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« Le calvaire d’un Marie-Galantais » d’Ephrem Bertin JEAN

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
« Le calvaire d’un Marie-Galantais » d’Ephrem Bertin JEAN

L’ouvrage d’Ephrem B. Jean s’attache à nous faire connaître un Marie-Galantais, dont les tribulations sont restées dans l’ombre d’une histoire oublieuse des hommes  mettant à mal, au XIXe siècle, les attendus de l’idéologie coloniale dominante.

 

Ephrem B. Jean s’inscrit dans la lignée des militants anticolonialistes guadeloupéens qui, dans les années 60, 70 et 80, ont aidé à mettre en exergue une histoire de la Guadeloupe méconnue voire occultée, alors qu’ils n’étaient pas des historiens de formation. On pense notamment au scientifique Germain  Saint-Ruf avec «L’épopée Delgrès» ou au médecin Roland Anduse et sa biographie pionnière consacrée à «Ignace, le premier rebelle». Ils ont ouvert un chemin.

 

Le Marie-Galantais Saint-Jean Alonzo est né avec le statut d’esclave vers 1804. Propriété de M. Lacavé Bontemps, en 1833, Alonzo achète  sa liberté. En 1846, il épouse Solange Clarisse sa compagne et reconnaît ses enfants. 1848 voit l’abolition de l’esclavage. S’ils ne peuvent pas s’opposer à la loi, les colons ne sont pas décidés à entériner dans les faits la fin d’un système, qui leur a permis de bâtir leur fortune en usant de leur pouvoir sans partage sur les esclaves. Ils aimeraient l’instauration d’une forme de travail forcé. Ils voient d’un mauvais œil grandir l’aura de cet Alonzo devenu un exemple pour les nouveaux libres, qui viennent  le consulter au sujet de leurs démêlés avec les anciens maîtres. Quand l’administration nomme ce « nèg », qui ne sait ni lire ni écrire, 1er adjoint au maire de Grand-Bourg, l’émoi chez les blancs est à son comble.

 

Le 24 et 25 juin 1849, ont lieu les élections législatives, les premières auxquelles les anciens esclaves vont pouvoir participer.  S’opposent le duo abolitionniste Schœlcher/Perrinon et le duo défenseur des colons Bissette/Richard. Analphabètes, les nouveaux électeurs ignorent comment choisir le bon bulletin. Le 25 juin, le maire Botreau Roussel Bonneterre, ancien gros propriétaire d’esclaves charge le garde champêtre Bacot de distribuer les bulletins aux noms de Bissette et Richard. Perspicaces, les nouveaux citoyens craignent d’être dupés et ils attendent l’arrivée de Germain, leur représentant. Ce dernier, outré de la tentative de fraude, leur demandent de déchirer les bulletins qu’on leur a remis. Le maire ordonne son arrestation. La foule entre en effervescence. Le 1er adjoint Alonzo tente de la calmer, il n’est pas écouté. Les militaires interviennent alors et tirent sur des manifestants sans défense. L’exécuteur de la tuerie Houelche, capitaine de la milice, est membre du Conseil municipal. Les blessés sont abandonnés sur le sol, les pharmaciens refusant de délivrer soins et médicaments. Les noms des morts ne seront pas portés sur le registre d’état civil.

 

C’est l’émeute partout dans l’île, la mairie de Grand-Bourg, la sucrerie et le moulin du maire partent en fumée, la maison de Houelche est détruite. Le 27 juin, le gouverneur appelle à la concorde entre propriétaires et cultivateurs et il confirme à ces derniers que leur liberté est acquise à jamais. De nouvelles élections sont prévues, elles verront le triomphe de Schoelcher et Perrinon.

 

Les procès des Marie-Galantais marquent un moment important de l’histoire de l’île. On sait que Victor Schoelcher, en 1851, en publie un compte rendu dans lequel on peut lire les remarques suivantes : « /…/comment les relations qui existaient entre M. Alonzo et ses anciens frères de servitude n'auraient-elles pas appelé sur lui la vengeance de ceux qui voudraient remplacer le fouet du commandeur par la verge de la justice déshonorée? M. Bayle-Mouillard, chef de la justice à la Guadeloupe, a été banni pour avoir résisté aux entraînements de l'oligarchie coloniale; M. Alonzo ne devait-il pas succomber ?» En effet  pour les colons, les émeutes, que leurs agissements ont provoquées, ont constitué l’occasion de se débarrasser du charismatique Saint-Jean Alonzo.

 

Dans son ouvrage, Ephrem Jean relate ce qu’il est advenu par la suite des hommes arrêtés lors des événements. Il s’appuie sur les nombreux actes et documents qu’il a exhumés des archives au fil de ses déplacements et recherches pour reconstituer notamment le parcours effectué de geôle en geôle par Alonzo. Le tableau de cet itinéraire carcéral est choquant. Entre le 28 juin 1849 et le 20 février 1855, on ne compte pas moins de 9 prisons (de celle de Grand-Bourg à celle d’Alger, en passant par celles de Fontevrault et de Nîmes). Gracié par Napoléon III, Alonzo qui souffre de « phtisie pulmonaire » a vu sa santé se dégrader et le 20 mars 1855, il meurt à 54 ans, dans le bateau l’Erigone censé le ramener en Guadeloupe. S’il n’avait de toute façon pas le droit de retourner à Marie-Galante, il aurait pu au moins revoir sa familleContrairement à ce que le sous-titre du livre laisse entendre : des geôles françaises, Alonzo ne reviendra pas. Il semble bien que le capitaine de frégate ne signale pas sa mort aux ministres de la marine et des colonies.  Sa dépouille aurait été inhumée à Cayenne.

 

Ephrem B. Jean a fait aussi des recherches sur la postérité éventuelle d’Alonzo et concernant ce qu’il est advenu de ses compagnons en prison (tous y sont morts). Il imagine aussi la rencontre qu’il aurait sans doute aimé faire avec son valeureux compatriote marie-galantais. Ancien dirigeant syndical (UGTG) et militant politique indépendantiste (UPLG)  Ephrem B. Jean  s’attache dans son ouvrage, à mettre en évidence le lien qu’il faudrait faire, selon lui, entre les combats d’hier et ceux méritant d’être menés aujourd’hui.

 

 Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES

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