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LES "BLACK CARIBS" OU CARAIBES NOIRS : UN EXEMPLE DE CREOLISATION EN-DEHORS DE LA PLANTATION (1è partie

            LES "BLACK CARIBS" OU CARAIBES NOIRS : UN EXEMPLE DE CREOLISATION EN-DEHORS DE LA PLANTATION (1è partie

 Nous avons trop tendance à penser que le phénomène de créolisation ne s'est produit qu'à l'intérieur de l'"Habitation" ou plantation de canne à sucre.

 Et même qu'il fut d'abord le produit du contact Blancs/Noirs ou plus exactement de la domination esclavagiste des premiers sur les seconds, ce qui est complètement faux. La créolisation fut un phénomène multiforme, imprévisible, toujours violent qui a concerné en tout premier lieu le contact, lui aussi souvent violent, entre Kalinagos (ou Caraïbes) et Noirs. L'exemple des "Blacks Caribs" ou Caraïbes noirs de l'île de Saint-Vincent en est un exemple fort éclairant.
 Les sources historiques divergent mais en les recoupant, on peut se faire une idée assez précise de cette toute première forme de créolisation. Tout d'abord, il y a un élément démographique à prendre en compte : tant Christophe COLOMB que d'autres conquistadors ayant abordé les îles des Petites Antilles ont souligné le fait que Saint-Vincent (appelée Yurumein par les Kalinagos) était l'ile la plus peuplée par ce qu'ils appelèrent "les Sauvages". A ce propos, il convient de faire une parenthèse et de rappeler un fait qui est trop rarement mis en lumière : alors que la population indigène, les Tainos, des Grandes Antilles, fut décimée par les Espagnols en moins de cinquante ans, celle des Petites Antilles, les Kalinagos, résistèrent pendant plus d'un siècle à toute tentative de ceux-ci de s'installer dans leurs territoires. C'est ce qui explique pourquoi aucune île des Petites Antilles ne parle l'espagnol. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé d'y prendre pied ! Au point que les Espagnols finirent par désigner ces irréductibles Kalinagos comme étant des "cannibales" et lorsqu'ils continuèrent leur expansion plus à l'ouest, découvrant alors la presqu'île du Yucatan (au Mexique), ils se désintéressèrent complètement de ces petites iles pour conquérir le vaste continent qui sera appelé "Amérique". Les Petites Antilles demeurèrent donc très longtemps hors de toute domination européenne grâce à la combativité/férocité des guerriers kalinagos. Regardons les dates : COLOMB débarque en 1492 à Ayiti qu'il rebaptisa "Hispaniola" ou Petite Espagne tandis que Français et Anglais ne prirent pied dans les Petites Antilles qu'en...1625, dans l'ile de Saint-Christophe (aujourd'hui St-Kitts). Et même 1635 pour la Martinique et la Guadeloupe ! 
  On peut se demander pourquoi les Kalinagos qui avaient si longtemps et si vaillement résisté à l'envahisseur espagnol cédèrent devant les nouveaux envahisseurs français et anglais. Il y a de multiples raisons à cela mais trois semblent les plus vraisemblables : 1) les Kalinagos des différentes îles avaient des conflits entre eux et se livraient périodiquement à des guerres ; 2) lls étaient épuisés à la fois par ces dernières et par leur résistance aux Espagnols ; 3) Français et Anglais ne sont pas arrivés avec une "Invincible Armada" comme les Espagnols mais avec des flottes peu fournies, une bulle du Pape Alexandre VI, en 1494, ayant partagé l'Amérique entre Espagnols et Portugais. Les Ibériques ne tolérèrent d'ailleurs la présence franco-anglaise dans les petites iles que parce qu'elles ne représentaient plus aucun intérêt pour eux après la découverte de l'El Dorado que fut l'Amérique continentale avec ses mines d'or et d'argent.
  Fermons la parenthèse...
 Des sources concordantes (Idiaquez notamment) disent donc qu'à la suite du naufrage de deux navires espagnols entre 1664 et 70, des esclaves noirs qui se trouvaient à bord purent gagner la minuscule île de Béquia où ils furent capturés par les Kalinagos, puis transportés à Saint-Vincent, alors place-forte de ces derniers, où ils furent...mis en esclavage. Ou en tout cas réduits à l'état de captifs. Cela n'avait rien de nouveau : il était arrivé à diverses reprises que lors de leurs affrontement avec les Espagnols, les Kalinagos capturent des Blancs et des Noirs qu'ils retenaient alors comme captifs. C'est que les Kalinagos ne se sont jamais contentés de simplement résister à l'envahisseur ibérique : il leur arrivaient de lancer des raids d'une centaine de kanawa (canots) jusqu'à San Juan de Puerto-Rico qu'ils pillaient avant de se retirer, ramenant chez eux butin et captifs, comme en fait état dans maints rapports d'un célèbre gouverneur espagnol de l'époque, Ponce de Leon. 
 Ouvrons une deuxième parenthèse pour évoquer un autre formidable exemple de créolisation qui s'est produit en-dehors de l'univers de la Plantation de canne à sucre : une jeune Africaine, probablement du Sénégal, fut capturée par les Espagnols et emmenée en Espagne pour servir de domestique dans une riche famille où elle demeura plusieurs années. Jusqu'à ce qu'un membre de ladite famille décide d'émigrer à Puerto-Rico et emmène avec lui, toujours comme domestique, la jeune Africaine, rebaptisée entre temps Luisa de Navarete. Cette dernière vécut plusieurs années dans cette île avant d'être capturée par les Kalinagos lors d'un de ces fameux raids qu'ils lançaient régulièrement contre sa capitale, San Juan. Elle fut alors conduite dans l'île de Waitoukoubouli (aujourd'hui la Dominique) où elle épousa le...chef des Kalinagos dont elle eut plusieurs enfants. A la mort de ce dernier, elle devint reine des Kalinagos ! Luisa de Navarete fut donc ballotée entre Sénégal-Espagne-Puerto-Rico et La Dominique, parlant d'abord le wolof, puis l'espagnol et enfin le caraïbe. Il ne s'agit aucunement d'une légende : son histoire figure dans maints documents des Archivos de India (Les Archives des Indes) qui se trouvent à Séville et dont à peine le quart l'impressionnante masse de documents a été inventorié à ce jours : rapports de gouverneurs, journaux de bords de capitaines de navires, ordonnances royales, chroniques de la Conquête, témoignages de missionnaires, lettres commerciales, missives personnelles etc...Luisa de Navarete attend donc son Garcia Marquez ! Il est bien de connaître Toutankhamon ou Hailé Sélassié, mais il est tout aussi bien de connaître notre propre histoire à nous, Antillais, fut-elle cent fois moins prestigieuse que celle de ces illustres personnages.
  Fermons cette deuxième parenthèse...
 Ramenés donc de l'île de Béquia à celle de Saint-Vincent par les Kalinagos, les rescapés africains du naufrage des deux navires furent employés à des tâches domestiques et agricoles. Ce n'était pas parce qu'ils avaient la peau noire ! Quand les Kalinagos se livraient bataille entre eux, d'une île à l'autre, les vainqueurs du moment ramenaient des prisonniers qu'ils faisaient travailler de la même façon. Sauf que les captifs noirs furent beaucoup moins dociles que leurs alter ego kalinagos et qu'ils se rebellaient à a la moindre occasion. Leurs "maîtres" kalinagos décidèrent alors de tuer à la naissance tous les bébés mâles (il y avait bien sûr des femmes chez les rescapés comme à bord de tous les navires négriers quoique en nombre très inférieur à celui des hommes). Ayant eu vent de ce sinistre projet, les captifs noirs se révoltèrent, massacrèrent leurs propriétaires et s'enfuirent, kidnappant au passage des Caraïbesses, dans les mornes alors couverts d'épaisses forêt où ils rencontrèrent des...Nègres-marrons. Ceux-là s'étaient enfuis des plantations (pas encore de canne à sucre !) que les Anglais avaient installées dans d'autres parties de l'île de Saint-Vincent. Les deux groupes nègres fusionnèrent : celui qui s'était frotté à la culture kalinago et celui qui s'était frotté à la culture anglaise. Fusion qui inclut des femmes caraïbes comme déjà indiqué. 
 Ouvrons une troisième parenthèse pour dire que les relations entre Kalinagos et Africains ne furent pas, pendant très longtemps, aussi amicales ou édéniques que les décrivent la plupart des propagandistes actuels du tiers-mondisme à coloration noiriste. MAO-TSE-TOUNG avait coutume de répéter que "La Révolution n'est pas un dîner de gala", eh bien, la rencontre entre Kalinagos et Africains non plus ! Pas plus qu'elle ne le fut entre ces deux ethno-groupes et les Européens. Non, la créolisation ne fut pas un dîner de gala : ce fut un choc violent, implacable parfois, qui broya les identités des uns et des autres, y compris celle du groupe le plus puissant militairement, celui des Européens, et forcément le plus...sauvage. Nos propagandistes, dont les connaissances historiques, anthropologiques et linguistiques tiennent à peine sur un timbre-poste devraient donc arrêter de raconter n'importe quoi : personne n'a jamais prétendu que la créolisation avait été un dîner de gala. Ce qui, par contre, a été rappelé c'est que comme l'écrivait DESCARTES : "Même Dieu ne peut pas changer le passé". Autrement dit nous sommes obligés de tenir compte du fait que nous le sommes le produit d'une histoire violente et que nous devons l'assumer au lieu de perdre notre temps dans des élucubrations égyptolâtres ou hailé-sélassiesques.   
 Le temps de cerveau disponible sur le Net étant généralement court, nous reviendrons à nos esclaves rescapés du naufrage de bateaux espagnols et à leurs cousins nègres-marrons dans un prochain article...(A suivre)
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