parle créole. Nous avons plusieurs langues et vous êtes majoritaires chez vous. Le fait qu’il y ait beaucoup de métropolitains qui arrivent et qui mettent leurs enfants à l’école, ça vient renforcer les lobbies contre nous, contre les volontés politiques qui s’expriment de la part des associations, des élus, des responsables politiques, des responsables coutumiers kanak. On a toujours affaire à ces lobbies qui se renforcent de plus en plus, au fur et à mesure que les gens arrivent. Parce qu’ils mettent leurs enfants à l’école ici et veulent trouver le même enseignement qu’en Ardèche, en Alsace ou en Lorraine.

Montray : Le 24 septembre dernier, à Balade, à l’occasion de la fête de la citoyenneté, Pierre Fogier, homme de droite, ancien président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, a, dans son discours, proposé que le «lien entre les femmes et les hommes de Nouvelle-Calédonie, soit le geste coutumier, qui en plus de sa valeur coutumière, pourrait devenir ce geste d’amitié que chacun intégrerait dans ses pratiques. Ce geste deviendrait un signe d’alliance, de lien, et donc d’unité entre toutes nos communautés....»

Petit à petit ce sont des pas vers la reconnaissance du peuple, de la culture Kanak ?

Rock Wamytan : Ce sont nos adversaires par rapport à l’indépendance, mais nous sommes partenaires pour la gestion des affaires internes de la Nouvelle-Calédonie. Chez eux aussi, disons que les esprits évoluent, ils sont en train de se rendre compte que la France est loin. S’accrocher toujours à la France et installer une sorte de corridor de Dantzig vers la France qui est à dix huit milles kilomètres, ça coute de l’argent. Ils comprennent qu’il faut qu’ils s’accrochent à quelque chose qui est ici. S’accrocher à quoi ? S’accrocher au monde mélanésien puisque nous sommes en Mélanésie. On est dans un pays mélanésien qui a une histoire mélanésienne de plusieurs milliers d’années, avec le Vanuatu, les Fidji, les Salomon, voilà.

Quand Pierre Fogier propose ce geste de la coutume, ce n’est pas plus compliqué que le Haka des Maoris. Ce Haka que nous voyons à la télé avant les matchs de rugby, c’est le geste d’accueil des Maoris. Il est accepté maintenant par l’ensemble de la population néo-zélandaise. Donc ce qu’il a proposé, c’est un peu dans ce sens la. C’est de marquer par un geste symbolique, l’appartenance à la Nouvelle-Calédonie.

Montray : Comment voyez vous 2014 ?

Rock Wamytan : Il y a deux possibilités. Soit qu’à l‘issue des élections de mai 2014, il y ait une majorité des trois cinquième du congrès qui demande d’ organiser le référendum d’autodétermination, auquel cas ça va se faire dans la foulée. Si on n’a pas trois cinquième des élus du congrès, l’Etat déclenche le référendum d’autodétermination en 2018. C’est ce qui est prévu dans l’accord.

Pourrons-nous le faire en 2014 ? Cela dépendra des tendances.

Montray : Pensez-vous que l’idée de l’autodétermination a fait son chemin, êtes vous prêt pour 2014 ?

Rock Wamytan : Nous avons pensé arriver à convaincre les autres communautés qui vivent avec nous du bien fondé de notre revendication, de notre projet politique qui est l’indépendance du pays. C’est vrai que force est de reconnaître que 23 ans après la signature des accords Matignon, les autres ne sont toujours pas convaincu que la Nouvelle Calédonie puisse être indépendante, avec les Kanak. Peut-être que s’ils étaient seuls, ils seraient allés vers ce projet d’indépendance.

Montray : Pourquoi cette méfiance vis-à-vis de la population kanak ?

Rock Wamytan : L’histoire des populations d’origine française, ou des populations qui ont étés amenées ici par la colonisation, a été très violente envers les Kanak.

Montray : Pendant mon séjour chez vous, j’ai souvent entendu dire que les Kanak sont violents, et il est fait référence aux «évènements» des années 80.

Rock Wamytan : Si il faut aller vers une comptabilité un peu macabre, ici le résultat de la colonisation c’est des milliers de morts kanak, quand même. Il y a eu quelques européens, quelques colons, qui ont été tués pendant la colonisation, mais face au nombre de morts kanak, il n’y a pas photo. La violence elle est venue du système colonial français. Nous n’avons jamais demandé à personne d’envahir chez nous. Les Mélanésiens de l’époque ont du se défendre, défendre leur territoire, défendre leur culture, défendre leur peuple, donc voilà. C’était pas des enfants de coeur que la France envoyait, c’était une armée coloniale venue imposer par la force la souveraineté française.

Cette histoire est toujours là. Il y a effectivement dans la population non kanak, une sorte de peur viscérale des Kanak, alors que c’est un peuple très hospitalier.

Montray : Si vous permettez, j’évoque mon expérience pendant mon séjour chez vous. J’ai souvent entendu du coté Kanak, parler de destin commun. A la manifestation pour le 30ème anniversaire du meurtre de Pierre Declercq, (2) le 18 septembre à la tribu de la Conception, ces deux mots ont là aussi été très présents. D’autres communautés en parlent aussi. Alors cette peur c’est de la mauvaise foi ?

Rock Wamytan : Je pense qu’il y a de la mauvaise foi. Mais il y a aussi beaucoup de malentendus, d’incompréhension, dus à l’histoire. On a fait croire que le Kanak est méchant, qu’il est sauvage, on l’a dit anthropophage, cannibale. La violence a été institutionnelle, elle l’est encore. Je le dis , on ne tient pas compte des Kanak quand nous élus kanak n'arrivons pas à mettre en place des politiques qui nous conviennent. Parce qu’il y a des lobbies en face qui ont la majorité actuellement pour nous contrer.

Voilà ce qui alimente la violence institutionnelle, voilà ce qui alimente la délinquance de nos jeunes. Petit à petit on avance, ont tente de résoudre ces questions, mais ce n’est pas facile.

Montray : A Nouville, des Kanak vivent dans des conditions d’insalubrité indignes. N’est ce pas étonnant dans une ville comme Nouméa qui affiche un certain niveau de vie ?

Rock Wamytan : Ce sont des squats où des familles se sont installées parce qu’elles n’avaient pas le choix. Elles se sont installées parfois pour suivre les enfants pour l’école, où pour essayer de trouver du travail. Toute l’économie est concentrée sur Nouméa et c’est pour cela que nous avons pensé mettre en place cette usine dans le Nord. L’accord de Matignon prévoit la répartition des masses budgétaires au bénéfice du Nord et des îles, au détriment quelque part du Sud, pour justement enclencher le rééquilibrage de la Province Nord et de la Province des Iles. Cela a plus ou moins marché, mais tout est à Nouméa. Ce n’est pas propre à la Nouvelle-Calédonie, c’est l’attrait du développement.

Un autre élément qui a fait beaucoup de mal au principe de rééquilibrage, c’est l’usine du Sud qui n’était pas prévue au départ et qui pour des raisons politiques, a été portée par Jacques Lafleur, un des signataires des accords Matignon et Nouméa. Cette usine a été soutenue à mort par Jacques Lafleur, pour des raisons qui lui étaient étaient propres. Nous avions combattu la mise en place de cette usine, en disant qu’elle allait contrecarrer le principe de rééquilibrage sur lequel nous nous nous sommes tous mis d’accord. Le Sud était déjà bien loti. Même si on a découvert des gisements importants la-bas, dans un premier temps il fallait tout miser sur le Nord et ensuite le Sud. On n’a pas besoin d’exploiter tout de suite toutes nos richesses. D’autant plus que nous n’avons pas encore tout à fait la maitrise de ces outils, la maîtrise des revenus.

Montray : Au gouvernement il y a des personnes qui font partie de ces puissances d’argent, de ces lobbies que vous dénoncer il me semble. Il y a eu Jacques Lafleur...

Rock Wamytan : Mais oui, ça a toujours été ainsi. En gros, ceux qui ont toujours fait de la politique, les responsables politiques européens, ont toujours été des décideurs économiques. Ceux qui n’étaient pas des hommes d’affaires et qui sont venus à la politique sont devenus ensuite des hommes d’affaires.

Montray : Et le camp indépendantiste est divisé, il n’y a pas eu de liste commune pour les récentes sénatoriales.

Rock Wamytan : La division du monde indépendantiste a toujours été une constante. On se divise, après on se remet ensemble. Ce qui caractérise le monde indépendantiste, c’est qu’au moment où il faut vraiment se mettre ensemble, pour les choses essentielles, on va se mettre ensemble. Quand il n’y a pas trop de danger, chacun fait un peu sa petite salade à droite, à gauche, mais quand le monde politique kanak sait que ça devient délicat, attention, il se rassemble.

Montray : Avec les transferts de compétence, votre implication dans la gestion, vous ne vous éloignez pas du travail de prise de conscience pour la souveraineté ?

Rock Wamytan : Les kanak n’oublient pas. Si les responsables politiques oublient, nous nous faisons rappeler à l’ordre à chaque consultation. Les Kanak ils veulent l’indépendance. Il n’y pas matière à discussion là-dessus. Ils ne se sentent pas bien, ils sont frustrés, ils sentent qu’on leur vole le résultat de leurs luttes. Parce que sans le combat des Kanak en 1984, 1988, on n’aurait pas eu toute cette prospérité. Ça c’est le combat des Kanak. Ce sont eux qui lancent les dynamiques vis à vis de l’Etat français. Quand il s’agit de faire évoluer la société, les forces non indépendantistes ne font rien évoluer ici, elles se contentent toujours du statut quo colonial ou colonial amélioré. Ceux qui font changer les choses, ce sont toujours les Kanak mais le fruit de ces changements, nous n’en bénéficions pas. Les dispositifs que nous mettons en place profitent toujours aux autres. Prenons l’exemple de la formation des médecins, c’est nous qui l’avons voulue, nous l’avons mise en place. Pour la formation des médecins kanak, même des caldoches, des Océaniens. Résultat des courses en 10 ans ? Parmi les 88 qui sont dans le cursus, à l’heure actuelle ... 5 Kanak !

Sur les 88, il y a a une soixantaine qui sont des enfants de Métropolitains. Ce n’était pas fait pour eux, voilà. Çà profite toujours aux autres. C’est porteur de révolte.

Montray : Vous sentez monter l’insatisfaction de la jeunesse kanak ?

Rock Wamytan : Je dis toujours, si on ne s’occupe pas de la jeunesse kanak, alors ils vont s’occuper de nous, grave. Parce que je pense qu’ils ne se laisseront pas faire, eux. Ce sont des jeunes qui sont éduqués aujourd’hui, ils sont allés faire des études en France, en Australie ou en Nouvelle Zélande. Je pense qu’ils ne se laisseront pas faire. Nous allons nous en sortir seulement avec l’indépendance. Continuer avec ce système c’est aller dans le mur. On entend souvent des comparaisons avec le Vanuatu, est-ce que voulez devenir pauvre comme le Vanuatu etc.. Le Vanuatu ? La France et l’Angleterre les ont largués comme un chiffon il y a une trentaine d’années. Mais au bout de trente ans, ils sont passés au dessus des cent mille touristes, alors que la Nouvelle- Calédonie avec son milliard de budget pour la promotion touristique, a plongé au dessous des cent mille. Au Vanuatu, avec une population à peu près équivalente à la Nouvelle-Calédonie et 300 millions pour la promotion touristique, ils accueillent entre 120 et 130 mille touristes.

Les Calédoniens vont maintenant au Vanuatu pour faire leurs courses à la rentrée scolaire, c’est 5 à 6 fois moins cher qu’ici.

Et au Vanuatu, ils ont des cadres. Vous allez dans les banques, partout les cadres sont Mélanésiens. Et on nous dit, vous n’êtes pas prêts, vous n’êtes pas prêts. Si on n’est pas prêt maintenant, on va être prêt quand ?

Montray : Le rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, James Anaya qui est venu en Nouvelle Calédonie a rendu récemment son rapport, il souligne des blocages.

Rock Wamytan : Il est venu en début d’année, il est resté trois semaines. Il vient de rendre son rapport à Genève. Il a pointé justement ces éléments de blocage de la promotion kanak et interpellé le gouvernement français.

Montray : Le gouvernement français va-t-il réagir, les recommandations du rapporteur de l’ONU vont-elles être suivies d’effet ?

Rock Wamytan : Oh, comme d’habitude, la France va s’asseoir dessus, comme quelque chose de pas très important. Mais c’est nous les Kanak qui allons prendre en compte ces recommandations pour à chaque fois, interpeller la France.

Montray : Il n’y a qu’une chaine de télévision ici, la télévision publique française. Qu’en est-il des deux projets existants ?

Rock Wamytan : Nous avons deux projets. Une télévision du Nord. Et la télévision du Sud(3) que nous appelons la télévision consensuelle. C’est déjà une avancée. Le CSA devrait bientôt se prononcer pour nous donner l’autorisation d’installer en 2012 normalement, ces deux télévisions.

Lisa David
ITW à Nouméa le 10 octobre 2011

(photos Lisa David)

(1) Ces transferts qui prennent effet à compter du 1er janvier 2012 concernent l’enseignement du second degré public et l’enseignement des premiers et second degré privé.

(2) Pierre Declerq était un enseignant français qui avait choisi de se battre pour l’indépendance, aux cotés des Kanak. Ce militant actif qui fut le secrétaire général de l’Union Calédonienne a été abattu le 19 septembre 1981, chez lui à Robinson (près de Nouméa). Le peuple kanak lui rend hommage chaque année. Son ou ses assassins n’ont jamais été retrouvés.

(1) NCTV est le projet de la Province Nord et NC9 celui de la la Province Sud. Les responsables ont été auditionnée par le CSA le 11 octobre 2011. NC9 prévoyant certainement que le CSA risque de ne pas donner deux autorisations en Nouvelle-Calédonie a présenté dans son projet deux rédactions, une loyaliste et une indépendantiste.

{{{ENCADRÉ :

Le Congrès est constitué d’une partie des trois assemblées de province. Il est compétent pour gérer les affaires communes de la Nouvelle-Calédonie. Les délibérations adoptées par le Congrès sont dénommées " lois du pays " lorsqu’elles interviennent dans les domaines tels que les signes identitaires, la fiscalité, les principes fondamentaux du droit du travail, les règles relatives à l’accès au travail des étrangers, les règles relatives à l’accès à l’emploi, les règles relatives au statut civil coutumier, le régime des terres coutumières et des palabres coutumiers, les limites des aires coutumières, les modalités de désignation au sénat coutumier, les règles concernant les hydrocarbures, le nickel, le chrome et le cobalt, les règles relatives au droit domanial, les règles concernant l’état et la capacité des personnes, les principes fondamentaux concernant le régime de la propriété et les compétences transférées. Elles sont systématiquement soumises pour avis au Conseil d’Etat et ont, une fois adoptées, force de loi. Elles sont également susceptibles d’être soumises au contrôle du Conseil Constitutionnel.
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