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JEAN-GUY TALAMONI, L’INTELLECTUEL INDEPENDANTISTE

Par Antoine Albertini et Ariane Chemin http://www.lemonde.fr/
JEAN-GUY TALAMONI, L’INTELLECTUEL INDEPENDANTISTE

Pour la première fois, on a vu ses cheveux s’ébouriffer et ses pans de chemise sortir du pantalon. C’était dimanche 13 décembre, à Bastia. Tiré, soulevé et porté en triomphe comme après un match de foot, Jean-Guy Talamoni a laissé apercevoir un visage un brin affolé : « Je n’ai pas l’habitude de plastronner et de fanfaronner », confie-t-il.

A 55 ans, collé à sa fille Serena, celui qui a été élu, jeudi 17 décembre, président de l’Assemblée de Corse, a goûté l’ivresse de la victoire, mais a vite abandonné les bars de la place du Marché pour gagner sa maison de Santa Severa, dans le Cap Corse, où il vit avec sa compagne Francesca. « Nous ne sommes pas Les Républicains ou le Parti socialiste, soupire le leader du parti indépendantiste Corsica libera. Nous, on a des morts, on a des militants derrière les barreaux. »

Il était sorti de l’anonymat au tournant des années 2000, quand Lionel Jospin négociait ses fameux « accords Matignon » : chef de file des élus nationalistes à l’Assemblée de Corse, où il siège depuis 1992, il était devenu l’un des invités des négociations parisiennes. D’un coup, l’avocat aux plaidoiries sans lyrisme ni pathos du barreau bastiais s’était retrouvé sous les feux de la rampe et celui des critiques. Celles venues de son camp, où les chefs au crâne rasé, treillis sur le dos et Meindl aux pieds, le chambraient sur sa coupe de cheveux sage et ses costumes bien mis. Mais celles aussi venues de Paris. Souverainistes de droite et de gauche, éditorialistes de tous bords, l’homme leur faisait perdre la raison. Jean-Pierre Chevènement l’avait comparé à Ben Laden : « Dans les deux cas, c’est le même déni profond de la démocratie, la même petite minorité qui (…) parle au nom d’une majorité qui se tait. »

De ces réunions sans fin avait fini par sortir une loi. Votée en 2002, elle donne davantage encore de pouvoir à la région Corse et installe des réformes concrètes, comme les cours de langue corse dès le primaire : parmi les électeurs des « natios », dimanche, une génération de jeunes de « 20 ans » qui a appris à l’école la langue de ses grands-parents. De cette époque, celui que Paris n’appelait que « Monsieur Talamoni » gagne sur l’île un prénom : « Jean-Guy ». Jean-Guy, conseiller territorial et chef de parti qui laisse sa robe d’avocat au placard pour ne se consacrer qu’aux livres et à la politique.

« Mon parcours politique est d’une banalité extrême »

L’ex-avocat publie en 2004 un Dictionnaire commenté des expressions corses (DCL éditions), soutient en 2012 à la fac de Corte, où il enseigne désormais le droit et la littérature corse, une thèse consacrée à l’influence de la littérature dans « l’imaginaire national corse »… « Durant ces dernières années, il a fait tout ce qui lui plaisait et est devenu une référence en matière linguistique », dit l’ophtalmologue bastiais Alain Simoni, son mandataire financier pour toutes les campagnes et, sans doute, l’un de ses amis les plus influents. « C’est un homme qui aime la littérature reliée à la Corse », confirme en souriant l’académicien Jean-Marie Rouart, qui évoque avec lui Paul Valéry, dont la famille est originaire d’Erbalunga, dans le Cap Corse.

Dans l’ombre, Talamoni s’attelle à une tâche nettement moins poétique : la fin des cagoules et des bras armés militaires. Un « pas en avant » qui ne va pas de soi dans une formation où le répertoire des chansons militantes entretient le mythe des ribelli en armes et d’une « LLN » – lutte de libération nationale – en résonance avec les révolutions anticolonialistes. Mais le vent de l’Histoire a tourné : le « terrorisme » renvoie désormais à un djihadisme globalisé, et rend la « lutte armée » des nationalistes dérisoire. Talamoni et ses amis devinent aussi que ce dossier empoisonné de la clandestinité obère tout rapprochement avec les « modérés » emmenés par Gilles Simeoni : en mars 2014, le jeune avocat prend au « clan » Zuccarelli la citadelle bastiaise sans s’allier avec Corsica libera. Deux mois plus tard, le Front de libération nationale corse (FLNC) dépose les armes.

« Mon parcours politique est d’une banalité extrême, dit le futur président de l’Assemblée de Corse, je n’ai jamais rien connu d’autre que le nationalisme. » Sympathisants autonomistes, ses parents montaient tous les étés à Cateraggio, au congrès de l’Action pour la renaissance de la Corse (l’ARC), seule organisation régionaliste de l’époque. Les enfants jouaient entre eux, une vraie colonie de vacances. Talamoni a 16 ans lorsque retentit la première « nuit bleue », en 1976, et qu’il adhère à l’Union des lycéens corses, le syndicat nationaliste de la jeunesse. Puis à la Cuncolta, vitrine légale du FLNC canal historique. C’est dans ses rangs qu’entre 1993 et 1996, Jean-Guy Talamoni, devenu un de ses chefs chargé des institutions, traverse cette « guerre civile » qui fait une vingtaine de morts entre factions rivales. Comme les militants les plus exposés, Talamoni ne dort jamais deux fois au même endroit, sort escorté par deux ou trois malabars. « Si j’avais fait trois fois le tour de la place Saint-Nicolas, je ne l’aurais pas fait une quatrième fois. » Comme tout le monde, il perd des amis, dont Vincent Dolcerocca, un permanent avec lequel il travaillait.

« Un littéraire et un intellectuel »

De ces années passées au cœur d’un appareil noyauté par les clandestins du FLNC (à l’instar d’un Gerry Adams pour l’IRA, le futur patron de l’Assemblée de Corse affirme n’en avoir jamais fait partie), Talamoni garde une réserve certaine. Et quelques beaux réflexes. En février 1998, il condamne l’assassinat du préfet Claude Erignac, mais refuse de faire de même pour « ses auteurs ». Son curriculum vitae préfère s’arrêter sur la tentative d’assassinat au colis piégé dont il a été victime en 2001, à Bastia, et la légende familiale sur le grand-oncle résistant, Louis, sénateur communiste et maire de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) de 1950 à 1975, ami et visiteur des bidonvilles au bord de sa commune, et qu’une association locale a décidé de célébrer cet été en érigeant un monument financé par les descendants d’immigrés portugais.

« De petites gens », dit Jean-Guy Talamoni en évoquant sa famille. Aucunement un obstacle pour s’entendre avec d’autres élus, dans une île où les classes sociales existent bien moins qu’ailleurs. Ainsi l’UDF José Rossi qui, alors qu’il préside l’Assemblée de Corse, en 1998, le propulse à la tête d’une commission des affaires européennes et lui fait découvrir Bruxelles, capitale politique que le nationaliste corse a toujours préférée à Paris. Ou le radical de gauche Paul Giacobbi, élu président du conseil exécutif en 2010. Un fils de famille patricienne où les mandats électifs se transmettent de génération en génération, mais qui partage avec Talamoni une sorte de courtoisie surannée – « vieille France », si on ose – et le goût de bibliothèques bien garnies. Talamoni est intime du philosophe Marcel Conche, ce métaphysicien-paysan tombé amoureux de la Corse. « Jean-Guy est un littéraire et un intellectuel, comme moi », dit Paul Giaccobi.

Statut de résident, co-officialité de la langue corse, amnistie des prisonniers indépendantistes… Pendant cinq ans, de 2010 et 2015, l’élu nationaliste a imposé son agenda à l’hémicycle régional et fait voter les textes à une large majorité : il sait que ces totems parlent à l’ensemble de l’île, et pas seulement à sa famille politique. Talamoni s’est d’ailleurs constitué un « mini think tank » européen, Alba Nova, qui, sur la langue ou les évolutions institutionnelles, consulte des personnalités qualifiées comme Michel Rocard, venu cet été à Ajaccio – une connaissance « française » du patron de Corsica libera, avec Christiane Taubira ou Claude Bartolone. « Jean-Guy va souvent à Barcelone, raconte Jean-Paul Luciani, responsable des programmes de France Bleu RCFM à Bastia, et en Sardaigne, ou dans le Piémont. Il est incollable sur la question catalane. »

Dans ces régions d’Europe, de l’Ecosse au Pays-Basque, il est reçu comme un quasi-ministre plénipotentiaire de la Corse. Avec les « Français », c’est une autre affaire. « Je veux dire à Monsieur Talamoni que la Corse c’est la France. Elle sera toujours la France », avait prévenu Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, dans un entretien à Corse-Matin, en août 2013. Les mêmes mots ou presque que Nicolas Sarkozy, à Ajaccio, le 10 décembre. « Monsieur Talamoni ne veut pas de la République française ? a lancé le patron du parti Les Républicains, qui tenait en Corse l’un de ses deux meetings d’entre-deux-tours. Eh bien la République française ne veut pas de Monsieur Talamoni. Ici, c’est la France. » De son village du Cap Corse, l’indépendantiste de Corsica libera a tweeté, le soir : « Il paraît que j’ai été mis en cause par un comique troupier de passage… »

 

Post-scriptum: 
Meeting de Jean-Guy Talamoni (Corsica libera), à Ajaccio, le 9 décembre. PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

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