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LYONEL TROUILLOT: ON PEUT HABITER LE BILINGUISME SANS TRAGÉDIE

Bernard Léchot, swissinfo
LYONEL TROUILLOT: ON PEUT HABITER LE BILINGUISME SANS TRAGÉDIE

Il est écrivain, poète, professeur de littérature, journaliste, parolier. Sa vie s’articule tout entière autour des mots - français et créoles. Et d’un véritable engagement pour Haïti, où il est né en 1956. Le français selon… Lyonel Trouillot.

Aujourd’hui, Lyonel Trouillot vit toujours à Port-au-Prince, au cœur de sa terre. Il s’y trouvait d’ailleurs le 12 janvier dernier, jour du terrible séisme. «J’ai fait partie des chanceux», dit-il calmement.

swissinfo.ch: Vous souvenez-vous du premier manuel scolaire avec lequel vous avez appris le français?

Lyonel Trouillot: Aucun souvenir… aucun!

Quelqu’un – parent, professeur, auteur – a-t-il marqué à jamais votre relation à la langue française?

Pas à la langue française. Au langage. Les premiers auteurs que j’ai lus, je les ai lus en français, puisqu’il n’y avait pas encore de textes traduits en créole, et c’était les deux langues que je connaissais dans mon enfance. Le français était donc pour moi la langue du livre, de la littérature.

Il y avait aussi parmi les amis de ma famille – mon père était avocat, et recevait souvent des gens – une sorte de respect du langage, de quête du beau langage qui m’a sans doute marqué.

Une citation de Cioran: «On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre»… D’accord, pas d’accord?

Je ne suis pas du tout d’accord avec ça. C’est une sorte de bavardage, de ronron qui est inscrit dans un fétichisme de la langue. J’écris en français, mais mon pays s’appelle Haïti, avec des gens qui y vivent dans de très mauvaises conditions, et cela m’interpelle beaucoup plus que la langue française.

Et puis, il faut arrêter: on est écrivain au moment où on écrit. Quand on n’écrit pas, on est un citoyen. Il y a deux fétichismes dans ce genre d’énoncé qui m’agacent profondément: le fétichisme de la langue et celui du statut d’écrivain. Au moment où je vous parle, là, je ne suis pas un écrivain, mais un citoyen qui essaie de dire des choses plus ou moins intelligentes, plus ou moins utiles!

Quelles places tiennent chez vous les différentes langues que vous pratiquez?

Vous savez, dans mon travail d’écrivain, la langue est un outil de travail, et ce sont les textes finalement qui choisissent leur langue. Comme si certains textes me disaient: «En français je ne fonctionne pas bien». Et d’autres: «C’est en français que ça marche pour moi»! Je pense que beaucoup d’écrivains haïtiens, qui écrivent en français et en créole, vous diront que c’est le texte qui choisit. On peut habiter le bilinguisme sans tragédie.

La langue française a une spécificité: l’Académie française. Un club de vieillards inutiles ou les gardiens du temple?

Disons que l’Académie française a été créée avec une volonté de coordination et de mainmise de l’Etat sur la question du langage, intention qu’on peut trouver louable ou trop centraliste. Pour moi, c’est une institution de prestige, dans une certaine tradition française, mais ni plus ni moins que ça.

Malgré l’Académie, le français se métisse et change, pour le meilleur et le pire… Votre rapport à cette évolution? Amusé, attentif, agacé?

Les langues n’ont pas de propriétaires, et sont transformées par leurs locuteurs. Il est normal qu’elles soient marquées par des contextes historiques, des évolutions sociales. Les langues sont des structures souples qui peuvent s’accommoder de nouveautés, qui finalement se transforment aussi.

Cependant je constate une chose qui m’agace: c’est qu’il y a quand même une perte de langue. On peut ainsi s’interroger sur la somme de langage que possèdent les jeunes dans les cités. Aujourd’hui, l’un des drames de certaines sociétés, ou de certaines catégories sociales, c’est qu’il y a des colères légitimes qui veulent s’exprimer, une condition qui veut qu’on sache qu’elle existe afin qu’on puisse la changer, et qui ne trouvent pas les mots pour s’exprimer.

Si je prends le cas de mon pays, Haïti, vous avez les jeunes des bidonvilles qui finalement ne parlent ni français, ni créole, mais un langage infesté de termes anglais – et ils ne connaissent pas l’anglais pour autant. Il y a donc finalement une sorte d’impossibilité de dire qui prend la forme du cri. Ou du bégaiement. Mais qui ne prend pas la forme de la phrase. Tout au plus de l’invective. Cela dans un langage qui les ghettoïse, puisqu’ils sont les seuls à se comprendre et ne peuvent pas, dès lors, agir sur la société.

Cette année, c’est le 40ème anniversaire de l’Organisation internationale de la Francophonie. Quel regard portez-vous sur cette institution?

Je pense que l’OIF en tant que telle est, comme toutes les institutions, en partie déterminée par les donateurs, qui ont évidemment une influence sur certains de ses choix. Mais je crois qu’elle évolue dans le bon sens. Parce qu’elle ne tient pas un discours sur la ‘belle langue française’ au détriment des langues locales. Quand je pense au Prix des cinq continents de la Francophonie, il y a une vraie volonté de montrer qu’il y a des usages différents et légitimes de la langue française.

Comme la plupart des francophones, à l’exception des Français, sont bilingues, ou parlent plusieurs langues, il y a une sorte de dialogue qui s’établit avec les autres langues des locuteurs francophones, ce qui est très intéressant.

Pour conclure, une expression haïtienne que vous appréciez particulièrement?

En Haïti, quand quelqu’un parle beaucoup pour ne rien dire, on dit en créole haïtien: «Tout ça c’est la France»!

Bernard Léchot, swissinfo

Source: swissinfo

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