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«JE SUIS UNE PROSTITUEE ET JE LE REVENDIQUE !»

«JE SUIS UNE PROSTITUEE ET JE LE REVENDIQUE !»

Sonia Verstappen n’a pas peur des mots ni du qu’en-dira-t-on. À 65 ans, cette ancienne prostituée milite au sein d’Utsopi (Union des Travailleu(r)ses du Sexe Organisées Pour l’Indépendance), court de réunion en débat pour défendre l’indépendance et la reconnaissance des prostitué(e)s. Entre deux réunions et deux cigarettes, le regard clair et le verbe franc, la belle Sonia nous raconte sa vie dans sa maison de Wezembeek-Oppem, ses 40 ans en vitrine, ses clients, sa formation d’anthropologue… et son mariage récent, son fils et ses petits-enfants.

 

 

 Comment devient-on prostituée ?

 

Par hasard. J’avais 21 ans. Je suis allée chercher mon petit ami chez sa mère qui tenait un bordel à la gare du Nord de Bruxelles avec des filles en vitrine. Cela m’a donné envie de devenir prostituée. Mon copain m’a alors demandé de choisir entre lui et le métier. J’ai choisi pute ! J’avais suivi des cours de dactylo et fait un peu de secrétariat ; j’avais aussi travaillé dans un resto mais je préférais être en vitrine. Je l’ai été pendant 40 ans. J’aimais la liberté, l’argent et les hommes que la prostitution m’offrait. Peut-être le métier m’a-t-il également plu car j’étais rebelle. Je suis une enfant de Mai 68 et je ne marche pas aux injonctions de la société.

 

 Votre famille a-t-elle accepté facilement ce "métier" ?

 

Je viens d’un milieu bourgeois catholique et quand ma mère l’a appris, elle n’a pas été contente… Quant à mon père, il a été absent et mon beau-père fut un personnage bidon. Jeune, je n’ai pas eu de grande figure masculine. Ce sont mes clients qui m’ont appris à aimer les hommes et à découvrir combien ils pouvaient être géniaux, gentils et attentionnés.

 

 La prostitution est un métier comme un autre ?

 

Pourquoi ne le serait-elle pas ? Mon métier n’est pas plus indigne que celui d’un trader de Monsanto. Je travaille avec mon corps comme bien d’autres travailleurs et je ne considère pas mon sexe comme plus sacré qu’une autre partie. Vous savez, il y a beaucoup plus que du physique quand on va chez une pute. Il y a un espace de parole, comme chez le psy. Avant ou après la passe, mes clients me parlaient de tout ce qui n’allait pas dans leur vie, au boulot comme dans l’intimité.

 

« J’aimais la liberté, l’argent et les hommes. »

 

Vous n’avez pas eu l’impression d’être un objet ?

 

Absolument pas. Je me définis comme "sujet" et mes clients le comprenaient très bien. Jamais ils ne m’ont manqué de respect, parlé avec dédain ou frappée. J’ai toujours choisi les hommes que je recevais et posé mes limites. Je n’embrassais pas et le sado-maso ne m’intéressait pas. Je n’ai jamais été manger avec un client et je ne suis jamais partie en vacances avec l’un d’eux alors que l’on me l’a souvent proposé. Je me sentais protégée par le bordel. C’est là et là seulement que j’étais pute. En dehors de cela, je suis Sonia !

 

 Pourquoi ne pas embrasser ?

 

Il faut du désir pour embrasser ! Quand je le fais, je sors du contrat qui est "technique". Mais il y a quelques clients que j’ai embrassés. Comme il y a quelques hommes à qui j’ai dit : « La prochaine fois, quand tu reviens, tu ne dois plus payer. » Je suis mariée depuis un an et demi avec un ami de longue date devenu veuf, mais tous mes copains précédents étaient des anciens clients. Ils percevaient alors toutes la différence entre ce que je faisais comme pute et comme amie. Au boulot, c’est moi qui prends soin du client pour qu’il jouisse – c’est très technique et en même temps très personnel – tandis que dans l’intimité amoureuse, on est dans le relationnel, l’émotionnel et le lâcher prise. On est alors deux à faire l’amour.

 

 Ce métier ne vous a pas désespérée de l’amour ?

 

Non ! Il ne m’a enlevé aucune tendresse. Au contraire, je me suis rendu compte que les hommes sont fragiles. Ils ont un rôle à tenir que la société leur impose. Ils doivent être forts mais ils sont des enfants.

 

 Vous avez arrêté à 60 ans…

 

J’ai arrêté pour de multiples raisons : mon bail se terminait, ma mère n’était pas bien et j’ai découvert que j’avais un cancer. Je l’ai d’ailleurs combattu en me disant qu’il représentait l’abolitionnisme – ce mouvement qui entend faire disparaître la prostitution – et que j’étais plus forte que lui.

 

 Vous êtes devenue militante ?

 

Il y a quelques années, je me contentais d’évoquer mon vécu quand on me le demandait, mais aujourd’hui, je suis devenue militante de la prostitution librement choisie car le mouvement abolitionniste prend de l’ampleur. De même, un certain féminisme soutient le mouvement anti-sexe. Imaginez qu’une féministe comme Claudine Legardinier a dit lors d’un débat à Schaerbeek que le désir féminin était une invention du patriarcat pour rendre les femmes disponibles ! Tout cela fait que je suis devenue militante et porte-parole des travailleuses et travailleurs du sexe. La prostitution est polymorphe, il y a aujourd’hui autant de réalités dans la prostitution qu’il n’y a de femmes ou d’hommes qui l’exercent. Le pire est de faire des amalgames entre toutes les formes de prostitution.

 

 Vous avez également étudié l’anthropologie. Pourquoi ?

 

À 55 ans, j’ai suivi une formation universitaire en santé mentale à l’UCL et mes profs m’ont alors demandé de faire un master en anthropologie. Intellectuellement, cela m’a beaucoup amusée de la suivre. Ce fut fascinant mais je n’utilise pas cette formation.

 

 D’aucuns disent que la prostitution, en faisant de la femme un objet, participe au harcèlement si dénoncé aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?

 

Cela n’a rien à voir. Dans les pays où la prostitution est interdite, il n’y a pas moins de harceleurs. Les prostituées sont des femmes comme les autres et nos clients sont des hommes comme les autres. J’ai connu des maris qui venaient me voir car leurs femmes ne voulaient plus faire l’amour, des beaux gamins qui avaient envie que quelqu’un prenne soin d’eux, des hommes moches qui n’avaient pas accès à la sexualité, des hommes seuls qui avaient simplement besoin d’être touchés pour se sentir exister.

 

 Les hommes ne sont pas des porcs comme peut le faire croire le hashtag balancetonporc ?

 

Non ! Les hommes font ce qu’ils peuvent, comme tout le monde d’ailleurs. Aujourd’hui, la parole des femmes harcelées se libère, et c’est très bien, mais il ne faut pas que les relations entre les hommes et les femmes virent à la guerre ! Elles doivent être apaisées plutôt que violentes. Croire que tous les hommes sont des porcs est aussi débile que de dire que toutes les femmes sont des putes sauf ma mère.

 

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