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LA MATIERE DE L’ABSENCE

par Catherine Portevin http://www.philomag.com/
LA MATIERE DE L’ABSENCE

Sur les traces du volcan. La mort de sa mère inspire à l’écrivain martiniquais une méditation de l’absence qui demeure le cratère du destin antillais marqué par l’esclavage et, au-delà, de la conscience humaine. Un grand livre de deuil tellurique.

« L’hominidé qui soudain prend conscience qu’un de ses semblables est mort : voilà notre toute première origine ! » Voilà l’« impact » inaugural, selon Patrick Chamoiseau, qui met l’homme face à l’impensable et l’isole de la Nature « comme une lune orpheline ». La mort ouvre un « en-dehors » de la vie, qui suscite à la fois l’angoisse de la conscience et sa « puissance émerveillante ».

Il y a plusieurs strates de mémoire, plusieurs traces à suivre, pour entrer dans ce grand livre tellurique, écrit sur les rythmes d’un volcan : impact (l’éruption de la catastrophe), « éjectats » (les matières expulsées des couches profondes), cratère (le vide qui demeure au cœur des vestiges, la « matière de l’absence »). Ce volcan, c’est peut-être la montagne Pelée dont l’éruption engloutit la ville de Saint-Pierre, en Martinique, en 1902. Mais il représente bien plus le destin caraïbe sous l’esclavage et la colonisation, et, avec celui-ci, toutes les fois, depuis les origines de l’Homo sapiens, où l’humanité, confrontée à sa propre disparition, ne peut plus se penser que par « traces » – concept central dans l’œuvre de Patrick Chamoiseau, hérité de la pensée de son aîné Édouard Glissant –, fût-ce seulement celle d’une main laissée au fond d’une grotte il y a quarante mille ans, ou la polyrythmie des tambours bèlè.

Le mouvement du volcan est essentiellement pour l’écrivain un mouvement de deuil, et d’abord celui d’un deuil intime qui « vous colle l’abîme aux talons » : la perte de la mère. La sienne, Man Ninotte, est morte au seuil du millénaire, à l’aube du 1er janvier 2000. Quinze ans plus tard, il se retrouve, un matin de Toussaint, au cimetière du Lamentin à la Martinique, avec sa sœur, noble personnage bien surnommée « La Baronne ». Un premier résumé du livre pourrait être celui-ci : un frère et une sœur se racontent, le temps d’une visite au cimetière, ce qu’ils ont fait de la perte, ce que leur mémoire a produit autour du manque. « Négrillon [c’est ainsi que l’aînée appelle le benjamin], ceux qui vivent longtemps n’ont pas besoin de cette réponse », prévient La Baronne, qui ramène son intellectuel de frère à l’évidence du mystère.

À partir de cette sidération, qui laisse sans langage, remontent les souvenirs d’enfance, le goût de la banane jaune cuite à l’eau, les fleurs du dimanche, les marchandes-sorcières, les conteurs créoles, la peur des zombis, le signal des conques de lambi pour annoncer au village « la mortalité », enfin la haute figure de Man Ninotte, « guerrière tout-terrain » contre la déveine, qui assurait à la « grappe » de la fratrie Chamoiseau son socle d’origine et de survie. Man Ninotte, c’est aussi, plus enfouis, les « en-dessous qui hurlent » du peuple antillais – Amérindiens éjectés par les colons, Africains esclaves, marrons fugitifs réfugiés… Mémoire ou oubli, se demande Chamoiseau, qu’est-ce qui permet de survivre dans le ventre du bateau négrier ?

Il faut pour le dire une « pensée tremblante » qui fasse place à l’invisible, à l’inexplicable, à l’opacité du monde. Seuls les poètes, assure Chamoiseau, savent désirer l’indicible « non pas comme un problème à résoudre mais comme un soleil à vivre ». Dès lors, il s’agit pour lui, grand lecteur de Victor Hugo (mais plus encore de Victor Segalen, « l’alchimiste du divers » sous les auspices duquel il écrivit son Éloge de la créolité), de tenter d’écrire une autre Légende des siècles. Mais la sienne réinventera, non des mythes fondateurs ou des communautés définitivement impossibles, mais des « légendaires » pour les temps incertains.

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Post-scriptum: 
La Matière de l’absence Auteur Patrick Chamoiseau Éditeur Seuil Pages: 372 Prix : 21,00 € Niveau lecteur motivé

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