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LA CROATIE, QU'AIMAIT AIME CESAIRE, EN CRISE EXISTENTIELLE

Raphaël CONFIANT
LA CROATIE, QU'AIMAIT AIME CESAIRE, EN CRISE EXISTENTIELLE

   C'est l'expression qu'a employé son premier ministre, Andrej PLENKOVIC, dans une interview récente au "MONDE".

   Expression à ne pas prendre au sens métaphysique du terme, mais bien physique, concret. Ecoutons-le :

   "La Croatie perd l'équivalent d'une petite ville de 15.000 habitants chaque année. Pour un pays qui comptait en 1991, 4,7 millions d'habitants et aujourd'hui 4 millions, c'est même une question existentielle."

   La Martinique a suivi la même pente toutes ces dernières années. On se souvient que c'est en Croatie qu'Aimé CESAIRE avait commencé à écrire son Cahier d'un Retour au Pays Natal alors qu'étudiant à Paris, il avait été invité, en 1935, par la famille de son condisciple et ami croate, Petar GUBERINA. Les circonstances en sont assez extraordinaires : en ouvrant la chambre de l'étage qu'on lui avait attribuée, CESAIRE aperçoit une île magnifique au loin, comme posée sur la mer Adriatique. Petar lui apprend qu'elle s'appelle...Martiniska !!! C'était les grandes vacances et CESAIRE dira plus tard à un journaliste avec cet humour qui le caractérisait :  

   "Je n'avais pas assez d'argent pour rentrer en Martinique, juste assez pour arriver à Martiniska."

   La Croatie donc tout comme la Martinique se meurt à petit feu.

   Comme quoi l'indépendance ne résout pas tous les problèmes et, à mon humble avis, dans le cas de la Croatie peut les aggraver. Car enfin, comment des peuples (slovènes, croates, bosniaques, serbes) parlant la même langue, appartenant à la même "race" et unis au sein d'un même état, la Yougoslavie, ont-ils pu s'entretuer aussi sauvagement ? Après "le suicide d'une nation", titre d'un terrible et beau documentaire sur cette tragédie, chacun dispose désormais de sa petite nation, son petit drapeau et son petit hymne national, mais commence à en subir les conséquences.

   Au cours d'un des entretiens que le Père de la Négritude avait bien voulu m'accorder (bien après la publication de mon livre qui le critiquait, mais n'était pas du tout à charge, comme l'ont déclaré des personnes ne sachant pas lire ou mal intentionnées), je lui avais dit que si Slovènes, Croates, Bosniaques et Serbes avaient détruit leur Yougoslavie, nous pourrions, nous, Guadeloupéens, Dominiquais, Martiniquais et Sainte-Luciens construire un jour notre Yougoslavie à nous. Cela l'avait fait sourire, puis l'avait laissé songeur. Comme s'il venait soudain de réaliser que ces quatre iles formaient en réalité une seul peuple avec la même langue créole, la même cuisine, la même musique et la même "race". Final de compte, il m'avait lancé : 

   "Fichtre ! Moi qui vous croyais un nationaliste étroit !" 

   Je n'eus pas le culot de lui rappeler qu'il avait qualifié la Martinique de "petit rien ellipsoïdal". Il me demanda alors si cette Yougoslavie antillaise était mon rêve, toujours d'un air aussi perplexe, et je lui répondis "Oui" d'un ton mal assuré. Un long silence s'en était suivi... 

   Pour en revenir donc à la Croatie et à sa crise existentielle, voici comment son premier ministre Andrej PLENKOVIC (dont la photo se trouve au bas du présent article) en explique la cause :

   "Le vieillissement de la population allié au manque de nouveaux emplois fait que les gens sont partis chercher leur avenir dans différents pays européens."

   Incroyable ! On croirait entendre un diagnostic sur la situation de la Martinique. Les deux pays sont pourtant membres de la Communauté Européenne et bénéficient d'aides conséquentes de cette dernière. La question qui vient à l'esprit ne peut être que la suivante : est-ce que s'arrimer à des pays ultra-riches, développés, fortement peuplés et vastes géographiquement est une bonne chose pour des pays qui ne le sont pas ? N'est-ce pas se condamner à jamais à demeurer soit périphérique (la petite Croatie) soit ultrapériphérique (la minuscule Martinique) ?

   Terminons tout de même par une note d'humour césairien. Alors que le jeune Martiniquais se promenait seul dans la campagne croate, il rencontra une paysanne qui poussait un petit âne chargé de légumes et de bois. Elle n'avait jamais vu un Noir de sa vie et s'était écrié : "Vrag ! Vrag !". Autrement dit, en serbo-croate, langue que CESAIRE s'était attelé à apprendre, "Le Diable ! Le Diable !". Et notre Martiniquais de lui rétorquer : "Draga, sigourno ! Alika kosna, teli ?". Autrement dit "Ma chérie, c'est vrai ! Qui te l'a dit ?". Et la paysanne de s'enfuir alors, épouvantée, laissant son âne à la merci du Diable...   

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