Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

Les grandes traductions en langue créole

Les grandes traductions en langue créole

   Peu de gens savent que la plupart des grandes langues du monde ont accédé à leur pleine et entière autonomie ("souveraineté" préférait dire feu le Pr Jean BERNABE) par le biais de la traduction. Ainsi les Latins ont-ils massivement traduit du grec et plus tard, les enfants du latin (espagnol, français, Italien etc.) ont à leur tour traduit du latin mais aussi de l'arabe, de l'allemand, du russe ou du chinois. Souvent, c'est la traduction d'un texte sacré, en l'occurrence la Bible, qui marque le point de départ des grandes traductions. Martin LUTHER en traduisant celle-ci a non seulement fondé une nouvelle branche du christianisme (le protestantisme) mais a littéralement forgé de toutes pièces l'allemand littéraire. Ce fut aussi le cas du finnois, du russe ou encore du roumain.

   Le créole, langue jeune puisqu'elle n'a qu'à peine trois siècles et demi d'existence, n'échappe pas à cette règle puisque l'un des tous premiers textes rédigés dans cette langue est une traduction d'un extrait de la Bible, "La Passion selon Saint-Jean", texte anonyme qui n'est pas daté, mais qui, au vu du type de langue utilisé, date probablement du XVIIIè siècle. Cependant, les traducteurs créolophones ont davantage privilégié la traduction des textes profanes, en l'occurrence les Fables de la Fontaine, dont il n'y a quasiment aucun pays créole qui ne possède la sienne, de Trinidad à la Louisiane, de la Martinique aux Seychelles ou de La Réunion à la Guadeloupe. Du moins jusqu'au XXe siècle, moment à partir duquel seront traduits des dramaturges (Sophocle, Corneille, Molière etc.), des romanciers (Maupassant, Lewis Carrol, Saint-Exupéry, Camus, Le Clézio etc.) et plus rarement des poètes (Césaire, Tirolien). Mais ce sont les traductions des bandes dessinées (Tintin, Astérix, Titeuf etc.) qui connaîtront le plus vif succès populaire car ce genre allie écriture et oralité, donnant, par exemple, aux onomatopées une place qu'elles n'ont nulle part ailleurs.

   Profitons-en pour rendre un hommage à Sylviane TELCHID, ancienne professeur de créole, créoliste et écrivaine de talent, qui a traduit nombre de pièces de théâtre qui ont été jouées avec succès à travers toute la Guadeloupe, dans les années 80-90, mais qui, malheureusement, n'ont pas été publiées : Rapyannè-la ("L'Avare" de MOLIERE), Atann-Atan ("Le Bel indifférent" de COCTEAU) ou encore Sé konmandè siren-la ("Les Gouverneurs de la rosée" de Jacques ROUMAIN).

   Voici une sélection de quelques traductions les plus représentatives :

 

 

LES BAMBOUS. FABLES DE LA FONTAINE TRAVESTIES EN CREOLE PAR UN VIEUX COMMANDEUR

(François MARBOT, Martinique, 1844)

 

   François MARBOT est un Béké martiniquais atypique : il n'est pas propriétaire terrien ou négociant, mais magistrat. Il finira d'ailleurs comme gouverneur de l'île de la Réunion où il décédera et sera inhumé en.... Quatre ans avant l'abolition définitive de l'esclavage, en 1844, il publie une "traduction" en créole des fables de La Fontaine, s'inscrivant une tradition qu'avait initié le Réunionnais Louis HERY en 1821 et qui se poursuivra avec le Guadeloupéen Paul BAUD0T (1860), le Trinidadien John Jacob THOMAS (1862), le Guyanais Alfred de SAINT-QUENTIN (1874), l'Haïtien Georges SYLVAIN (1905) ou encore la Seychelloise Rodolphine YOUNG (1929). A partir de 1958 et du Martiniquais Gilbert GRATIANT et son magnifique Fab' Compè Zicaque, nos fabulistes créolophones, tels les Guadeloupéens Sylviane TELCHID et Hector POULLET prendront leurs distances avec le modèle lafontainien et enracineront leur écriture dans le réel insulaire.

   Le titre de l'ouvrage de MARBOT interpelle à plusieurs titres car il ne dit pas "traduites", mais "travesties". Il peut signifier qu'un texte écrit en français, langue prestigieuse, ne saurait être valablement traduit dans un patois tel que le créole ; il peut aussi renvoyer au fait que MARBOT inscrive son écriture dans la lignée du burlesque d'un SCARRON ; il renvoie enfin au fait que l'auteur travestit, pervertit même la morale se trouvant à la fin de chacune des fables de LA FONTAINE afin de délivre un message pro-esclavagiste. Ainsi, dans la célèbre fable Le Loup et le chien, alors que chez le fabuliste français, le premier, maigre et famélique, refuse de suivre le second, le chien, pour ne pas être attaché comme ce dernier quand bien même son maître lui fournit une nourriture abondante, chez le fabuliste créole, c'est exactement l'inverse. Le chien symbolisera le nègre d'habitation alors que le loup sera le nègre-marron, mais il sera stigmatisé en fin de fable pour son refus du servage alors que chez LA FONTAINE, il sera célébré.

   En dépit de son idéologie douteuse, Les Bambous constituent indéniablement une étape sur la longue route qui mènera peu à peu le créole martiniquais à la souveraineté scripturale...

  

 

 

BIB-LA

(Pasteurs McConnel et Laubach, Haïti, 1945)

 

   Venus convertir les Haïtiens au culte protestant à la fin de la deuxième guerre mondiale, deux pasteurs étasuniens, McCONNEL et LAUBACH, trompés par le discours mensonger des élites haïtiennes visant à présenter leur pays comme étant francophone, apprendront la langue de MOLIERE et débarqueront à Port-au-Prince où ils subiront un véritable choc : presque personne n'y parlait cette langue dans la vie de tous les jours même si elle était celle de la presse, l'administration et l'école. Les deux hommes d'église découvriront alors une langue dont ils ignoraient jusque-là l'existence à savoir le créole. Loin de se décourager, ils se mettront d'abord à l'apprendre, puis s'attèleront à traduire rien moins que La Bible dans ce que pourtant les élites locales considéraient comme un patois. Certes, des intellectuels haïtiens brillants comme Jules FAINE ou Jean-Price MARS s'étaient fortement élevés contre cette vision auto-méprisante, mais leurs travaux n'avaient pas dépassé les frontières de l'intelligentsia "mulâtriste".

   Avant McCONNEL et LAUBACH, il y avait eu dès le XVIIIe siècle des traductions de passages de la Bible, mais ils seront les premiers à réaliser celle de l'ouvrage saint du christianisme en entier. Toutefois, le plus intéressant est qu'en tant qu'anglophones, ils se détourneront de la graphie étymologique (inspirée de l'orthographe du français) qui avait cours dans le pays depuis deux siècles et créeront de toutes pièces une graphie phonético-phonologique, la toute première du monde créole, toutes zones confondues. Désormais, cette dernière damera progressivement le pion à cette dernière jusqu'à s'imposer, non seulement en Haïti, mais dans tous les autres pays créolophones avec nombre de  modifications, cependant, comme on peut le constater dans le système graphique proposé par Jean BERNABE dans les années 70-80 pour le créole des Petites Antilles et la Guyane.  

   Les deux pasteurs étasuniens auront donc fait coup double : implanter le protestantisme dans un pays  presque totalement catholico-vaudousiant puisque les protestants se montent aujourd'hui à près de 40% de la population haïtienne ; créer un système graphique qui perdure jusqu'à ce jour quoique modifié un peu plus tard par deux linguistes haïtiens, FAUBLAS et PRESSOIR.

 

 

ZENERAL MAKBEF de Shakespeare

(Dev Virahsawmy, île Maurice, 1981)

 

   Assez peu connu en-dehors de l'océan indien et de son île natale, sans doute parce qu'il écrit presqu'exclusivement en créole, Dev VIRAHSAWMY est un véritable personnage de l'île Maurice. A la fois pédagogue (professeur d'anglais, il a fait ses études à l'Université d'Edimbourg, en Ecosse), écrivain et militant politique (il fut député et subit même 1 année d'emprisonnement), il s'est attelé à la difficile tâche de traduire les principales pièces de théâtre du grand dramaturge anglais William SHAKESPEARE. En fait, D. VIRAHSAWMY préfère parler d'adaptation et non de traduction au sens propre du terme. Son adaptation donc la plus connue est celle de MACBETH rendu en créole mauricien par ZENERAL MAKBEF ( pies â III ak)publiée en 1981.

   Si le théâtre, qui a vocation à être dit et non à être lu, semble mieux pouvoir se prêter à la traduction que la poésie, la nouvelle ou le roman, il n'en demeure pas moins que SHAKESPEARE est un auteur d'une complexité redoutable et que l'interprétation de maints passages de ses pièces est sujet à de vifs débats, chose qui bien évidemment complique la tâche des traducteurs. D. VIRAHSAWMY a réussi à surmonter bon nombre de ces obstacles et a ainsi ouvert une voie prometteuse pour la traduction en créole mauricien.

 

ANTIGON de Sophocle

(Georges Mauvois, Martinique, 1997)

 

   S'essayer à traduire des grands textes classiques de l'humanité, surtout la gréco-romaine, est une véritable gageure quand on sait que le créole a toujours vécu dans l'ombre du français (même dans un pays tel que Haïti où pourtant il n'est presque pas parlé dans la vie quotidienne) et que de ce fait, il n'a pas pu développer un niveau écrit suffisamment autonome par rapport à l'oralité. Certes, à compter des années 70 du XXE siècle, un puissant mouvement de revalorisation de l'idiome maternel a traversé quasiment tous les pays créolophones tant des Amériques que de l'Océan indien et l'on a commencé à voir les prémisses d'une authentique littérature en langue créole. Mais une langue écrite ne se construit pas en un jour ni en une décennie, ni même en plusieurs décennies. La plupart des langues du monde ont mis des siècles à le réaliser. Or, le temps est compté au créole ! Il ne peut pas se permettre d'attendre ni d'espérer les fruits de cette lente maturation dont on bénéficié le français, l'espagnol ou l'allemand. Il lui faut donc faire le grand saut et sans filet ou presque. Ce qui veut dire, à l'instar des langues bien établies aujourd'hui, de passer sous les fourches caudines de la traduction. Passer donc "l'épreuve de la traduction", pour paraphraser le titre d'un ouvrage du célèbre traductologue Antoine BERMAN

   Georges MAUVOIS, auteur martiniquais à la fois francophone et créolophone (dès 1962, il publie une pièce de théâtre engagée devenue un classique : AGENOR CACOUL), relèvera ce défi en traduisant le dramaturge grec ancien SOPHOCLE, traduction publiée par Ibis Rouge. Autant traduire une comédie ne pose pas de gros problèmes en créole, le rire relevant le plus souvent de l'oralité ordinaire, autant s'attaquer à une tragédie est risquée, non pas que les sentiments soient absents de la culture créole, mais parce que des siècles d'esclavage en ont entravé l'expression normale. Ainsi le sentiment amoureux est-il souvent tourné en dérision : "Mwen enmen'w kon an kochon enmen labou" (Je t'aime comme un cochon aime la boue). C'est ce qui d'ailleurs avait provoqué un fou rire généralisé au Théâtre National d'Haïti, à Port-au-Prince, lors de la représentation du CID de CORNEILLE traduit en créole : la fameuse tirade "Rodrigue as-tu du ceur ?" avait été (innocemment) traduite par "Rodrig, es ou gen grenn ? ". De tragédie, la pièce avait alors basculé dans la comédie !!!

   La lecture d'ANTIGON traduite en créole martiniquais par G. MAUVOIS montre que le traducteur avait pleinement conscience des dangers qu'il encourait en utilisant un créole trop populaire et il s'est donc efforcé de forger un niveau de langue qui soit à la hauteur du texte grec, faisant ainsi progresser la littérarité au sein de notre idiome, maternel pour certains, matriciel pour d'autres.

   

 

ASTERIX, LO DEVINER d'Uderzo

(Franswa Sintomer et Roger Théodora, La Réunion, 2009)

 

   Le fameux Gaulois en lutte perpétuelle contre Jules CESAR et les Romains est connu dans le monde entier grâce au talent de son géniteur. Il symbolise en quelque sorte l'esprit français, la quintessence de la francité, cette dernière fut-elle imaginaire, voire fantasmatique. Tous les peuples, en effet, se donnent de grands ancêtres qu'ils imaginent vaillants, nobles et bâtisseurs et malgré la défaite de VERCINGETORIX, les livres d'histoires de France continuent imperturbablement à écrire "Nos ancêtres, les Gaulois" alors qu'il eût fallu écrite "Nos ancêtres, les Gallo-romains".

   Un brin chauvin donc, ASTERIX n'en demeure pas moins un personnage sympathique et c'est pourquoi deux ardents défenseurs de l'identité créole réunionnaise et auteurs créolophones reconnus, Franswa SINTOMER (hélas, décédé en 2014) et Roger THEODORA se sont mis à quatre mains pour traduire l'album LE DEVIN, publié chez Caraibéditions, avec un brio qui fera le succès de celui-ci.

 

 

AN DOUSIN KANPAY de Guy de Maupassant

(Jean-Pierre Arsaye, Martinique, 2000)

 

   Auteur de la première thèse en traductologie soutenue, sous la direction du Pr Jean BERNABE à l'ex-Université des Antilles et de la Guyane, Jean-Pierre ARSAYE qui, tout comme le poète créolophone guadeloupéen Hector POULLET, fut professeur de sciences naturelles dans le secondaire, est aussi traducteur. Le traductologue est celui qui réfléchit à l'acte traductif tandis que le traducteur est celui qui le pratique. JP. ARSAYE est les deux à la fois. Grand lecteur des romanciers français du XIXe siècle et écrivain lui aussi, il a relevé le défi de traduire en créole un recueil de nouvelles de Guy DE MAUPASSANT intitulé UNE PARTIE DE CAMPAGNE, cela en 2000, aux éditons L'Harmattan.

   Avec ce type de traduction, on mesure bien le saut qualitatif que doit opérer la langue créole pour parvenir à exprimer un univers qui lui est totalement étranger. Saut beaucoup plus grand et plus périlleux que celui qui consiste, par exemple, à écrire une nouvelle ou un roman en créole puisque ces derniers sont censés donner à lire un univers également créole. Comment traduire "meule de foin" que l'on trouve dans le livre de MAUPASSANT ? Le traducteur n'a que deux possibilités : soit créoliser le mot ou l'expression française soit forger un néologisme. Ces deux méthodes ne sont pas exclusives l'une de l'autre. C'est au traducteur d'être assez subtil pour savoir quand il vaut mieux utiliser l'une ou l'autre. Jean-Pierre ARSAYE démontre qu'il y réussit de manière tout à fait remarquable.

 

 

MOUN-ANDEWO A d'Albert Camus

(Raphaël Confiant, Martinique, 2012)

 

   Le roman-culte de l'écrivain d'origine pied-noire, L'ETRANGER, est sans doute l'un des plus traduits de la littérature française. La simplicité apparente du style d'Albert CAMUS est, en effet, une tentation à laquelle il est difficile à un traducteur de résister. Cependant, ce dernier se rend vite compte qu'il s'agit d'une fausse impression et que ce que d'aucuns ont qualifié d'"écriture blanche" (lexique limité, métaphores rares etc.) c'est-à-dire tournant le dos au style habituellement riche et complexe de la plupart des écrivains, réserve sont lot de surprises et de chausse-trappes.

   Redoutable est ainsi l'usage systématique du passé composé dans ce roman, temps inhabituel dans la prose littéraire française qui privilégie très majoritairement le passé simple. Au point que si ce dernier a complètement disparu du français contemporain, il est le temps-roi du roman français, sauf dans les dialogues. Or, le verbe en créole ne fonctionne pas à partir de conjugaisons comme dans les langues latines, comme le français donc, mais à partir d'un système dit "TMA" (Temps-Mode-Aspect) extrêmement complexe comme on peut le voir dans la monumentale grammaire approchée des créoles guadeloupéen et martiniquais de Jean BERNABE, FONDAL-NATAL, paru chez L'Harmattan en 1975.

   Et cette question de la traduction du passé composé camusien n'est que l'un des multiples obstacles que Raphaël CONFIANT a dû résoudre dansMOUN-ANDEWO A, publié chez CARAIBEDITIONS en 2012, élargissant du même coup les capacités expressives du créole au niveau littéraire.  

 

 

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU de PROUST

(Guy Régis Junior, Haïti, 2013)

 

   Quel du plus grand défi pour la langue créole que de s'attaquer à PROUST, l'un des auteurs français les plus difficiles ! Celui en tout cas dont les phrases sont les plus longues et les plus complexes et oeuvre qui tient en un seul et très long texte intitulé A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU (de 1906 à 1922). Le summum de la littérarité en quelque sorte ! On peut donc dire que le traducteur haïtien, Guy REGIS junior n'a pas eu froid aux yeux et qu'il a placé la barre très haut car même si le créole est langue co-officielle de son pays depuis 1989, on ne peut pas dire qu'il y soit devenu une langue écrite à part entière puisque la presse, l'administration, la justice et le commerce utilisent toujours le français dans un pays où pourtant 80% de la population est créolophone unilingue.

   Interrogé par LE NOUVEL OBSERVATEUR en 2013, l'intrépide traducteur avait déclaré ceci : 

   "C’est la confrontation de deux visions du monde différentes, de la langue source à la langue-cible. Dans une phrase, par exemple, Proust parle du«craquement organique des boiseries». Comment traduire ça en créole? Le mot «organique» n’existe pas. Le créole ne possède pas ces mots scientifiques. Pour traduire, j’ai dû composer: craquement, corps, bois. «Le craquement du corps de la maison.» Dans beaucoup de cas, je me cogne à ces divisions du monde par le vocabulaire. Les descriptions de personnages sont un casse-tête: le vocabulaire anatomique créole est assez imprécis. Par exemple, j’ai dû inventer un terme pour traduire le mot «joue»."

   Bien vu sauf que Gary REGIS junior aurait dû rechercher, comme devraient le faire tous les traducteurs en créole, si dans d'autres dialectes que le sien les mots qui manquent à ce dernier ne s'y trouvent pas au lieu d'en inventer de toutes pièces. Il aurait ainsi découvert qu'en martiniquais "joue" se dit "ponm-fidji" (litt. "pomme du visage"). Mais bravo tout de même à sa belle traduction de PROUST !

    

 

TI PRENS-A de Saint-Exupéry

(Aude DESIRE, Guyane, 2010)

 

   Ce livre, tout comme L'ETRANGER de CAMUS, fait partie des œuvres-culte de la littérature française puisque tout comme lui, il est l'un des plus traduits à travers le monde. Le patron de CARAIBEDITIONS, Florent CHARBONNIER, l'a même, courageusement, fait traduire dans la plupart des dialectes du créole : martiniquais, guadeloupéen, haïtien, réunionnais etc. La traduction du PETIT PRINCE (1943) de SAINT-EXUPERY en créole guyanais par Aude DESIRE est incontestablement l'une des plus réussie. On oublie souvent (ou on l'ignore) que le tout premier roman écrit en créole date de...1885, qu'il est dû à un certain Alfred PAREPOU, Guyanais dont l'identité est restée longtemps mystérieuse (mystère résolu par la créoliste québécoise Marguerite SAINT-JACQUES-FAUQUENOY) et qu'il a pour titre ATIPA, nom d'un poisson des marais. C'est dire que le créole guyanais s'écrit depuis longtemps.

   Tout comme, là encore, le roman de CAMUS, celui de SAINT-EXUPERY, donne la fausse impression d'être écrit dans une langue très claire et très simple qui peut aisément convenir à une langue en voie d'accession à la souveraineté scripturale telle que le créole. Il n'en est évidemment rien car tout réside dans les non-dits, les sous-entendus et l'humour masqué qu'il n'est pas facile du tout de transcrire dans une langue fortement marquée par l'oralité et donc l'expressivité directe comme c'est le cas du créole. Aude DESIRE, la traductrice, relève avec brio ce défi, faisant, elle aussi, progresser ce dernier. Interrogée par le site POTOMITAN en 2010, elle déclarait :

   "J’ai été confrontée à certaines difficultés déjà repérées, par Jean BERNABE, cet agrégé de grammaire, concernant par exemple, la manière de traduire la voix passive, le rapport au corps et parfois certains mots de vocabulaire."

 

TABATABA de Bernard-Marie Koltès/PAWANA de Jean-Marie Le Clézio

(Hector Poullet, Guadeloupe/ Raphaël Confiant, Martinique, 2002)

 

   Deux auteurs créolophones réunis pour deux traductions publiées aux éditions Ibis Rouge : Hector POULLET, poète guadeloupéen, traduit le dramaturge français Bernard-Marie KOLTES et Raphaël CONFIANT, romancier martiniquais, traduit le romancier franco-mauricien, Jean-Marie LE CLEZIO, cela des années avant que ce dernier n'obtienne le Prix Nobel de Littérature. POULLET présente ainsi son travail :

    "L'histoire : un jeune homme discute avec sa soeur aînée dans une cour tout en s'occupant de sa moto ; reproches sur les comportements de l'un et de l'autre, discussion sur la vie, l'amour, les hommes et les femmes de leur village. Un débat de cette nature entre un frère et une soeur, exprimant sans retenue des sentiments personnels est tout à fait improbable. Le fait de l'exprimer en créole nous oblige à nous pénétrer de réalités et de sentiments qui ne nous sont pas habituels et de ce fait nous ouvre davantage aux autres. Si bien qu'il me semble aujourd'hui fondamental, pour notre société, de passer par le moule de la langue pour élargir nos horizons et ainsi rompre l'alternative, dans laquelle les fondamentalistes de tout bord voudraient nous enfermer et qui consiste à vouloir que nous soyons ou créole natif-natal, ou français hexagonal."

   Dans ce même ouvrage, Raphaël CONFIANT s'attaque à PAWANA de Jean-Marie LE CLEZIO, récit qui évoque la vie et les combats d'un des peuples amérindiens ("peau-rouge") de la côte est des Etats-Unis, celle qui a été nommé "Nouvelle-Angleterre" après la conquête européenne.

 

 

TINTIN, LE SECRET DE LA LICORNE d'Hergé

(Robert CHILLIN, Guadeloupe, 2011)

 

   La bande dessinée, genre très populaire auprès des lecteurs et lectrices de 7 à 77 ans, est le format presque rêvé pour la traduction en créole. En effet, elle allie phrases courtes, imitant l'oral (les fameuses "bulles") avec des dessins très expressifs et surtout un usage récurrent des onomatopées qui en facilite la lecture et donc la compréhension. D'autre part, TINTIN est, avec Lucky LUKE et ASTERIX, l'un des personnages les plus célèbres de la bande dessinée européenne et les albums de son auteur, HERGE, ont été traduits dans un nombre incalculable de langues. De nos jours, TINTIN est fortement critiqué à cause de son côté euro-centriste, voire même raciste (cf. TINTIN AU CONGO), mais il convient de ne pas publier que nombre des albums qui lui ont été consacrés ont été publiés avant l'ère des décolonisations (années 60 du siècle dernier).

   Robert CHILLIN, le traducteur guadeloupéen du SECRET DE LA LICORNE, publié en 2011, sous le titre SIGRE A LIKON-LA chez Caraïbéditions, s'est en tout cas attaqué à un album qui ne comporte aucun relent de racisme et nous donne une très beau travail.

 

***

   Les traductions présentées dans cet article ne constituent qu'une faible partie de tout ce qui a été mis en créole, surtout en Haïti et aux Seychelles, pays où le créole est l'une des langues officielles et où des politiques linguistiques fortes ont été mise en place depuis des décennies. L'Académie du Créole Haïtien et Lenstiti Kreol Seselwa jouent ainsi un rôle clé dans la normalisation et la standardisation de la langue...

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages