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La politique économique : le temps des illusionnistes ?

Jean-Marie Nol
La politique économique : le temps des illusionnistes ?

Au fond, nous le savons tous, les problèmes de l'économie locale en Martinique et Guadeloupe ne vont pas s’arrêter avec la crise du coronavirus. L’idée d’une autre société autre que celle de la départementalisation est devenue presque impossible à penser, et d’ailleurs personne n’avance sur le sujet, dans les DROM d’aujourd’hui, même pas l’esquisse d’un concept neuf de nouveau modèle économique et social.

Plus que jamais, nous allons devoir apprendre à nous méfier des illusionnistes post COVID-19. 

Alors, pour que l’Esperance ne soit pas illusion et donc à terme une désillusion qui viendrait souffler sur les braises des tensions sociales comme lors de la crise sociale de 2009, il faut admettre que « changer la Martinique et la Guadeloupe » demandera du temps, de la pédagogie et aussi de l’autorité.

Et pour cause, la Martinique et la Guadeloupe vont bientôt changer réellement en profondeur   et la mutation va bien finir par nous surprendre si l'on n'y prend pas garde. 

Déjà, l'on peut noter que les consommateurs martiniquais et guadeloupéens achètent de plus en plus en ligne et pourraient ne pas retourner aussi souvent dans les magasins après la pandémie. Les entreprises devraient continuer à numériser leurs activités, transformant les emplois. L’Etat va s'avérer indispensable pour limiter les dégâts irréversibles que la récession va entraîner dans les prochaines années. Dans ce contexte inédit, personne n’est capable d’offrir une vision qui ait un sens pour appréhender l'avenir du tissu économique de la Martinique et de la Guadeloupe. Et pourtant, Il nous faut penser à la santé à long terme de l'économie, pas uniquement à la crise actuelle. 

Le hic c'est que notre culture créole n’est pas faite pour penser le long terme. Ce phénomène qui relève de l'atavisme est malheureusement rédhibitoire tant en Martinique qu'en Guadeloupe... 

 

Aujourd'hui nous subissons les affres du court-termisme, et nous voici rentrés dans un monde de peur et de conflictualité incessantes, notamment sur la question identitaire. A trop se concentrer sur le court terme de la politique politicienne, les décideurs publics en oublient la mise en œuvre d'une autre stratégie de développement. Cette négligence de la logique explique la lenteur de la décision pour opérer un changement de fond vers un nouveau modèle économique et social. Et qu’on ne dise pas qu’on en n’a pas les moyens : l’argent, fourni par l'Etat est pour le moment illimité ; il suffirait seulement de l’utiliser à bon escient. Si on veut en voir un impact dès l’an prochain, c’est maintenant qu’on doit le décider. C’est maintenant que les collectivités locales doivent rétablir l'équilibre de leurs finances ; c’est maintenant que les entreprises doivent préparer les projets d'investissements dans le secteur de la production. Les entreprises qui sauront faire ça sortiront vainqueurs de cette crise ; les autres s’enfonceront dans un déclin de moins en moins réversible.

C'est à présent qu'il faut tout faire pour éviter une « génération sacrifiée »

Cela suppose de cesser de penser à l’immédiat, de regarder un peu au loin, de penser aux jeunes générations. Si cette crise nous apprend au moins cela, nous aurons de l'espoir pour affronter demain.

 

Après une année 2020 particulière, les acteurs politiques de la Martinique et de la Guadeloupe ont choisi des actions variées de financement de certaines infrastructures, misant sur le rebond de la croissance mais pas sur la poursuite de la revitalisation de la production locale. Il est certain que si lors de la mise en œuvre du plan de relance de l'économie à hauteur de 600 millions d'euros de l'Etat et de la région Guadeloupe, l'économie guadeloupéenne ne fait qu'engendrer des entreprises "zombies" la désillusion sera considérable. L'OCDE dépeint les entreprises "zombies" comme "des entreprises ayant au moins dix ans d'âge et dont le revenu opérationnel est insuffisant pour couvrir leur charge d'intérêts pendant trois années consécutives". Le nombre d'entreprises qui survivent et qui ne participent pas à la destruction-créatrice de l'économie sera de plus en plus important en Martinique et en Guadeloupe. C'est là un risque de la baisse des gains de productivité. Il y aurait trop d'entreprises qui ne devraient plus exister. 

 

Psychologiquement, ce sera très difficile à encaisser. D'autant plus que plusieurs éléments négatifs, comme l'impossibilité pour les entreprises de rembourser les PGE, peuvent peser sur l'avenir.

Qu’arrivera-t-il à l'économie en 2021 avec toujours la présence étouffante de la pandémie de Covid-19 ?

Suivant les dires de certains organismes comme l'Insee, une forte récession guette la Martinique ainsi que dans une moindre mesure la Guadeloupe. Cela peut sembler paradoxal. D’un côté, le moral des chefs d'entreprises s’est effondré avec la pandémie. Et pourtant. Si l’on en croit la dernière étude de l'Insee sur le commerce de détail, ce secteur a profité de pulsions d’achats inhabituellement élevées. Certes, le secteur a été « durement éprouvé », subissant les « lourdes conséquences » des restrictions liées à la crise sanitaire. Mais en Guadeloupe, il a « globalement profité de la pandémie ».

La vague de faillites et de licenciements collectifs annoncée au début de la pandémie de Covid-19 ne s’est pas produite en Martinique et en Guadeloupe. Les statistiques 2020 du ministère de l'économie, publiées vendredi, montrent que le chômage partiel a permis de l’éviter. Mais l’arsenal déployé par le gouvernement pour empêcher une lourde crise de l’emploi sera-t-il assez robuste pour faire face à de nouvelles restrictions économiques ? On aurait pu craindre pire, bien pire. L’année 2020 enregistrera une récession, c’est vrai. Mais son ampleur sera bien moindre que prévu alors que la pandémie commençait à paralyser le monde, foi d’économistes. 

 

Aujourd’hui, les menaces virtuelles sur le social en France sont énormes, mais on n’arrive pas à imaginer ce qui arrivera, parce que l’on n'a jamais vécu avec une crise économique aussi intense. 

Un double danger, économique et social, mais également technologique, attaque à la racine l’idée de progrès qui tient lieu de religion laïque à l’Occident depuis le XVIIIe siècle. Dans la conception des Lumières, le développement de la science et de la technique allait de pair avec le perfectionnement de l’homme et des sociétés. Cette belle machine idéologique s’est aujourd’hui grippée. Plus personne en France, ou presque ne croit à un progrès linéaire, illimité, qui serait le sens même de l’histoire humaine. Et pourtant en Martinique et Guadeloupe, on continue à fonctionner comme par le passé en minimisant les choses dès lors qu'il s'agit de l'analyse économique. 

 

Ainsi, la dérégulation économique totale que provoque la crise du Covid 19, me paraît nous priver de nos libertés bien plus qu’une régulation raisonnable. En ce sens, je pense que les martiniquais et guadeloupéens doivent être plus rationalistes, car je crois que la raison doit à présent être défendue comme un bien commun dans le débat public. On entend souvent dire que la France sera au rendez – vous quoiqu’il arrive ! C’était vrai, il y a encore peu mais actuellement avec la croissance zéro à venir, ce postulat va s’avérer complètement obsolète. Or on sait que la consommation est le principal moteur de la croissance aux Antilles. L’endettement d’un ménage n’est pas toujours source de revenus futurs, surtout si cet endettement vise la consommation. Les dépenses de l’État à l’inverse peuvent être productives, elles sont une manière de soutenir l’économie, et elles sont sources de recettes futures. Il faut défendre la dépense publique en Martinique et en Guadeloupe qui a des fondamentaux économiques différents de ceux de la France métropolitaine : elle soutient la demande, elle soutient les débouchés pour les entreprises. Les prestations sociales, par exemple, permettent aux ménages qui en bénéficient de continuer à consommer. En plus de contribuer à réduire les inégalités, cela stimule l’activité et la croissance économique. La croissance zéro aura au contraire des effets pervers pour les martiniquais et les guadeloupéens. Le gel à venir des prestations sociales ou du point d’indice des fonctionnaires, c’est une perte de pouvoir d’achat pour les ménages concernés, cela entraînera une baisse drastique de la consommation, qui pèsera sur l’activité et donc sur la croissance. C’est en définitive des recettes en moins pour les collectivités locales, car s’il y a moins d’activité comme par exemple actuellement dans certains secteurs, il y a moins de revenus distribués dans l’économie, et donc moins de recettes fiscales. Quand une collectivité locale dépense en investissements publics, elle soutient l’activité, elle soutient la croissance… les ménages consomment plus, paient plus d’impôts et plus de taxes… autant de recettes futures. Lors de la crise sociale de 2009, la Guadeloupe ayant un niveau soutenu de protection sociale comme la France et une stabilité de la masse monétaire qui irrigue l’économie guadeloupéenne a été relativement protégé ,et ce en dépit d’une chute du PIB de 4,6% ,( à noter qu’en Martinique ,la chute du PIB a été de 6,5% et celle-ci est entrée en récession )et a ainsi donc pu éviter une vraie catastrophe économique et un désastre social : ce que l’on appelle les « stabilisateurs automatiques », comme les transferts publics et dépenses sociales qui soutiennent la consommation et l’investissement financier des collectivités comme la CTM et la Région Guadeloupe,  qui ont relancé l’activité, ont joué un rôle d’amortisseur de la crise sociale de 2009 . A l’inverse, aujourd’hui, dans ce nouveau contexte de crise larvée en France, la croissance zéro sera mortifère pour la Martinique et la Guadeloupe, car les salaires seront de plus en plus faibles, les ménages auront moins de revenus, consommeront moins et les entreprises ne parviendront pas à écouler leurs produits. L’austérité mènera à une crise sociétale de grande ampleur. On comprend que le problème n’est pas d’abord économique mais politique… Comment s’extirper de ce paradoxe ? En Martinique et en Guadeloupe, les politiques ne semblent pas prendre aujourd’hui la mesure de la faiblesse intrinsèque de la départementalisation. 

 

Car, au-delà des enjeux de la crise sanitaire, il y a d’autres sujets sur lesquels il est urgent d’anticiper, si l’on ne veut, là encore, être pris de court et débordé.

On voit que la situation socio-économique actuelle de la France est en train d’atteindre un point critique. Face à l’exaspération qui monte en flèche, on attend des politiques de droite comme de gauche qu’ils changent de logiciel et sachent parler un langage de vérité. Ce langage – révolutionnaire dans le contexte actuel – consisterait en fait simplement à dire qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, que la réalité n’est pas malléable à l’infini, que si on ne veut pas payer davantage d’impôts locaux, il va falloir envisager une redéfinition du jeu politique en Martinique et en Guadeloupe et dire la vérité aux citoyens sur les menaces existantes. Le modèle des 40 dernières années a effectivement été de prendre d’une main à la classe moyenne pour redonner d’une autre à la classe populaire, c’était la mise en œuvre de la machine infernale de l’assistanat. Sauf que l’état des finances publiques et surtout le ras bol fiscal de la classe moyenne et supérieure ne permet plus ce jeu de passe-passe.

Les responsables politiques devront savoir expliquer aux Martiniquais et aux Guadeloupéens qu’ils vont avoir à s’habituer à recevoir moins de gains de productivité, s’habituer à une croissance Zéro et donc connaître la stagnation des niveaux de vie futurs.

 

Je mesure mes mots quand je déclare que l’impact de la croissance zéro sur la Martinique et la Guadeloupe, voire la récession probable aura pour effet de diviser de moitié l’enrichissement global de nos pays à l’horizon 2025 du fait de la destruction créatrice de l’économiste Schumpeter. Une grande cassure économique arrive. Son origine n’est pas seulement d’ordre économique et financier, mais bien provoqué par l’incapacité des dirigeants politiques à repenser le modèle de développement actuel et l’organisation économique des pays Martinique et Guadeloupe. Il faut le dire clairement sauf à risquer l’implosion face à une situation où il faudrait continuer à augmenter la pression fiscale non plus sur le revenu mais par le biais des impôts locaux et des taxes, baisser les prestations tout en évitant l’endettement. C’est une équation tout simplement impossible à atteindre dans le cadre du modèle économique et social actuel qui prévaut aux Antilles. Pour réussir à penser à un autre modèle sur le long terme il faut également savoir vers ou l’on souhaite aller ? Quelles sont les objectifs ? Pour cela, posons-nous les bonnes questions avant de continuer notre vie quotidienne la tête dans le guidon à suivre la même routine par contrainte plutôt que de notre propre volonté.

Et plus que jamais, nous devons méditer sur cette citation du grand penseur Antonio Gramsci qui dit que « La crise consiste dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître » 

 

Jean-Marie Nol, économiste

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