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La très improbable victoire du créole écrit (1è partie)

Raphaël CONFIANT
La très improbable victoire du créole écrit (1è partie)

   Aujourd'hui, on peut voir du créole écrit quasiment partout : sur des panneaux publicitaires, des tee-shirts, des banderoles syndicales et sur les réseaux sociaux.

   Cela n'était pas vrai il y a à peine 20 ans ! C'est donc à partir des années 2000 que le créole écrit a pris son envol, dans les Petites Antilles et en Guyane en tout cas. Son véritable envol ! Or, ce qui parait normal de nos jours, voire même banal, est la résultante d'un long combat qui a commencé dans les années 70 lorsque Jean Bernabé fonda le GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créole) au sein de ce qui était à l'époque l'Université des Antilles et de la Guyane. Lorsque surtout il mit sur pied le premier système graphique cohérent (dit "système-GEREC") qui fait autorité jusqu'à aujourd'hui, même si, comme tout système graphique, il a subi des modifications ou des améliorations au fil du temps.

 

 

    Avant 1970, il y a eu du créole écrit de manière sporadique dans certains journaux et en 1844, le Béké martiniquais François-Achille Marbot publiait son célèbre (4 rééditions à ce jour !) Les Bambous. Fables de Lafontaine travesties en patois créole racontées par un vieux commandeur. Puis, en 1872 et 1880, le Guyanais Alfred de Saint-Quentin et le Guadeloupéen Paul Baudot faisaient, eux aussi, paraître des fables dans leurs créoles respectifs. Coup de tonnerre en 1885 : le Guyanais Alfred Parépou publiait le tout premier roman jamais écrit en créole : Atipa. 227 pages et 12 chapitres sans traduction en français comme c'était le cas pour les ouvrages précédents. Mais, hélas, coup d'épée dans l'eau car l'ouvrage ne fut jamais diffusé, fut même perdu pendant près d'un siècle avant qu'on en retrouve miraculeusement un exemplaire à la Bibliothèque du Congrès à Washington !!! Il est d'ailleurs le seul et unique ouvrage de la Caraïbe franco-créolophone (Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane) a avoir été réédité par l'UNESCO sous le prestigieux label "OEUVRE REPRESENTATIVE DE L'HUMANITE". Aucun ouvrage caribéen en français ne l'a obtenu à ce jour !

 

 

   Dans la première moitié et le milieu du du XXe siècle, l'écrit créole commença à prendre son essor, notamment en Guadeloupe, en 1957, avec l'ACRA (Académie Créole Antillaise) et des auteurs comme Rémy Nainsouta, Gilbert de Chambertrand, Bettino Lara ou encore Germain William. En Guyane, Constantin Verderosa inaugurait le théâtre  en créole guyanais avec Scènes créoles (1952). En Martinique, Gilbert Gratiant publiait son monumental Fab' Compè Zicaque (1950) et Georges Mauvois la première pièce de théâtre engagée (à connotation politique) Agénor Cacoul (1962 ). Avant Mauvois, le théâtre en créole se résumait à des saynètes généralement improvisées et donc non écrites qui étaient jouées à l'occasion de fêtes de fin d'année scolaire ou de fêtes patronales.

 

 

  Mais jusque-là, l'écriture étymologique c'est-à-dire fondée sur l'orthographe du français régnait en maître. Et cette écriture n'était pas normalisée, unifiée ou standardisée. Chaque auteur usait de son propre système, encore que système soit un bien grand mot puisque parfois dans le même texte, on pouvait trouver le même mot transcrit de deux, voire trois façons différentes et cela à quelques lignes d'intervalle : "laguia" et "ladja", par exemple, ou encore "macandia", "macanghia", "makandja"Jean Bernabé a mis fin, au début des années 70 du siècle dernier, à ce qui était une sorte d'anarchie graphique, mais aussi en liant, chose qui n'avait jamais été faite auparavant, graphie et syntaxe comme on peut le voir dans son œuvre majeure, Fondal-Natal. Grammaire comparée des créoles guadeloupéen et martiniquais (1983). C'est qu'il ne suffit pas de savoir écrire chaque mot isolément : il faut aussi l'inscrire dans la chaîne parlée et là, outre la syntaxe proprement dite, la ponctuation intervient également d'autant qu'elle est capitale dans les langues utilisant un système graphique à orientation phonético-phonologique comme c'est le cas du créole. Ecrire le créole revient en fait à maîtriser trois choses : la graphie, la syntaxe et la ponctuation.

 

 

   Mais le "système-GEREC" n'aurait jamais connu le succès qui a été et est toujours le sien s'il n'avait pas été relayé, vulgarisé, popularisé par cette brusque émergence d'auteurs créolophones de la décennie 1970-90. Véritable révolution créolisante qui s'est déroulée tant en Martinique (Joby Bernabé, Monchoachi, Raphaël Confiant, Georges-Henri Léotin, Serge Restog,  Jid/judes Duranty, Daniel Boukman, Jala, Romain Bellay etc.), en Guadeloupe (Sony Rupaire, Hector Poullet, Sylviane Telchid, Banzo, Max Rippon, Roger Valy etc.) et en Guyane (Elie Stephenson. Le "système-GEREC" n'aurait pas gagné la partie s'il n'avait pas été repris dans la presse entièrement ou partiellement créolophone (journaux martiniquais : Grif An tè ; Antilla-Kréyol/ journaux guadeloupéens : Magwa, Jougwa, Lendépandans). Si des associations culturelles comme l'OMDAC ( Kreyolfiesta) et BANNZIL KREYOL n'avaient pas pris à bras le corps l'organisation de la Semaine et surtout de la Journée Internationale du Créole (28 octobre). Il ne serait pas imposé non plus s'il n'avait pas été adopté par les partis et syndicats nationalistes ou d'extrême-gauche, principalement pour leurs tracts et leurs banderoles.

   C'est que jusqu'aux année 70, pour la majorité des Antillais "le créole ne s'écrit pas", "Il n'a pas de grammaire", "ce n'est pas une vraie langue mais un dialecte ou un patois", "c'est l'idiome des vié Neg de la campagne et des habitants des quartiers populaires urbains", "on ne peut pas créer une littérature en créole", "écrire le créole ne sert à rien", "enseigner le créole aux élèves risque de gêner leur apprentissage du français", "il vaut mieux enseigner l'anglais précoce aux enfants afin qu'ils se débrouillent à travers le monde lorsqu'ils deviendront des adultes", "ceux qui défendent le créole sont des anti-Français et des indépendantistes" etc...etc...

   Voici à quoi se résumait la situation linguistique en Martinique et en Guadeloupe à la fin des années 60/début des années 70.

   Constater en 2020 que le créole écrit est partout et trouver cela banal, c'est un peu comme toutes ces personnes qui découvrent aujourd'hui le chlordécone alors que cela fait 30 ans déjà que des Martiniquais tel Pierre Davidas ont dénoncé ce dangereux pesticide et se battent contre son usage. Non, cette une victoire du créole écrit n'est ni normale ni banale mais le résultat d'un dur combat de près de quatre décennies.  Certes, Neg pa ni mémwè comme le dit le proverbe, mais enfin, il y a des limites à l'oubli et à la rature du passé.

    Si quelqu'un avait dit en 1970 que le créole écrit serait partout en 2020, la quasi-totalité des linguistes, créolistes, écrivains créolophones et journalistes créolophones ne l'aurait pas cru. Et pourtant, il est désormais bel et bien partout !

 

                                                      SUR LES PANNEAUX D'AFFICHAGE

 

 

                                             SUR LES BANDEROLES DES MANIFESTATIONS

 

 

                                              SUR LES TEE-SHIRTS

 

 

                                              SUR L'INTERNET ET LES RESEAUX SOCIAUX

 

 

                                              SUR LES TABLEAUX (ECOLE, UNIVERSITE)

 

 

                                              SUR LES MURS (GRAFFITIS)

 

 

                                              SUR LES POCHETTES DE DISQUES ET CD

 

 

                                              SUR LES COUVERTURES DE LIVRES

 

 

    Ce qu'il faut comprendre dans ce mouvement qui a inscrit, imposé même, l'écrit en créole dans le paysage antillais et guyanais depuis l'an 2000, c'est que quelqu'un qui a aujourd'hui 50 ans et plus a passé l'essentiel de sa vie sans presque jamais voir du créole écrit. Pour elle ou lui, le créole n'existait qu'à l'oral et seulement à l'oral. Pour les gens qui ont 20 ou 30 ans aujourd'hui, par contre, voir du créole écrit est parfaitement banal et normal !

   Il s'est donc bel et bien produit une petite révolution dans les années 1970-90.

   Cela signifie-t-il pour autant que le créole est "sauvé" ? Que la cause du créole est gagnée ? Loin de là ! comme nous le verrons dans le prochain article... 

 

                                                                         (A suivre)

Commentaires

Frédéric C. | 15/09/2020 - 12:01 :
Merci pour ce rappel. En terme de vulgarisation, même si Raphaël Confiant le cite parmi toutes les publications, le journal GRIF AN TÈ a joué un rôle capital pour la génération lycéenne qui a aujourd'hui environ 60 ans. Dans ce journal (idéologiquement progressiste, pas au sens "PPM"), tout ce que Confiant indique là était expliqué pédagogiquement, en termes simples mais sans démagogie. C'était un excellent bain de jouvence et de RE-naissance. Voir à ce sujet les deux articles parus dans Montray sous la plume de Georges-Henri LEOTIN. Donc merci à l'équipe du GEREC qui nous a aidés à être davantage nous même. Il serait bon que les Montplaisir, Miguel Laventure et consorts d'aujourd'hui nous disent clairement ce qu'ils pensent sur ce plan de leurs ancêtres politiques qui par leurs pratiques renforçaient la DIGLOSSIE. Mais en effet le combat n'est pas définitivement gagné (aucun combat ne l'est!). La droite politique d'aujourd'hui, et même une partie inculte et amnésique de la "gauche politique", feront tout ce qu'il faut pour que le créole écrit soit cantonné au statut de langue "régionale"... Ceci illustrerait une fois de plus qu'un peuple sans mémoire est un peuple condamné. Alors restons vigilants. Ressassons les éléments rappelés dans cet article, et ceux évoqués par GH Léotin dans les 2 articles précités. Fouillons cette histoire, sans idôlatrie, mais avec respect, car dans les années 1970 c'était très difficile de mener ce combat contre les idées reçues et la pesanteur du régime giscardo-pompidolien aux Antilles "administrées" par la France...

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