Nous poursuivons notre quête des petits faits du quotidien suite aux deux consultations référendaires du mois de janvier dernier, quête qui nous semble beaucoup plus révélatrice de l’état d’esprit des Martiniquais que n’importe quelle analyse socio-économico-politico-psychologique de « gran-grek ».
Dans une pharmacie de l’île, la patronne vit une sorte de petit cauchemar depuis mars 2009, c’est-à-dire depuis la fin de la grande grève qui paralysa l’activité économique durant trente-trois jours. En effet, alors même que celle-ci est très loin d’être une réactionnaire, qu’elle est même plutôt de gauche, voire nationaliste, ses trois employés ont entrepris de lui casser le moral à petit feu. C’est ainsi qu’à compter de la reprise du travail, ils se sont mis à chantonner ou à fredonner :
« Pwofitasion ! Pwo-fi-ta-sion ! » (Exploitation ! Ex-ploi-ta-tion !)
Cela à tout bout de champ : en rangeant les médicaments sur les étagères, en servant les clients, en classant les ordonnances ou en se rendant au dépôt. Et cela sans s’adresser à elle, la patronne, sans la regarder. Mine de rien, quoi ! Variant la ritournelle de temps à autre :
« Péyi-a sé ta nou, péyi-a sé pa ta yo ! » (Ce pays est le nôtre, pas le leur !)
Pas un jour, pas une semaine de répit pour la pauvre dame (Martiniquaise bon teint, faut-il le préciser) laquelle finit par se terrer dans son bureau pour n’en sortir que lorsqu’un des employés vient lui poser une question à propos d’une ordonnance compliquée, celui-ci fredonnant bien sûr l’un ou l’autre des deux refrains. Puis, arrive le congrès des élus de la Martinique, puis l’annonce par le gouvernement français de l’organisation prochaine de deux consultations. Les fredonnements commencent à se raréfier, les fronts commencent à se plisser. Plus la date du 10 janvier approchait, plus les employés devenaient muets. La patronne recommença donc à émerger de son bureau et à respirer un peu. De temps en temps, elle les entendait chuchoter, le mot « indépendance » revenant souvent dans leurs messes basses. Enfin, le 10 arriva avec ses 80% de voix contre le petit début d’autonomie proposé par l’article 74 et le 11, les employés revinrent à la pharmacie sourire aux lèvres. Mais cette fois, la pharmacienne ne se laissa pas faire. Elle les attendait de pied ferme, fredonnant sans arrêt :
« Péyi-a sé ta la Fwans ! » (Ce pays appartient à la France !)
Interloqués (et vaguement honteux), les trois employés filèrent doux à partir de ce moment-là…
Sur une radio, qui diffuse chaque après-midi une émission pour débiles profonds, véritable déversoir de tous les bas instincts de la populace, émission qui, de ce fait connait un grand succès, on a pu entendre des auditeurs vociférer contre le fait que la Région Martinique (et donc, dans leur esprit, Alfred Marie-Jeanne) ait décidé d’accorder 2 millions d’euros à Haïti suite au terrible séisme qui a ravagé ce pays. Cela a donné ceci :
. « Depuis le cyclone Dean, le toit de ma maison n’est pas réparé et on va donner des millions aux Haïtiens ! »
. « Tout ça de petites entreprises qui sont en difficulté et qui coulent en Martinique, comment le Conseil Régional ne voit pas que c’est elles qu’il faut aider en priorité ! »
. « Le Brésil, qui est un pays immense, a donné 8 millions d’euros à Haïti alors que la Martinique, qui est minuscule, a donné 2 millions. Vous ne voyez pas que Marie-Jeanne est tombé sur la tête ? »
. « C’est l’argent des Martiniquais, on n’a pas à le distribuer à droite et à gauche ! »
Etc…etc…etc…
Apparemment, ces chers Martiniquais ignorent que leur pays__à savoir la France__est un pays capitaliste et que dans le système capitaliste, les citoyens doivent se démerder d’abord tout seuls, l’intervention de l’Etat n’intervenant qu’en second et cela pas obligatoirement. Par exemple, l’Etat n’a pas à s’immiscer dans les négociations salariés-patronat et ce qui s’est passé à la Préfecture de la Martinique en février 2009 relève du surréalisme le plus total. Donc l’Etat capitaliste peut « soutenir » l’activité économique, mais il ne peut pas remplacer les entrepreneurs ou se substituer à eux en cas de difficultés. C’est bien pour ça qu’il existe des textes sur le redressement judiciaire et la mise en faillite. La Région Martinique a certes pour mission d’impulser l’activité économique mais il ne peut pas servir de banquier de secours à toutes les entreprises de l’île. Cela ne serait d’ailleurs pas légal. Si l’on comprend bien les chers auditeurs de ladite radio, ils veulent à la fois la protection du système collectiviste et la liberté du système capitaliste. Le beurre, l’argent du beurre et le « bonda » de la fermière, si on comprend bien ! Quand à ces histoires de toitures abimées par les intempéries, qu’est-ce que ces gens s’imaginent ? Qu’ils recevront de l’aide sans avoir à faire de déclaration et sans que leur déclaration ne soit vérifiée par les autorités ? Que le président de la Région ou du Conseil général se présenteront un beau matin devant leur porte avec un chèque comportant six zéros derrière le premier chiffre sans rien leur demander ! Enfin, s’agissant du Brésil, les 8 millions constituaient une aide de première urgence. Une aide donnée immédiatement au lendemain du séisme en Haïti. Le Brésil fait partie du groupe de pays qui s’est réuni à Montréal la semaine dernière pour préparer la reconstruction de l’île et a promis 250 millions d’euros. La Région Martinique, elle, en donnant 2 millions n’a donc absolument pas fait un geste disproportionné ou exagéré. C’était le minimum qu’elle pouvait faire pour aider la Première République Noire du Monde. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui ont toujours le mot « noir » ou « nègre » à la bouche qui ont protesté contre cette aide de la Région Martinique…
Dans un comité de carnaval d’un quartier foyalais, un des rares à ne pas être inféodé à la municipalité PPM en place, grande discussion pour savoir quel « bwabwa » (pantin) on construira cette année. Diverses propositions fusent, aucune ne recueillant l’assentiment général.
Jusqu’à ce que quelqu’un, qui n’avait pas parlé jusque là, s’écrire :
« Ca y est, j’ai trouvé ! Ce sera un…garage. »
Les autres carnavaliers le regardent, décontenancés. Un garage ? Pourquoi un garage ? Dôle d’idée ! L’homme s’explique :
« Avant les élections, le PPM avait parlé de 3è voie, il a fait toute sa campagne sur cette idée d’ailleurs…A l’entendre, il n’était ni pour le 73 tout simple de la Droite, ni pour le 74 des indépendantistes. Il allait obliger Sarkozy à réunir le congrès à Versailles pour modifier la constitution française et y inscrire l’autonomie de la Martinique… »
« Oui et alors ? » firent les autres d’une seule voix.
« Eh bien…depuis que les élections sont finies, on n’entend plus parler ni de 3è voix ni de modification de la constitution française ni rien. La 3è voie du PPM est donc une voie…de garage ! »
Commentaires