Ausculter la Martinique au jour le jour, à partir de petits faits quotidiens, de choses qui ont l’air a priori banales, nous semble désormais, après le désastre du 10 janvier dernier, beaucoup plus indiqué que de s’embarquer dans de grandes analyses théorico-politico-économico-psychologiques comme celle de cet ancien leader d’un groupe d’extrême-gauche indépendantiste qui, à grand envolées d’ « analyses scientifiques de la réalité » et de « roue de l’histoire »__on se croirait revenu dans les années 60__s’emploie à dédouaner « lè pep » de toute responsabilité dans ce qui s’est passé. « Lè pep » qui, soit dit en passant, ne lui a jamais permis, en trente ans de joutes électorales, de devenir maire de la commune de la côte atlantique où pourtant il « organise les masses populaires » selon les « règles scientifiques du marxisme-léninisme ». Mais passons…
Dans les écoles maternelles et primaires, c’est la grande effervescence depuis quelques jours : on entre en période de carnaval. Les élèves sont heureux comme pas possible et préparent chansons, masques et parades sous l’œil vigilant de leurs maîtresses et de leurs « taties » (gardiennes). Parmi ces festivités, l’une d’elle est très prisée : le concours de Miss. C’est ainsi que dans une école du centre de l’île, Héloïse, gamine délurée et intelligente, décide de se présenter pour représenter le CM2 (Cours Moyen 2è année). Dans sa classe, toutes les autres élèves sont trop timides pour se lancer. Elle est donc seule candidate en lice et comme elle est plutôt jolie, elle risque de représenter l’école lors de la parade carnavalesque. Seulement, il y a un hic. Un gros hic ! Notre Héloïse est…blanche. Pas Békée ni Métro, mais, comme disent les Réunionnais, « Zoréole », mot-valise pour dire « Zoreille créole ». Il s’agit des descendants des Métros qui sont venus travailler dans les DOM-TOM dans les années 50 du siècle dernier, qui y sont restés, qui ont fait des enfants sur place lesquels, pour certains, ont eu à leur tour des enfants comme Héloïse. Cette dernière est donc née en Martinique de parents eux-mêmes nés en Martinique. Elle parle couramment créole, s’exprime en français avec un accent antillais et a toutes les manières d’une négresse, d’une chabine, d’une mulâtresse ou d’une Indienne. Sauf qu’elle a la peau blanche et c’est là qu’aux yeux de ses enseignants et taties, le bât blesse. A leurs yeux, cette fillette ne peut pas être Miss CM2 de son école. C’est de l’ordre de l’impossible. Alors elles le lui font comprendre et forcent la main à une fillette noire pour qu’elle se présente au concours. Héloïse fond en larmes, ne comprenant pas pourquoi elle se retrouve ainsi écartée. Depuis, elle n’ouvre presque plus la bouche.
Question à mille francs : ces enseignantes et ces taties ont-elles voté « OUI » ou « NON » à la consultation du 10 janvier ? Sont-elles d’affreuses indépendantistes qui veulent chasser tous les Blancs de la Martinique ou leur couper la tête ? La mère d’Héloïse se renseigne discrètement sur ce point pour découvrir, non sans stupéfaction, que ces dames ont toutes votées « NON » !!! Ce qui traduit en termes crus signifie qu’elles « crient leur amour envers la France » d’un côté tout en ostracisant les Blancs de l’autre. Et quels Blancs ? Une enfant de 9 ans. Drôle de pays ! Et vive « lè pep » quand même !...
Dans un bar où se réunissent des « rhumiers » (pas des fabricants de rhum comme dit le dico français, mais des consommateurs invétérés de rhum comme dit le dico créole), une bande de joyeux drilles refait régulièrement le monde le vendredi soir, jour où bobonne leur donne quartier libre. Arrive la question du tourisme. Ah, l’éternelle question du tourisme à la Martinique ! Ses grands projets, ses mirages et ses échecs.
« Ecoutez » fait l’un de ces honorables citoyens en se dressant de son siège et en levant son verre rempli de 55° d’une manière solennelle « Ecoutez-moi !...Développer le tourisme, c’est simple comme s’envoyer ce verre de rhum… (Et l’homme de joindre le geste à la parole)…Ben oui, il suffit d’inventer un bobard, une histoire à dormir debout qui attirera les gogos de la terre entière. »
« Mais encore ? » rétorque l’un des rhumiers, les yeux déjà cramoisis et la langue pâteuse.
« Regardez les Ecossais, n’ont-ils pas inventé le monstre du Loch Ness ? Chaque année c’est par dizaines de milliers que les touristes déferlent au bord de ce lac et pour y apercevoir quoi ? Que dalle ! Rien. Zéro monstre….Ensuite, y’a le cas du Yéti dans l’Himalaya. Alpinistes, grimpeurs, crapahuteurs et autres touristes de montagne défilent là-bas depuis des décennies pour apercevoir l’homme-singe. Mais en vain ! Y’a le cas de l’Homme au masque de fer en France aussi… »
Et notre homme de proposer qu’en Martinique également nous inventions notre propre bobard. Une bonne histoire à dormir debout qui pourrait attirer les touristes du monde entier et remplir nos hôtels comme le font le monstre du Loch Ness, le Yéti ou l’Homme au masque de fer.
« La Main noire ! » s’écrie triomphal un rhumier qui jusque là somnolait sur sa chaise.
« Bof ! » rétorque le premier « Tu veux parler de cette main noire que, dans les années 50, les gens du bourg du Lamentin voyaient apparaître devant eux quand ils entraient dans une salle ? Ouais…Pas très excitant à mon sens… »
« Tête-sans-corps ! » braille un autre en décapuchonnant d’un coup sec une bouteille de La Mauny.
« Pff ! » re-rétorque le premier « C’est cette tête dépourvue de corps que, dans les années 60, les gens de la campagne de Sainte-Marie voyaient sur leur chemin à la nuit tombée ? Ouais…ça marche peut-être dans un roman de la Créolité, mais pour faire redémarrer notre tourisme, faudrait davantage que ça, les gars… »
L’assemblée se tait alors. Chacun cogite entre les vapeurs de rhum, le vacarme des voitures qui passent, la télé qui joue à fond (un match de Ligue 2 : Clermont contre Trifouillis-les-oies), un clodo qui chantonne « La Marseillaise », deux-trois putes dominicaines qui remuent leur fantastique popotin entre les tables et une grappe de gamins qui cherchent un coup pendable à faire.
« Euréka ! Eu-ré-ka ! » hurle soudain l’un des rhumiers « J’ai trouvé ! »
Les autres se réveillent illico.
« Et t’a trouvé quoi comme énorme bobard pour attirer des milliers de touristes en Martinique ? » ricane le tout premier « Le monstre du Canal Levassor ? Le Yéti de la montagne Pelée , Ha-ha-ha ! »
Sans se démonter, le visage soudain grave, l’homme répond, en détachant les syllabes :
« La 3è voie du PPM ! »
« Mais les touristes viendraient la voir où ? » fit le tout premier d’un ton dubitatif.
« Ben, au pied du Morne Trénelle. Au siège du PPM où l’on installerait une salle vide, plongée dans le noir. Chaque touriste paierait 10 euros pour regarder par un œilleton. »
« Il ne verrait rien ton touriste ! »
« Et alors ? Ceux qui vont sur les bords du Loch Ness ou sur les pentes de l’Himalaya, ils voient quèque chose peut-être ? »
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