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LA JEUNESSE CAMEROUNAISE ET L’HERITAGE CULTUREL DE LA HARLEM RENAISSANCE

par Dolisane Ebossè Cécile*
LA JEUNESSE CAMEROUNAISE ET L’HERITAGE CULTUREL DE LA HARLEM RENAISSANCE

A l'heure où un meurtre, horrible, secoue la communauté martiniquaise............

Abstract :

{Cet article tend à démontrer que la jeunesse camerounaise d’aujourd’hui a perdu ses repères à cause d’une absence de projet de société fiable, d’une éducation bien structurée adaptée au contexte africain et surtout à cause d’une colonisation mentale assez fortement implantée dans le psyché des jeunes générations. La relecture des textes fondateurs de la Harlem renaissance, l’esprit de créativité et de sacrifice qui en découlent peuvent raviver la fibre révolutionnaire d’une jeunesse quasiment léthargique bercée par les illusions de la luxure d’une mondialisation mercantile.}

Je vois en chaque jeune africain, un bâtisseur de nation »
Cheikh Anta Diop

La jeunesse est considérée, d’une manière générale, comme une donne permanente mais celle qui nous intéresse est l’emblème du futur, c’est- à- dire les générations qui se projettent dans le devenir, celles qui sont en gestation, en pleine floraison, bref, en phase de maturation. Considérée comme le fer de lance de la nation, elle se sent marginalisée par le pays alors que son avenir dépend d’elle. En réalité, ces jeunes pousses sont convaincues que ce continent est géré, en grande partie, par la tradition et la séniorité, imposant par là même, une gérontocratie cupide et mégalomane alors qu’elle a un poids démographique croissant qui constitue un enjeu socio-économique et politique pour le futur.

En effet, le but de cette étude n’est pas de porter des accusations fortuites à même de susciter des débats stériles tant il est vrai qu’ils sont dans une large part, responsables de cette crise de valeurs car dans bien des cas, ils ont les yeux rivés vers un Ailleurs radieux et merveilleux, vers les valeurs importées considérées comme supérieures aux valeurs du terroir.

Étant donné que le paradis se construit chez soi et par soi et que, par conséquent, les Africains ont des ressources en eux, l’heure n’est –elle pas venue de célébrer la longue marche des Noirs des Etats- unis vers la liberté pour qu’elle serve d’aiguillon aux jeunes générations en désespérance, redynamise leurs consciences et leur redonne espoir pour qu’elles redeviennent, au- delà du « New Negro », le Nouvel Homme? En d’autres termes, qu’elles incarnent la renaissance africaine?

L’approche socio-historique de Lylian Kesteloot tirée de l’Anthologie négro-africaine nous servira de plate forme pour mieux relire les poèmes des créateurs de la négro-renaissance, puis, nous montrerons les déboires de la jeunesse camerounaise et ses répercussions sur le développement de l’Afrique. Après cela, les outils conceptuels puisés dans l’essai du politologue camerounais Achille Mbembé intitulé : les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire permettront de mieux recadrer cette jeunesse tumultueuse parfois indocile qui inscrit son engagement, son esprit contestataire dans la lutte pour la survie, dans son aspiration de plus en plus pressante de participer au processus de décision ; responsabilités majeures susceptibles de l’aider à bâtir l’Afrique de demain.

Notre analyse tournera autour de trois grands pôles : d’abord, nous définirons la Harlem Renaissance tout en contextualisant ce mouvement par rapport au nouveau millénaire, ensuite, nous exprimerons les déboires d’une jeunesse en déperdition sommée d’une décrépitude morale, enfin, nous montrerons les jalons jetés par les créateurs du passé, lesquels pourraient être des traces et empreintes pour les générations du futur et l’espoir que suscite ce combat parsemé d’embûches.

{{I- La Harlem Renaissance}}

C’est un mouvement culturel africain- américain des années 20-30 basé près de New-York City (1). Ces premières orientations étant littéraires, le mouvement s’illustra très rapidement comme un véritable creuset, lieu emblématique du génie noir à travers les autres arts comme le théâtre, la peinture, la danse mais aussi l’histoire et la politique africaine- américaine. C’est dire qu’après de longues traversées dans l’amertume et le mépris de son « moi » originel, l’identité déniée aux Noirs s’affirme clairement à travers les arts et la littérature américaine retrouvant par là- même, la fierté raciale et partant, la personnalité noire sans mimétisme ni pastiche. Cette énergie créatrice était l’apanage de Claude Mac Kay avec son Harlem Shadow, Langston Hugues, Alain Locke, Jean Toomer. Tous avaient pour cheval de bataille et maîtres mots : la revendication de l’égalité raciale et politique. Ils avaient, certes des parcours différents, en fonction de leur éducation et de leurs expériences respectives, mais le fil structurateur de leurs écrits était la quête de la liberté et du respect de toutes les cultures . Cette recherche d’une certaine équité s’observe dans un texte The Negro Artist and the Racial Mountain considéré comme le manifeste nègre publié en 1925 par Langston Hugues dans l'hebdomadaire politique américain The Nation :

« Nous, créateurs de la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre personnalité noire sans honte ni crainte. Si cela plaît aux Blancs, nous en sommes heureux. Si cela ne leur plaît pas, peu importe. Nous savons que nous sommes beaux. Et laids aussi. Le tamtam pleure et le tamtam rit. »

Il ressort de ce manifeste, la quête de la justice sociale et de la dignité humaine. On y note également une certaine exigence du respect de la différence et de l’acceptation du pluralisme culturel.

Nonobstant cette notoriété établie d’un Mac Kay et d’un Langston Hugues, ils sont restés fidèles à leurs idéaux dans le sillage de l’authenticité. C’est dire qu’ils ne se sont jamais départis de leur mission première, à savoir le ressourcement. Leur source d’inspiration découlait alors des racines profondes de l’Afrique ancestrale, c’est- à- dire des chants d’esclaves à l’instar du blues, des folks songs, des négro- spirituals des plantations de canne à sucre et des champs de coton du sud. Il fallait se réapproprier leur héritage africain bafoué et anéanti pour prouver qu’ils avaient une histoire, une culture et qu’ils étaient des hommes ayant apporté au monde, vibrant au rythme du monde, en un mot, comme étant des fils aînés de ce monde. Ce titre très révélateur du poème de Countee Cullen en est une parfaite illustration.

{ Héritage

L’Afrique, qu’est ce donc pour moi ;

Soleil cuivré, mer écarlate,

[…]

L’Afrique ? Un livre qu’on feuillette

Distraitement, jusqu’au sommeil.

Oubliées ses chauves- souris

Volant en cercle dans la nuit,

Ses félins tapis aux roseaux

Guettant la tendre proie qui paît

Au bord du fleuve ; plus jamais

De rugissement qui claironne ;

« De la graine où elles dormaient

Des griffes de roi ont bondi ».

Les serpents qui rejettent

Une fois l’an ces jolies peaux

Que vous portez, ne cherchant pas

Comme vous à fuir les regards ;}

En faisant l’éloge de la nature, le poète dévoile également l’ontologie négro-africaine. Le message adressé à son peuple est la « rehumanisation » de la race qui avait subi un lavage de cerveau « brain Wash », présenté comme n’ayant pas d’histoire, renégat sans avenir, peuple- ordure et subalterne, condamné à être à l’arrière- plan. De la sorte, l’œuvre prométhéenne du poète visionnaire est, incontestablement, de redorer le blason de toutes ces meurtrissures, en transformant par la mystique révolutionnaire scripturaire, toute cette souffrance en une renaissance et en réinterprétant les frustrations comme une force purificatrice, un rituel de passage, un rite sacrificiel pour se hisser plus tard vers les cimes, au sommet de la montagne : c’est la fierté retrouvée à partir des origines africaines.

En clair, la sinistre condition du Noir, loin d’être une fatalité ou d’entraîner une lassitude, a donné, à ces poètes de la première heure, la fougue et la capacité d’agir tout an alliant le réel à un imaginaire plein de lyrisme et de romance, laissant ainsi entrevoir une écriture sensuelle, pittoresque, mélancolique et prometteuse à la fois. Voici un poème de Langston Hugues qui projette des lendemains meilleurs tout en invitant à la persévérance afin que l’homme noir puisse garder espoir.

{Moi aussi je chante l’Amérique.

Je suis le frère obscur.

On m’envoie manger à la cuisine

Quand il vient du monde,

Mais je ris,

Je mange bien,

Et je prends des forces.

Demain,

Je resterai à table

Quand il viendra du monde.

Personne n’osera

Me dire

Alors :

« Va manger à la cuisine ».

Et puis

On verra bien comme je suis beau

Et on aura honte.

Moi aussi je suis l’Amérique}

La mystique de transcendance qui découle de ces vers, cette capacité d’élévation d’esprit née de l’ascèse et de la catharsis tout en promettant des lendemains meilleurs, leur a permis d’accéder à la respectabilité. Car, ils ont prouvé la vitalité de la civilisation africaine ; laquelle civilisation mérite respect et considération. Aussi la dignité retrouvée serait -elle bien illustrée plus tard dans les œuvres de Richard Wright, Ralph Ellison et James Baldwin alias « Jimmy». Tandis que les sonorités envoûtantes et la verve créatrice de Zora Neale Hurston auraient influencé Toni Morrison et Alice Walker. En d’autres termes, leurs idées ont, non seulement marqué les Américains, mais aussi l’ensemble du monde noir, et par ricochet, tous les opprimés de la terre par exemple, la créativité de Peter Abrahams prend forme à la lecture du «The New Negro » d’Alain Leroy Locke (2). Le talent de Claude Mac Kay, Hughes, Countee Cullen, de l’acteur et musicien Paul Robeson, de la danseuse Josephine Baker a révolutionné le monde et fait basculer l’opinion sur l’image du Noir. C’est cette popularité parisienne grandissante, que la sociologue africaine- américaine Benetta Jules- Rosette appelle Black Paris ou Paris nègre.

Au demeurant, cette créativité osée qui requiert le goût du risque et l’esprit de sacrifice dénote le courage et l’audace d’un peuple à peine sorti de l’esclavage avec son cortège d’humiliations, tels que les lynchages, les insultes, les bastonnades publiques, les crimes, les chiens dressés pour Noirs et des pendaisons arbitraires ainsi que la ségrégation raciale aux méthodes des plus horribles comme "céder la place à un Blanc dans un bus". Il fallait donc être doté d’une force extraordinaire, d’une détermination à toute épreuve pour sortir de cette situation tragique. C’est grâce à cette foi en l’avenir mais aussi en l’Afrique que ces auteurs ont marqué leur temps mais aussi ont contribué un tant soit peu à la libération de l’Afrique à partir des empreintes de leur créativité (4).

Cependant, La jeunesse camerounaise pleine de vie et de dynamisme n’est- elle pas, soit par ignorance soit par aliénation générée par la puissance des médias occidentaux, entrain de faire renaître de ses fonds baptismaux ces complexes jadis combattus par ces vaillants précurseurs de la liberté culturelle ?

{{II- Une jeunesse en perte de repères}}

La jeunesse est d’emblée considérée comme bouillonnante et pétillante de santé, et par conséquent, révolutionnaire, mieux, en quête permanente de changement mais celle d’aujourd’hui se monte hautement léthargique, un peu perdue et tournée vers l’occident non par pour apprendre d’eux, mais pour fuir la triste réalité africaine des maladies endémiques, de la pauvreté, de la misère, des guerres tribales et des dictatures de toutes sortes. Bref, d’un continent enfoui dans l’abîme, condamné à mourir selon la pensée dominante. Partant de là, les clichés et les préjugés défilent dans le psyché des jeunes, amplifiés dans une large mesure par la propagande des images déversées en Afrique à travers les séries télévisées où l’on retrouve une Europe affichant un bonheur paradisiaque, un amour fou entre couples, un monde où tout est beau. Les séries Dynastie, Santa Barbara, Dallas ou sud- américaines comme Isaura sont là pour en témoigner. Or tout ce scénario est consommé, en structure de surface, comme étant de la pure réalité sans pouvoir faire le distinguo entre fiction et réalité, conséquence chaque jeune africain rêve d’aller en Europe.
La jeunesse camerounaise est complètement paralysée et brille par l’inertie puisque l’espace dans laquelle elle se meut, empêche tout esprit de créativité, n’encourage pas l’effort. Ce manque de motivation la pousse également à être encline au larbinisme, à la tricherie et au culte des apparences, bref, à la facilité.

Cette jeunesse indocile rêve d’être riche en arborant les footballeurs qui ont réussi en Europe et les prostituées de luxe. En l’occurrence, les jeunes filles passent des heures sur Internet afin de trouver un amour idyllique qui les emportera au pays des merveilles alors que cette jeunesse a besoin d’être encadrée, c’est- à- dire de recevoir une éducation forte et solide en commençant par le choix des livres à mettre au programme scolaire. De plus, elle doit connaître l’histoire de l’Afrique et celle des Noirs prioritairement afin qu’elle soit préparée aux défis de la mondialisation. Confrontée au racisme et aux discriminations de toutes sortes, elle serait mieux armée. Car du Blanc, elle ne garde que l’image d’un protecteur doté d’une excessive générosité et du paternaliste qui prend soin du petit Noir en cas de besoin. En somme, l’éducation du jeune Camerounais est superficielle et théorique. Elle n’est pas suffisamment ancrée dans son terroir.

A côté des tares éducationnelles, l’on note également une profonde crise morale. C’est ce qui fait dire au Sociologue camerounais Daniel Etounga Manguele que l’Afrique a besoin d’un plan d’ajustement culturel.

En outre, la mise en place des documentaires débouchant sur une réflexion profonde sur l’Afrique, en vue d’amener le jeune à s’interroger sur son environnement socio- économique et politique s’avère impérieuse si l’Afrique veut se sortir du gouffre dans lequel elle se trouve. Les livres à visée didactique permettent de penser par soi-même et de pouvoir chercher des solutions afin de transformer son milieu, de le rendre fiable et viable. Autrement dit, le fait de changer de loup ne règle que ponctuellement les problèmes africains. En embrassant aveuglement le dragon d’Asie, on changera plutôt de néocolonialisme. Le continent gagnerait à préparer sa jeunesse à bien se connaître pour bien adapter son développement en fonction de son milieu et de ses priorités. L’Afrique doit appartenir avant tout aux Africains avant de songer à toute ouverture, d’où la priorité aux rapports sud-sud, c'est-à-dire aux vastes regroupements sous-régionaux.

Pour l’heure, la participation de la jeunesse au développement du pays est quasiment nulle. Le jeune Camerounais est convaincu qu’il est en dehors de la marche de son pays et vit cela comme une fatalité, la seule issue étant, à son avis, de partir, malgré tous les écrits et débats abondants autour de l’immigration qui visent avant tout à tirer une sonnette d’alarme pour les candidats au départ et les risques de désillusion. En fait, les découragements émanant de la narration d’un Roger Essomba Le Paradis du Nord, Une Blanche dans le Noir et des films comme Paris à tout prix qui tentent d’attirer l’attention des jeunes sur l’arbitraire de ces aventures parfois périlleuses – en présentant la France comme le miroir aux alouettes, en démystifiant l’image paradisiaque de l’Europe - n’ont aucune emprise sur leur détermination.
Les jeunes qui tentent de rester au pays faute d’argent sont gagnés par la lassitude et la résignation. Ils voguent à contre-courant car personne ne les considère, ne les écoute et ne leur fait confiance. Par conséquent, ils ne se cultivent plus, vont à l’école sans grande conviction. Il ne fait aucun doute qu’autour d’eux, les modèles sont de véritables contre- modèles, c’est- à- dire ceux qui n’ont pas fourni suffisamment d’effort pour acquérir une aisance matérielle. Pis encore, le chômage des diplômés les exaspère et ils ne comprennent pas l’ascension des Nouveaux Riches : cet enrichissement illicite même au prix de son âme. Aussi sont- ils convaincus qu’il n ya point d’ascension sans népotisme ni tribalisme, à vrai dire, sans faire partie d’une nomenklatura jouisseuse et insouciante.

Par résignation, ils admirent donc ces compromissions lugubres et sont prêts à en céder à cause de la paupérisation à outrance et de l’extrême précarité. Car la misère matérielle est consécutive à la misère morale nous dit E. Njoh-Mouellè dans son célèbre ouvrage De la médiocrité à l’excellence. Autrement dit, cette extrême vulnérabilité matérielle a des incidences insoupçonnées sur l’esprit humain et peut aboutir à de dérives de tous genres, telles que la débauche et la dépravation des mœurs. En effet, la montée spectaculaire de la prostitution enfantine, de l’alcoolisme chez les jeunes ajoutés au phénomène de la déscolarisation ainsi que la progression fulgurante du VIH/SIDA sont des preuves tangibles du malaise social. Mieux, ces fléaux sociaux sont une gangrène pour ces talents en perdition.

Pour cette jeunesse désœuvrée et désorientée qui a perdu le goût de la culture et de « l’éducation des profondeurs » au profit des choses simples et veules, revisiter le passé nègre ne vient-il pas, à point nommé, exhumer cette dynamique enfouie en elle, susceptible de réveiller leurs ambitions et leur sens de créativité ? La pensée d’un Claude Mac kay qui n’a jamais cessé d’écrire, de réfléchir et de clamer son authenticité nègre peut-elle servir d’aiguillon à cette jeunesse qui, au XXI siècle, continue à rejeter l’Afrique et ses valeurs au profit des valeurs occidentales ? Autrement dit, que peut apporter la Négro- renaissance du début du siècle passé aux jeunes Camerounais du millénaire naissant?

{{III- La jeunesse camerounaise sur les traces de la Harlem Renaissance}}

L’évocation de la Harlem renaissance peut paraître, à première vue, obsolète pour les amateurs d’une certaine idée de progrès ; laquelle leur donne le sentiment d’une bonne conscience face aux incessantes humiliations de l’homme noir à qui l’on ne saurait demander pardon sans perdre son hégémonie. Or l’on ne saurait effacer la longue marche d’un peuple assujetti et avili sans veiller sur les relents de cette oppression, d’où le devoir de mémoire et de vigilance pour mieux se reconstruire. Dans cette optique, Cheikh Anta Diop atteste que : « Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire, car un peuple sans histoire est un monde sans âme » Autrement dit, si le contexte n’est plus exactement le même par le fait que ces auteurs sortaient fraîchement des griffes de l’esclavage et de la barbarie humaine, les fléaux comme la discrimination raciale et le complexe d’infériorité ainsi que l’exploitation de l’homme par l’homme persistent avec plus d’acuité et de vivacité tant ces maux sont masqués et larvés. Ce qui les rend encore plus pernicieux.

Plus encore, l’hypocrisie des rapports nord- sud aidant, les Africains sont encore bernés à la lueur d’une fausse espérance en attendant un hypothétique salut venant de l’occident. Compte tenu de degré d’aliénation dû au gauchissement de l’esprit du colonisé, les conseils de ces combattants de liberté s’avèrent judicieuses si les jeunes générations veulent redevenir eux-mêmes, le joug néocolonial étant bien plus féroce puisqu’elle s’accompagne des beaux discours sur les droits de l’homme et la fraternité universelle. Cette vigilance est prédite par W. Dubois dans Ames noires (1903) et Claude Mac Kay dans Banjo (1929) exhortant l’homme noir à affirmer son identité, c’est- à- dire ses idées et se faire confiance, voire, à se débarrasser des oripeaux coloniaux. Cette dignité qui entraîne un déblocage psychologique lui permet :

1 D’avoir une estime de soi ou l’enracinement dans le paradigme holistique

Dans Banjo, Claude Mac kay estime que les Africains doivent cesser d’être des psittacistes. Il présente les dangers d’une telle démarche infantilisante qui empêche de créer puisqu’elle paralyse le cerveau. Or parmi les maux qui minent la société africaine d’aujourd’hui, se retrouvent en ligne de mire, l’imitation servile et l’admiration quasi obsessionnelle de tout ce qui vient de l’occident sans aucune distance critique : l’habillement, les manières, le parler, le mépris des coutumes africaines. Les auteurs de la Négro-renaissance ont cultivé l’amour du terroir et l’estime de leur « moi nègre ». Il s’agit de se faire confiance en se réappropriant son destin délaissé entre les mains de l’autre à cause des doutes et des incertitudes. Cette jeunesse doit penser par elle-même pour son unité et la solidarité panafricaine.

2. L’Action : D’une école adaptée vers une éducation à la citoyenneté

Une créativité qui prend appui sur le référent culturel est plus fructueuse et le pragmatisme des négro-africains s’est illustré dans la quête de la libération du Monde noir, sans dissocier le combat culturel du combat politique. A l’instar de la contribution du panafricanisme des américains noirs comme Sylvester Williams, George Padmore et WB Dubois pour la libération de l’Afrique, les jeunes peuvent s’arrimer de la veine révolutionnaire, de la pugnacité et de la farouche détermination des auteurs de la négro- renaissance. L’audace créatrice d’Alain Locke et Mac Kay qui faisaient de leurs œuvres, des chef- d’œuvres des étudiants du quartier latin sont des chemins balisés pour des générations à venir. C’est dire que l`état postcolonial doit effectuer une véritable révolution culturelle en donnant la priorité à l’éducation, à l’information et à l’histoire nationale. Le continent noir doit s’inscrire dans la transhistoricité en fixant de grands projets culturels d`autant plus que la culture est la clé du développement.

Finalement, la relecture de ces œuvres prouve que, non seulement la liberté ne se donne pas, mais qu’elle s’arrache. En d’autres termes, ils ne doivent guère se résigner ou se décourager car la lutte doit être permanente. Aussi les jeunes doivent- ils cultiver le sens de l’abnégation et l’esprit d’endurance afin de regrouper les énergies, dynamiser les espoirs, soutenir mutuellement les efforts et toute forme d’initiative constructive. Ils doivent être perméables à la critique tout en rejetant la pensée unique.

Ils doivent s’adonner à la création et au pragmatisme en s’imposant une auto-discipline. Car seul le travail est générateur de biens et de richesses. Par conséquent, ces oeuvres insufflent l’énergie régénératrice pour défier ce vent de fatalité qui souffle dans le continent encore appelé l’afro- pessimisme. C`est le lieu de dire avec Barack Obama que «ce seront les jeunes, débordant de talent, d’énergie et d’espoir, qui pourront revendiquer l’avenir que tant de personnes des générations précédentes n’ont jamais réalisé»

Mais tout ceci ne saurait se réaliser sans un panafricanisme en action, c'est-à-dire sans une pédagogie de la Renaissance africaine. L’éducation d’une jeunesse consciente et avisée sera susceptible de bâtir des théories et des pratiques émanant de l’intérieur, des savoirs ouverts aux non occidentaux qui sortent l’Afrique de son fixisme encouragé par les forces hégémoniques et eurocentristes ; lesquelles forces ont largement œuvré au complexe de supériorité des élites intellectuelles africaines qui se sont progressivement éloignées de leur peuple en les méprisant.

En effet, une lecture du paradigme culturel africain s’avérerait apodictique dans la mesure où elle permettrait à ces jeunes pousses prometteuses d’interroger leurs héritages culturels, au vrai, leurs propres systèmes de valeur. En un mot, le véritable défi à relever n’est donc guère uniquement matériel, il est davantage psychologique : il s’agit de pouvoir d’inculquer aux petits Africains qu’ils peuvent reconstruire une véritable identité commune sans fards ni clichés et que le paradis est en eux, qu’il suffit de bien exploiter leur génie. Selon Théophile Obenga « Il nya aucune activité humaine d’envergure sans la confiance de l’être humain en lui-même. La confiance africaine des Africains pour l’Afrique est une condition nécessaire de la renaissance Africaine »

3. l’hommage et la reconnaissance des héros du passé ou la quête de l’espoir

Les travaux de ces pionniers méritent d’être pris en compte en les contextualisant cela s’entend. Dans l’histoire de toutes les civilisations, il y a toujours eu des œuvres éternelles. Ce qui montre que les chefs- d’œuvres du passé ne sont pas uniquement bons pour le passé mais également pour le progrès de l'humanité, car ils renseignent les jeunes sur les premières luttes qui étaient brutes avec d’énormes prises de risques. Pour cela, les jeunes ont besoin des modèles certes, mais des archétypes émanant au plus profond de leur âme leur donnent plus d’assurance. Et c’est à juste titre que Mongo beti disait avec une pointe d’ironie que chaque peuple doit avoir son messie et qu’il faut aux Africains un messie noir. Selon cet iconoclaste, pour que triomphe la liberté, les Africains doivent forger des créatures mythiques, des visages éternels car être ne suffit pas, il faut être autre. Dans le cas précis, les artistes de la négro-renaissance ont émis de fortes radiations déconstructives par leur philosophie et leur pensée, une contre mythologie à la recherche d’une nouvelle société. Dans ce sens, Countee Cullen dans Black Christ s’accorde alors avec Mongo Beti dans Ruine que “ ces messies noirs ” du fond de la raque de l’histoire, sauront mieux comprendre les problèmes de leur race, “ Le destin d’un peuple voué aux déclins répétés, mais se réveillant toujours, se redressant quand même chaque fois ” (312)

{{Conclusion}}

Nonobstant l’érosion du temps, tout se passe comme si les problèmes exposés par ces pionniers de la négritude sans la nommer ainsi, sont encore d’actualité. Ils peuvent donc servir de guides, de miroir pour ces jeunes pousses en perte de repères, abandonnés à eux-mêmes. La lecture constante de ces grandes œuvres éternelles comme le « new negro » d’Alain Locke peut servir de catalyseur, de thérapie, mieux comme une forme d’exorcisme pour se décomplexer et se redonner confiance. Il s’agit, pour en arriver, non pas comme dit J.P. Sartre à « un racisme antiraciste » mais à un relativisme culturel, au respect de la différence, découlant de la diversité que nous offre le monde. Sur le plan éducationnel, la connaissance de l’histoire du monde noir confirmera l’idée selon laquelle les Noirs aussi ont contribué à l’édification du monde contemporain, en l’occurrence Les inventeurs noirs et qu’il n y a jamais eu de vide culturel. Les Noirs révolutionnent le monde d’aujourd’hui en participant aux arts, aux activités sportives, à la science ainsi qu’aux nouvelles technologies, le plus en vue étant Cheikh Modibo Diarra le navigateur interplanétaire malien en ce qui concerne le vieux continent. De même, l’élection d’Obama est là pour confirmer cette capacité à surmonter le destin ; exemple enrichi par le discours qu`il a adressé à la jeunesse africaine lors de sa récente visite à Accra, au Ghana.

Pour clore notre propos, cette jeunesse africaine et africaine- américaine avec une dose de courage, de la foi en l’avenir et d’estime de soi, peut arriver à soulever les montagnes. Elle incarne l’avenir, le symbole et le mythe d’une Afrique victorieuse. Aussi doit-elle toujours se garder en esprit, la négritude césairienne, celle qui n’est jamais une taie d’eau morte mais toujours debout, se voulant résolument optimiste et triomphante.

* Dr Dolisane Ebossè Cecile, chargée de cours à l’université de Yaoundé I et spécialiste des littératures africaines et africaines-americaines et en Women and Gender Studies.

(1) La ville de Harlem fut vers 1658 la patrie des commerçants juifs allemands à 7 km de Manhattan, venant du nom néerlandais « Nieuw Harlem », c’était une petite colonie sans grand intérêt. Avec les tensions raciales du sud des Etats –unis les Noirs occupaient progressivement les logements vides et peu à peu les juifs quittèrent les lieux pour d’autres endroits. Et cette ville devient le lieu d’associations des Américains ayant des origines africaines, et partant, le centre culturel et intellectuel de l’Amérique noire.

(2) C’est la raison pour laquelle LS Senghor reconnaît en eux la paternité de la lutte pour l’émancipation du Monde Noir « le mouvement de la négritude, la découverte des valeurs noires et la prise de conscience par le nègre de sa situation est né aux Etats-Unis d’Amérique. » Et Lylian Kesteloot de renchérir que W. Dubois est le véritable père de la négritude. In Anthologie négro-africaine, Paris, EDICEF, 1992.

(3) W. Dubois influença profondément L. S. Senghor et ses amis par l’intermédiaire de Marcus Garvey et surtout de la négro-renaissance « Au quartier latin dans les années 30, écrit Senghor, nous étions sensibles par dessus tout aux idées et à l’action de la Négro renaissance dont nous rencontrons à Paris quelques- uns des représentants les plus dynamiques. » L. S. Senghor, « Problématique de la négritude », Présence Africaine, N° 78, 1971.

(4) Avec les problèmes rencontrés par le mouvement, beaucoup de jeunes s’exilèrent en Europe. En 1923, Claude Mac Kay s’installa à Marseille et écrit Banjo (1929), ouvrage où il recommandait vivement les jeunes noirs à résister à la culture européenne, car selon lui le destin de l’instruit est singulièrement le même que celui de son frère analphabète. Il mettait déjà les Africains en garde contre les dangers de l’assimilation et l’acculturation.

Bibliographie sommaire

Sources primaires :

Dubois, W.E.B. The soul of Black Folk, Essays and Sketches, Chicago, AC. Mc clurg

Mac kay Claude « Harlem Shadow », 1922.

Mac kay Claude « Banjo », 1929.

Countee Cullen « Héritage » in Color, 1925.

Countee Cullen « Black Christ and the other Poems», 1929.

Hughes Langston « Moi aussi je suis l’Amérique » The Weary Blues, 1926.

Locke, Alain, The New Negro: An Interpretation. New York: Albert and Charles Boni, 1925.

Sources secondaires :

Beti, Mongo, Ruine presque cocasse d’un Polichinelle, (Remember Ruben II), Paris, Ed. des Peuples Noirs, 1979.

Césaire, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence africaine, 1939.

Chevrier, Jacques, Littérature du Sud, Paris, Actes Sud, 2006.

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Essomba, Roger-Marie, Le Paradis du Nord, Paris, l’Harmattan, 1999.

Essomba, Roger-Marie, Une Blanche dans le noir, Paris, l’Harmattan, 2000.

Etounga Manguele, Daniel, L’Afrique a-t-elle besoin d’un plan d’ajustement Culturel, Paris, l’Harmattan, 1992.

Fabre, Michel, Les Ecrivains noirs américains à Paris (1830-1995), Paris, André Dimanche, 1999.

Fabre, Michel, African- American and French speaking Black Literature ( 1930-1950). Discovering the negritude movement in Collection Rule Britannia, 2001.

Jules Rosette, Benetta, Black Paris. The African Writers Lanscape, Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 1998.

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Kounou, Michel, Le Panafricanisme : de la crise à la renaissance, Yaoundé, CLE, 2007.

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