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"Librairies fermées : oui, on peut parfaitement se passer des livres (voici pourquoi)"

Alexis Bétemps (in "Marianne")
"Librairies fermées : oui, on peut parfaitement se passer des livres (voici pourquoi)"

Alexis Bétemps est journaliste et rédacteur en chef philosophie de la revue "Philitt". Sous une accroche un peu provocatrice, il rappelle que les Français lisent peu et de moins en moins. Et que ce phénomène témoigne d'un certain échec de la démocratisation de la lecture, face à laquelle les libraires ont un rôle à jouer.

Parmi les (rares) lieux réellement contraints de fermer pendant ce deuxième confinement, les librairies sont peut-être victimes de la plus grande injustice. En dépit de leurs efforts pour s’adapter à des règles sanitaires extrêmement contraignantes, et malgré le sort que leur réserve la concurrence implacable d’Amazon et consorts, leurs arguments n’ont pas été entendus par le gouvernement.

D’aucuns affirment, pour protester, que les livres sont des biens de première nécessité. Les librairies devraient pouvoir ouvrir, au même titre que les supermarchés, puisqu’il serait aussi vital de lire que de s’alimenter. L’idée est plaisante et la formule séduisante – mais l’une et l’autre sont hélas fausses. Dire que la lecture est une activité vitale est une belle métaphore, que la réalité dément chaque jour. Ne pas lire n’a jamais empêché quiconque de vivre, et des millions de gens se portent très bien tout en se tenant soigneusement à distance des librairies.

Comment qualifier le fait de consacrer le peu de temps libre dont on dispose à d’autres activités, sinon de désintérêt manifeste pour la lecture ?

Avec en moyenne deux minutes consacrées à la lecture chaque jour, les Français sont les Européens qui lisent le moins. Les ventes de livres suivent une tendance continue à la baisse depuis une dizaine d’années que de rares sursauts ne parviennent pas à enrayer. Les jeunes, d’après une étude publiée en 2016 par le Centre National du Livre, lisent eux aussi de moins en moins. Autant de sombres perspectives pour la fréquentation future des librairies.

La plupart des analyses sur le sujet mettent en avant des explications à ce phénomène qui se veulent rassurantes. Il ne s’agit pas, répète-t-on, d’un véritable désintérêt pour la lecture, mais d’une conséquence du manque de temps et de la concurrence d’autres activités (télévision, internet…). Mais comment qualifier le fait de consacrer le peu de temps libre dont on dispose à d’autres activités, sinon de désintérêt manifeste pour la lecture ?

Certes, ce désintérêt est inavouable et inavoué. Dans un pays qui s’enorgueillit volontiers d’un patrimoine littéraire qu’il connaît mal et exploite peu, tenir les livres en haute estime est une forme d’obligation morale, y compris pour ceux qui ne lisent pas. S’il n’est plus rare d’entendre certaines personnes déclarer, sans feindre d’en avoir honte, qu’elles ne sont « pas très bouquins », le consensus sur le statut prestigieux de la lecture demeure. Pour autant, ne pas oser avouer qu’on ne lit pas ne revient pas à lire…

Il serait difficile et sans doute inutile de dresser ici la liste des raisons qui conduisent chaque année un nombre croissant d’individus à se détourner de la lecture au profit d’activités nécessitant moins de concentration, d’effort intellectuel ou de curiosité. En revanche, peut-être est-il temps de prononcer l’échec du discours qui, depuis plusieurs décennies, prétend « démocratiser la lecture » ?

Contre la fausse démocratisation, la resacralisation

Parce qu’ils sont supposés permettre au plus grand nombre de faire un premier pas vers la grande littérature, des ouvrages médiocres d’auteurs grand public sont couramment encensés, y compris par la critique la plus sérieuse. Parce qu’il vaut mieux lire quelque chose que ne rien lire, on suspecte de snobisme toute hiérarchisation et tout refus de mettre le « roman jeunesse » ou la bande dessinée au même plan que Chateaubriand et Racine.

Où sont passées les générations de lecteurs que nous promettait le succès commercial d’un Harry Potter ? Ceux que leur milieu social et leur fréquentation précoce des livres destinaient à lire fréquentent aujourd’hui les librairies. Les autres entretiendront avec la lecture un rapport qui dépendra bien plus de leur parcours individuel que d’une prétendue politique de démocratisation.

Il faut désormais admettre que celle-ci n’a pas fait naître autant de lecteurs qu’elle le promettait. En affirmant que tous les livres se valaient dans un élan de relativisme bien intentionné, elle les a ravalés au rang de simples objets dont il serait scandaleux d’affirmer la valeur absolue du contenu. En désacralisant la lecture pour la rendre accessible, elle en a fait une activité comme une autre, qui doit désormais livrer une bataille perdue d’avance aux autres « loisirs ».

Face au consensus tiède…

À rebours de cette logique, il faut oser renouer avec une véritable faculté de juger et donc de distinguer les œuvres de qualité des œuvres insignifiantes. Les livres n’attireront leurs futurs lecteurs qu’au prix de cet effort. Face au consensus tiède qui prédomine actuellement, ce courage critique, que les libraires n’ont pas toujours été les premiers à assumer, doit faire renaître un vrai discours sur la littérature en dehors de la sphère médiatique, qui s’en est arrogé le monopole.

C’est seulement ainsi que la lecture recouvrera son caractère solennel et qu’elle redeviendra un rituel, c’est-à-dire un acte d’autant plus précieux qu’il n’est d’aucune utilité, un acte qui échappe à toute nécessité extérieure — un acte véritablement vital.

Commentaires

Firmin G. | 03/11/2020 - 23:00 :
Vrai ! Les gens pleurent à cause de la fermeture des librairies mais pour la plupart ils n'achètent pas de livres en temps normal. D'ailleurs, à Paris où je vis depuis 34 ans, quand un Antillais entre dans une librairie, c'est soit parce qu'il pleut soit parce qu'il s'est trompé de magasin. Nous achetons donc encore moins de livres que les Blancs.

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