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LE MYTHE DE L’ANGLAIS SALVATEUR

LE MYTHE DE L’ANGLAIS SALVATEUR

Depuis une bonne dizaine d’années, la langue anglaise est enseignée à l’oral dans un nombre grandissant d’écoles primaires de nos pays en application d’un texte ministériel pris, évidemment, pour les élèves de l’Hexagone. Si chez la grande majorité de ces derniers, il peut s’agir d’une bonne mesure puisqu’ils sont {{monoglottes}}, chez nous, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une énième manière d’éradiquer le créole. En effet, hormis, une toute petite minorité d’élèves provenant de milieux favorisés, nos enfants sont {{diglottes}} c’est-à-dire que, tout comme nous, adultes, ils naviguent en permanence entre deux idiomes : le créole et le français. A ce niveau, comme l’indique Jean Bernabé, il convient de distinguer les diglottes ayant le créole comme {{Langue maternelle 1}} et le français comme {{Langue maternelle 2}} d’une part et de l’autre, ceux qui ont le français comme Langue Maternelle 1 et le créole comme langue maternelle 2. D’aucuns affirment que le second groupe est en progression tandis que le second serait en régression, ce qui devra être prouvé par des enquêtes de terrain mais qui ne serait pas étonnant vu le véritable bombardement de français que nous recevons journellement. Surtout en Martinique où à RFO-télé, par exemple, il n’existe aucune émission dans notre langue alors que RFO-Guadeloupe en possède deux. Toujours est-il que, quelle que soit la Langue maternelle 1 de nos élèves, ils se livrent continuellement, ne serait-ce que dans la cour de récréation, en dehors de l’école ou pendant les vacances, à des transactions langagières qui ne sont pas sans effet sur leur maîtrise de l’un et de l’autre idiome. S’il est parfaitement légitime que les parents se soucient davantage de la maîtrise du français _cette langue étant, jusqu’à preuve du contraire, la langue officielle_ et s’ils ne s’inquiètent guère de savoir si leur marmaille s’exprime bien ou mal en créole, il n’en demeure pas moins que le créole est là et bien là. Il n’en demeure pas moins que sa non-prise en compte dans le système scolaire dès le plus jeune âge est source de dysfonctionnements et cela, pas seulement au niveau superficiel des {{créolismes}} comme on le croit trop souvent, mais à celui, beaucoup plus grave, beaucoup plus important, de la capacité à s’exprimer, à exposer des idées claires, à défendre un point de vue de manière structurée.

En fait, mais là encore la chose nécessiterait des enquêtes de terrain, il semble qu’au moins 60% des Martiniquais et des Guadeloupéens aient une {{compétence passive}} du français. Ce qui veut dire qu’il comprennent tout ou presque de ce qui est dit dans cette langue, qu’ils sont capables de lire sans difficulté un journal comme « France-Antilles », mais dès l’instant où il s’agit pour eux de « produire du français », dès l’instant où leur {{compétence active}} est en jeu, la plupart se trouvent dans un embarras certain. Cela peut se remarquer toutes les fois où ils sont amenés à prendre la parole dans des situations formelles (discours politiques, interrogatoires au tribunal etc.), à lire des textes dits sérieux ou à prendre la plume pour rédiger un courrier à une administration quelconque. Evacuons toute suite la question de l’orthographe du français ! C’est une véritable catastrophe, mais les causes en sont mondiales : dans tous les pays francophones, y compris européens comme la France, la Belgique, la Suisse, on assiste à un effondrement généralisé du système orthographique extrêmement complexe mis en place à compter de l’an 1635 par les académiciens désignés par le cardinal Richelieu. Et les championnats d’orthographe du bon père Pivot ne sont que l’arbre qui cache le…désert. Il ne s’agit pas de s’inquiéter devant le fait que des Bac + 3 ou Bac + 4 ne savent plus s’il faut mettre un seul « p » ou deux « p » à « rappeler », mais de s’interroger sur l’incapacité de ces mêmes diplômés à manier la langue de manière aisée et claire dès l’instant où l’on sort de la conversation quotidienne, de la lecture répétitive ou de l’écrit restreint.

En fait, chacun le sait bien, le problème vient de l’école maternelle et primaire au sein desquelles le créole a toujours été nié, même si, depuis quelques années, grâce au concours du « Professorat des écoles-option créole », on constate quelques changements cosmétiques. En effet, ces enseignants, pour la plupart munis d’une licence ou d’une maîtrise en créole (en Martinique en tout cas) sont bien en peine d’utiliser, de mettre en pratique, leur savoir faute d’une politique linguistique nettement définie et surtout de référentiels dans ce domaine. Et leurs collègues certifiés de créole du secondaire, dont certains possèdent un D.E.A., ne sont guère mieux lotis. Ils sont les uns et les autres obligés de naviguer à vue entre un Rectorat qui ne cède que sous la pression et des syndicats d’enseignants dont c’est apparemment le cadet des soucis. Pendant cinquante ans, par exemple, le SNI (Syndicat National des Instituteurs), syndicat dominant à l’époque dans le primaire, n’a jamais posé ouvertement la question non pas du créole, mais bien du {{rapport créole-français}} au sein de l’école antillaise. Il s’est contenté de déclarations vagues, d’allure progressiste, mais qui ne mangeaient pas de pain. Quand au SNES aujourd’hui, syndicat dominant au niveau de l’école secondaire, il ne fait pas mieux. En fait, tous ces syndicats défendent, outre la carrière de leurs adhérents, le système scolaire français en qui ils voient la seule source de salut pour notre jeunesse. Leur objectif, avoué ou pas, est de former des petits français bronzés. De bons citoyens du système départementalo-régional. Sauf que seule une minorité parvient à sortir de ce moule, les autres devenant des laissés-pour-compte, cela sans même qu’ils en aient conscience puisque l’interdiction du redoublement fait que de nos jours, des semi-illettrés peuvent arriver en classe de Terminale et donc se prévaloir du fameux « niveau Bac ».

S’agissant de la question de l’anglais précoce, syndicats d’enseignants et associations de parents d’élèves (hormis la remarquable exception de l’UPEM) s’entendent comme larrons en foire : vive l’anglais dès l’âge de 3 ans ! A bas le créole vulgaire qui empêche d’apprendre le français et…l’anglais ! Ne mâchons pas nos mots : une telle attitude relève ni plus ni moins du {{génocide culturel}}. Frantz Fanon décrit bien le moment où le colon n’a même plus besoin d’exercer la moindre oppression sur le colonisé : ce dernier s’en charge lui-même. En ignorant ou en minimisant la question linguistique au sein de l’école antillaise, en refusant l’extension de l’enseignement du créole, nous ne faisons que nous poignarder nous-mêmes. Et ce coup de poignard est accompagné, s’agissant de l’anglais précoce, d’une ignorance crasse ou d’une naïveté sans nom. Car qu’entend-on partout : « Il faut apprendre l’anglais car c’est le meilleur moyen de trouver un bon travail, de s’ouvrir au monde et bla-bla-bla… », tandis qu’avec le créole, « on retourne en arrière » ou bien « ça ne sert à rien dans le monde moderne ».

On pourrait demander à ces croisés de l’anglais pourquoi des milliers de Saint-Luciens et de Dominiquais, pourtant anglophones, viennent trouver une place au soleil en Martinique et en Guadeloupe. Pourquoi les Jamaïcains fuient leur île à tel point que le jour n’est pas loin où il y aura plus de Jamaïcains vivant aux USA que de Jamaïcains vivant au pays. Pourquoi les pays africains anglophones ne sont pas plus avancés économiquement que les pays africains francophones ou lusophones. Si l’anglais était le sésame, la baguette magique, que décrivent nos chers syndicalistes enseignants et parents d’élèves, comment se fait-il qu’il n’ait produit aucun résultat dans ces différentes contrées ? Pour ma part, j’ai eu la chance de visiter le Japon (2è puissance économique mondiale) et la Corée du Sud (8è puissance économique mondiale), à l’occasion de congrès de littérature, et, à ma grande stupéfaction, je me suis rendu compte que personne, ou presque, n’y parle l’anglais. Même les chauffeurs de taxi, pourtant liés aux hôtels où j’étais logé, avaient le plus grand mal à s’exprimer dans cette langue et j’étais, tout comme les autres congressistes, obligé, de me faire comprendre par petits dessins ou par gestes. Et une fois lâché dans les rues de Tokyo ou de Séoul, l’étranger est perdu s’il n’est pas accompagné d’un autochtone. Il ne pourra pas négocier dans un magasin, choisir un plat plutôt qu’un autre dans un restaurant, demander son chemin à un passant ou à un passager du métro et cela, j’en ai fait la cruelle expérience, même s’il s’adresse à l’un de ces jeunes à l’accoutrement hyper-occidentalisé (cheveux teints en rouge ou en violets, anneaux sur les lèvres ou dans l’oreille etc.) qu’on pourrait supposer baragouiner au moins quelques mots d’anglais. Hormis les professeurs d’anglais, les hommes d’affaires et les employés d’hôtel, personne ne parle anglais au Japon et en Corée du Sud. Cela n’a pourtant pas empêché ces deux pays d’accéder aux plus hautes marches du développement économique.

En fait, on est en droit de se demander à quoi sert une langue étrangère quand on n’est pas homme d’affaires ou qu’on ne travaille pas dans le tourisme ? A quoi sert-il à un mécanicien de Capesterre, à un facteur de Basse-Pointe, à un agriculteur de Saint-François ou à un marin-pêcheur du Vauclin de savoir parler l’anglais ? Ou à un employé de préfecture, un avocat, un pharmacien ou un médecin ? Avec qui vont-ils parler anglais ? Et, s’il fallait être cruel, avec qui un professeur d’anglais de Pointe-Noire ou du Lorrain va-t-il échanger en anglais ? Et là, je parle en connaissance de cause : j’ai été professeur d’anglais pendant 17 ans dans le secondaire. Il m’arrivait de passer des mois et des mois sans pouvoir utiliser cette langue, mis à part dans ma salle de classe. Pourquoi ? Parce qu’autour de moi, dans ma vie quotidienne, ce qui est le cas, je suppose, de l’écrasante majorité des enseignants de langue, je n’avais personne avec qui je pouvais pratiquer l’anglais. Du coup, c’est le prof qui régresse. Si la compétence passive se maintient (compréhension orale et écrite), la compétence active (produire de l’anglais) s’effondre inexorablement et ce ne sont pas quinze jours à Barbade ou trois semaines à Miami par an qui peuvent la sauver. Tout ce que je dis là, les professeurs d’anglais, d’espagnol, d’allemand, de portugais etc. exerçant aux Antilles le savent très bien. Peut-être que certains, exceptionnellement doués, sont-ils capables de maintenir leur niveau de langue sans pour autant la parler tous les jours, mais pour les autres, et c’était mon cas, j’assistais, jour après jour, chagriné, à diminution de ma compétence active.

Donc, qu’on arrête de nous raconter des conneries au sujet de l’anglais précoce ! Non, l’anglais n’est pas une baguette magique permettant d’obtenir plus tard un travail ! Les dossiers de l’ANPE sont remplis de titulaires de licence, de maîtrises, voire de doctorats en anglais. Non, l’anglais n’est pas compris ou parlé partout dans le monde ! Demander son chemin en anglais dans le métro de Tokyo ou de Caracas est une galère. Non, l’anglais n’est pas indispensable au développement économique d’un pays ! Sinon la Caraïbe anglophone et les pays africains anglophones seraient plus avancés que leurs voisins francophones, hispanophones ou lusophones.

{{Enseigner donc précocement l’anglais aux enfants antillais, outre qu’il s’agit d’un geste autodestructeur envers notre culture puisqu’il en revient à effacer le créole, relève d’une naïveté ou d’une ignorance crasse indignes d’éducateurs du peuple, selon la formule consacrée.}}

Il faut d’une part, n’enseigner les langues étrangères qu’à compter de la 6è dans les pays diglottes comme les nôtres et réserver l’école maternelle et primaire aux deux langues locales (dans notre cas, le créole et le français). D’autre part, lutter contre la quasi-imposition de l’enseignement de l’anglais comme première langue étrangère. Mondialisation oblige, nos enfants aurons aussi grand besoin du chinois, de l’arabe, du russe ou du hindi…

Commentaires

algo | 28/07/2007 - 17:55 :
Pour appuyer ces arguments,j'ai pu voir dernièrement à la television un reportage dans un centre culturel chinois à nairobi,capitale du kenya.Ainsi,on propose des cours de mandarin à des etudiants kenyans.Certains auront une bourse d'étude (de la chine) et pourront partir etudier dans des universités au pays de mao.La langue officielle du kenya est pourtant l'anglais.La chine est de plus en plus presente en afrique,d'un point de vue economique,et certains doivent maitriser la langue chinoise pour travailler dans des entreprises chinoises.

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