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LA JUSTICE EN MARTINIQUE : TOUT VA BIEN ET QU’ON SE LE DISE !

Raphaël Constant
LA JUSTICE EN MARTINIQUE : TOUT VA BIEN ET QU’ON SE LE DISE !

   Tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil et d’ailleurs tout va bien. Voici donc les discours prononcés, avec une complaisance coupable et un aveuglement sidérant, dans le cadre des rentrées solennelles des juridictions (le 19 janvier pour Cour d’Appel et le 22 pour le Tribunal de Grande Instance). 

   Ces braves personnes de la Justice (nous dirions Lalwa) semblent vivre dans un bocal mais ne comprennent pas que les quidams les regarde et qu’ils comprennent bien qu’ils sont en rupture avec la réalité.

   On pourrait penser que le mouvement des gardiens de prison les pousserait à un minimum de prise de conscience. Eh ben non, tout va bien, on vous le répète.

   Comme à leurs habitudes, les procureurs remportent la palme à ce jeu de la langue de bois coupé des réalités.

   La Juridiction interspécialisée (JIRS) a été comme d’habitude encensée alors qu’en réalité, cette structure, après 13 ans de fonctionnement, n’a aucunement jugulé la grande délinquance (trafic de drogue, corruption etc….) mais l’a tout au plus (mal) accompagnée. Ce sujet mérite un développement particulier que je me propose demain article.

   Pour en revenir à l’actualité, M. le Procureur de la République a admis lors de la rentrée du Tribunal que la justice était « sévère » en Martinique mais il nous a indiqué que c’est cela que les gens veulent. Ah bon quand et où les a-t-il consultés, « les gens » ? Quel « gens » ? Les martiniquais ? Et même si cela était vrai (ce bon vouloir de répression des « gens ») serait-ce suffisant pour justifier une politique qui a la double conséquence d’augmenter la délinquance et la violence en Martinique. En 1981, la majorité des français était pour la peine de mort. Fallait il la garder pour autant ? 

   Mais puisqu’on parle des procureurs, faisons une disgression sur deux évènements majeurs qui ont eu lieu récemment pour l’institution judiciaire française et qu’aucun des excellents discoureurs des audiences solennelles n’a pensé à évoquer.

   Le 8 décembre 2017, le Conseil Constitutionnel, saisi par le principal syndicat de magistrats (USM) a considéré que la législation actuelle en matière d’organisation des parquets était conforme à la Constitution. Le 15 janvier 2018, l’actuel président de la République a fait savoir qu’il était contre la rupture du cordon ombilical entre le gouvernement et les parquets.

   Ce qui précède peut paraitre comme du chinois mais cela conditionne pour beaucoup notre quotidien car il s’agit de l’indépendance et la crédibilité de la justice.

   Selon la constitution française (article 64), il n’y a pas de pouvoir judiciaire mais une « autorité judiciaire ». Elle serait « indépendante », le président de la République étant en charge (cela prête à rire !) d’assurer cette indépendance.

   Or, la magistrature française a deux composantes ; les magistrats (président, assesseurs, juges) qui jugent et les magistrats (Procureur, substituts, avocats généraux etc…) qui poursuivent. Selon la Constitution, les premiers sont inamovibles, condition de leur indépendance. Certains les considèrent même comme « irresponsables » (au sens où ils n’ont pas à supporter personnellement les conséquences de leur décision). Les seconds sont placés sous la hiérarchie du Garde des Sceaux et du gouvernement. Ils ne sont donc pas indépendants.

   Cette architecture extrêmement ancienne en France ne posait pas trop de problème dans le cadre d’un débat franco-français. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a fracassé cette certitude. Dans une décision célèbre du 23 novembre 2010 (affaire Moulin c/ France), elle a considéré que les procureurs français n’étaient pas des magistrats indépendants et donc ne pouvaient être considéré comme étant en état de prendre des décisions judiciaires ! Car dans le droit européen (reprenant ainsi un principe du droit anglo saxon), on ne peut être magistrat et non indépendant !

   Cela a d’autant plus créé une difficulté majeure que, depuis de nombreuses années, la plupart des lois en matière pénale ne cesse d’augmenter les pouvoirs du parquet à l’encontre des libertés des citoyens, autrement dit de fonctionnaires non indépendants soumis au pouvoir politique. 

   La question était depuis près de dix ans de savoir s’il fallait rendre « indépendants » les braves procureurs français. Le Conseil Constitutionnel et Macron viennent de répondre non.

   Dans la procédure engagée devant le Conseil Constitutionnel par l’Union Syndicale des Magistrats, ce derniers espérait que cette haute juridiction dise que le statut actuel des procureurs était contraire à la constitution (le fameux article 64) et contraindre ainsi le gouvernement à proposer au parlement des modifications (législatives et même constitutionnels) pour assurer cette indépendance de la justice. Mais la Cour présidée par Laurent Fabius n’est pas allée dans ce sens. Elle a considéré que la non indépendance des procureurs n’étaient pas contraire à la constitution. La question est discutable car l’article 64 ne distingue pas entre juges et procureurs sauf qu’il ne mentionne l’inamovibilité que pour les premiers.

   Macron a clairement posé dans on discours devant la Cour de Cassation que les procureurs continueraient à dépendre du gouvernement. Ainsi, en dépit de quelques modifications homéopathiques, on resterait avec le même schéma.

   Ce choix politique de l’actuel président s’inscrit dans la tradition d’une justice dépendante du pouvoir politique. Comme l’écrivait il y a près de cinquante ans un célèbre journaliste Pierre Vianson Ponté, en France la justice rend des services et non des arrêts.

   Il n’empêche que cela fait pour le moins désordre pour un pays se voulant le leader en Europe et dans le monde de la défense des droits de l’homme.

   Dans ce contexte, les pouvoirs de plus en plus étendus et puissants des procureurs ne peuvent que produire une institution judiciaire de moins en moins indépendante. Car pour l’essentiel, en matière pénale, les magistrats du siège ne jugent que ce que le parquet veut bien poursuivre. Ainsi, il est manifeste qu’entre autres, en Martinique par exemple, les infractions en matière d’accident du travail, des délits d’entrave aux fonctions des représentants du personnel, les injures racistes contre les « indigènes » ne sont pas poursuivies par le Parquet de la République.

   Mais, en outre, à moyen terme, cette dépendance des procureurs ne peut pas ne pas poser un problème plus important à savoir la composition de la magistrateur française.

   Une des caractéristiques et particularités de l’institution judiciaire française tient au fait qu’il n’y a pas de séparation entre les magistrats du siège et les parquets au sens où un magistrat peut passer de l’un à l’autre sans aucune difficulté et selon son choix personnel.. Autrement dit, il est commun que celui qui a été procureur hier soit muté dans une autre juridiction pour devenir juge d’instruction ou président de chambre correctionnelle, ou inversement ! Cela crée une solidarité de fait, un esprit de corps entre tous ces magistrats et le justiciable et son défenseur sont pris en étau avec cette conception.

   Or, le métier de poursuivre et celui de juger sont pour le moins différents sinon même contradictoires.

   Quand j’ai eu l’occasion d’exercer le métier d’avocat dans des juridictions internationales, j’ai découvert que pour la quasi-totalité des juges du monde entier, la fréquentation des procureurs était honnie et interdite. Un juge ne rencontre pas un procureur, ne discute pas d’un dossier sans que l’autre partie ne soit présente. Physiquement et géographiquement, les juges sont séparés des procureurs et des avocats. En France, c’est le schéma inverse. Juges et procureurs sortent de la même école, se fréquentent, discutent entre eux des dossiers communs et travaillent cote à cote. Ainsi, en Martinique, les membres du parquet, les juges d’instructions et le fameux JLD (Juge des Libertés et de la Détention) travaillent côte à côte, sur un même troisième demi-étage. Dans un tel contexte, quelque soit la bonne volonté des un€s et des autres, il existe une telle osmose entre ces deux corps de la profession de magistrat que, ne serait-ce qu’en apparence, elle mine le concept même de l’indépendance du magistrat. Dans un tel schéma, l’avocat est un empêcheur de tourner en rond et sa capacité d’influence sur le sort de la procédure est proche du néant par rapport à celle du Parquet. Ainsi, un juge d’instruction ne prendra jamais une décision dans un de ses dossiers avant d’avoir discuté avec le parquet, non pas dans le cadre d’un échange contradictoire transparent mais dans un débat occulte où la défense n’a pas droit de cité. La situation est moins choquante dans les audiences publiques mais il n’est un secret pour personne que ces audiences sont le dernier maillon d’un processus alors que les jeux sont le plus souvent déjà faits.

   Un des éléments qui devraient assurer l’existence d’une justice indépendante est que le métier de poursuivre et celui de juger soient clairement séparés. Il s’agit de métiers différents. Le juge doit être indépendant et inamovible. Le Procureur est chargé d’appliquer la politique pénale du gouvernement et de poursuivre dans ce cadre. Sauf exception, Un juge ne devrait pas pouvoir devenir procureur du jour au lendemain puis redevenir juge après demain pas plus qu’un avocat ne puisse devenir juge. Il faut aussi que physiquement dans l’architecture des tribunaux ces deux corps de métiers soient séparés. Comme, il n’est pas sain que les juridictions soient gérées par une dyarchie juge/procureur en excluant les greffiers et les avocats.

   Notre réalité judiciaire fait que nous dépendons d’un pays où non seulement l’indépendance de la  Justice est problématique mais où l’institution judiciaire est mal lotie et mal-considérée. Le dernier tableau de bord publié par l’Union Européenne classe la France à la 14ème place sur 28 quant au budget de la justice et à la 24ème place par nombre de juges par rapport à la population. 

   Nul doute que ce qui précède est partiel, partial et outrancier et qu’en dépit des apparences, la réalité serait les discours à l’eau de rose prononcées lors des entrées solennelles !

          31/01/18

          Raphaël CONSTANT

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