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Les Libanais entre exaltation et angoisse, vent debout contre la corruption des élites

Les Libanais entre exaltation et angoisse, vent debout contre la corruption des élites

Tout a commencé avec l’annonce du projet de taxe sur les appels WhatsApp lancé le 17 octobre dernier. Ce fut la taxe de trop pour les Libanais qui sont descendus en masse manifester leur colère contre le système corrompu et kleptocrate de la classe dirigeante. « Tous ! Ça veut dire tous ! » (Kellon ya’ni kellon), fut le slogan lancé dès le début des mobilisations, appelant au départ de tous les dirigeants de toutes tendance politique et appartenance religieuse. Le gouvernement de Hariri accusé de corruption et de népotisme est contesté par les Libanais qui réclament sa démission.

Aucune des figures connues de la classe politique libanaise n’est épargnée. Ils vilipendent aussi bien Nabih Berri, chef du mouvement chiite Amal et président du Parlement, que Michel Aoun, président de la République et fondateur du parti chrétien le Courant patriotique libre ainsi que son gendre Gebran Bassil ministre des Affaires étrangères. Saad Hariri, premier ministre et chef du parti sunnite al Mustaqbal, Walid Joumblatt chef druze du Parti socialiste progressiste, Samir Geagea ministre et chef des Forces libanaises chrétiennes et enfin Hassan Nasrallah, icône sacrée presque intouchable de la résistance contre Israël et chef du parti chiite le Hezbollah n’échappent non plus à leur rage.

Contre la corruption

Tous doivent dégager, tous « puent la corruption et le vol systématique » des biens de l’État. Ces hommes politiques, seigneurs de la guerre civile (1975-1991) qui règnent encore sur le Liban ont construit leur pouvoir sur le clientélisme et la captation des fonds publics. Joumblatt, Berri, Geagea ou Aoun tous ont participé à la guerre civile. Hariri a hérité du pouvoir de son père et Nasrallah justifie sa légitimité par la résistance armée contre Israël.

Ils ont posé les bases d’une économie de guerre mettant à genoux un pays entier. Près de 30 ans après la fin de la guerre, rien n’a changé : le système d’éducation et de santé publique est en faillite et la pénurie d’électricité et d’eau potable est chronique. Dans les deux cas le privé prend le relais du public, rendant la vie des citoyens chère et difficile.

Les Libanais en manifestant expriment leur colère contre des politiciens qui ont « volé le pays » et l’ont plongé dans une crise économique sans précédent avec une menace de dévaluation de la livre libanaise. Ainsi, malgré les aides internationales, notamment le programme d’aide pour la réforme de l’État lancé à Paris lors de la conférence Cèdre en avril 2018, les hommes politiques libanais n’ont pas réussi à assainir les institutions libanaises et leurs promesses de réformes arrivent aujourd’hui un peu tard…

Le confessionnalisme mis à mal

Les manifestations expriment aussi le rejet du système confessionnel créé il y a 100 ans par le mandat français et qui devait être réformé à la fin de la guerre civile lors de la signature des accords de Taëf en 1989. Le slogan « Lâ Islâm wa lâ massihiyyé, badna wehdé wataniyy) » (ni musulmans, ni chrétiens nous voulons une unité nationale) était scandé partout du nord au sud du Liban et lors des manifestations de soutien à Paris, Londres, Montréal ou Sydney le 20 octobre dernier.

Partout on pouvait entendre des chants contre la division de la population par confessions pour une identité nationale commune. « Dînî loubnâni, ma religion est le Liban » scandaient les manifestants. Une unité nationale qui se traduirait par une séparation de l’Église et de la Mosquée de l’État pour la naissance d’une république laïque.

Coup de pied au patriarcat

Une des images les plus fortes qui a circulé sur les réseaux sociaux montre une jeune femme qui donne un coup de pied à un homme armé, garde personnel du ministre de l’Éducation Akram Chehayeb.

Cette image issue d’une captation vidéo est devenue virale, elle illustre la place centrale des femmes dans les manifestations, leur courage et leur volonté de changer le système patriarcal. Certaines femmes sur place revendiquent ainsi l’égalité avec les hommes à travers notamment la reconnaissance du droit de transmission de la citoyenneté libanaise par la mère ou la mise en place d’un système plus juste que celui des tribunaux religieux en matière de divorce pour la garde des enfants. Cette image illustre aussi la fin du règne des armes.

Les réseaux sociaux se font les témoins d’un ras-le-bol face au patriarcat. Rami Kanso, Author provided

L’exaltation d’un peuple uni

Partout sur le territoire libanais des portraits d’hommes politiques sont arrachés et souillés ; la surprise venant de la communauté chiite que l’on croyait soudée autour de ces deux chefs historiques : Nabih Berri et Hassan Nasrallah.

Ils sont conspués et hués au même titre que les autres leaders. Le clientélisme n’est plus, la conscience politique d’un Liban solidaire qui unit tous les citoyens des villes (Beyrouth, Tripoli, Sayda et Tyr) et des villages (du Sud-Liban au Akkar) est en éveil.

On marche en criant à bas le gouvernement, on invente des slogans, on se réunit tous les soirs pour faire la fête sur des airs populaires détournés et le lendemain on balaie les rues. On rit beaucoup aussi des politiques et on rêve d’un Liban nouveau débarrassé des oripeaux de guerre. Un peuple déprimé mais heureux et exalté de vivre cet instant magique qui réunit musulmans et chrétiens toutes génération et classe confondues. Contrairement aux manifestations de 2005 où la population était divisée autour de deux courants : celui du 8 mars pro-Hezbollah et celui du 14 mars pro-Hariri, les mobilisations d’aujourd’hui rassemblent tous les déçus, les laissés-pour-compte, mais aussi toutes les catégories de la classe moyenne, qu’ils soient de l’un ou de l’autre mouvement.

Angoisse de l’avenir

Les manifestations ont réussi à mettre au grand jour la corruption et à réunir le peuple libanais autour d’un même objectif : se débarrasser de la classe politique dirigeante.

Cependant, et si elles réunissent tous les jours des centaines de milliers dans une ambiance festive et pacifique, une profonde angoisse demeure quant à l’avenir qui se profile. Certains prédisent une crise économique encore plus grave, d’autres brandissent la menace d’une guerre civile comme en Syrie enfin il y a ceux qui croient en un futur plus serein ; pour ceux-là, on ne peut plus regarder en arrière, il faut continuer à avancer pour apporter le changement.

Dans un discours daté du 21 octobre, Hariri annonce entre autres les réformes suivantes : diminution des salaires des politiques, suppression des postes jugés inutiles (le ministère de l’information), et octroi de licences pour la construction de centrales électriques… Des réformes vraisemblablement insuffisantes pour faire cesser le mouvement, mais qui pourraient constituer une base de dialogue.

Post-scriptum: 
Les Libanaises se sont emparées de la rue depuis cinq jours, contre l'accaparement du pouvoir par les élites et un pouvoir d'achat qui s'écroule, le 21 octobre 2019 sur la place Riad al-Solh Square, à Beyrouth. Anwar Amro/AFP

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