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Moetai Brotherson : Le roi absent

Moetai Brotherson : Le roi absent

Le roi absent est un long récit — roman ou conte — qui tresse une multitude d'inspirations venues des îles Sous-le-Vent, des Marquises, de Tahiti, de Paris et de Nouvelle-Angleterre. Deux voix principales s'y expriment — la première solidement enracinée en Polynésie, l'autre venue de métropole. Cette dualité s'organise, semble-t-il, à la manière d'une partie d'échecs riche de feintes, de diversions et de rebondissements.


L'ouverture laisse croire à un roman de formation : on y suit Moanam de l'enfance à Nuku Hiva et Huahine, puis à Tahiti, à Paris pour de brillantes études, enfin de nouveau à Tahiti où s'amorce une ascension sociale rapide, et brutalement infléchie. C'est alors qu'entre en scène Philippe, un psychiatre métropolitain qui, pour avoir pris le relais, devra affronter les rigueurs de l'hiver à Providence (Rhode island), sonder les mutismes et expérimenter les remèdes traditionnels de descendants des Indiens Wampanoag.

Car sous la trame romanesque sont inscrits les fils d'une histoire préexistante, déployée de générations en générations au rythme de lentes migrations du nord au sud et d'est en ouest. À l'origine était un conflit entre la parole et l'écriture, séquelle d'un
premier contact entre civilisations, suivi d'un long cycle d'errance que Moanam le roi absent — et muet — était voué à conclure.

En déployant son récit sur plusieurs plans et en multipliant les points de vue, Moetai Brotherson brouille les pistes au risque de dérouter. Mais accepter les aléas d'une navigation proche parfois de la dérive ouvre d'attrayantes perspectives : pérégrinations parisiennes d'un Tahitien fraîchement débarqué, vie quotidienne à Huahine et dans les districts de Tahiti, regard sans complaisance sur les conditions de détention à Nuutania, robinsonnade dans la presqu'île … et autres escales jalonnant une intriguante partie d'échecs.

 

Moetai Brotherson se définit comme conteur. Il aime inscrire les histoires dans l'Histoire, et tresser les fils du réel à ceux des légendes. Enfant de Huahine (archipel des îles Sous-le-Vent), il écrit depuis l'âge de quatorze ans. Passionné par son pays et sa culture, il part pourtant s'installer et travailler à New York. Là, il vivra directement les événements du 11 septembre 2001 qui le feront revenir au fenua. Paradoxalement, il écrit par amour de l'oralité, considérant que le livre n'est que la partition d'une mélodie que chaque lecteur est libre d'interpréter.
 
EXTRAIT C'est une nuit sans lune et sans nuages. Allongé sur mon pareu je compte les étoiles. Non, pas toutes les étoiles. Uniquement celles que je connais. Le pont qui enjambe la rivière est bordé d'un petit parapet en béton. Un petit groupe de jeunes s'est assis là, les pieds au-dessus de l'eau. L'un d'eux joue de la guitare, les autres l'accompagnent en chantant. C'est tout juste si une voiture qui passe les dérange de temps à autre. Et ils chantent, sans hurler, comme s'ils ne voulaient percer le voile de la nuit par trop de bruit. Les gens sages respectent la nuit plus encore que le jour.

Ils chantent les chants de leur époque, mais font aussi des incursions, plutôt réussies, dans l'univers musical de leurs aïeux. L'un d'eux lance parfois le début d'un chant trop vieux pour que les autres puissent le connaître. Au bout de trois strophes, le guitariste s'arrête et ils se mettent tous à rire, de leur ignorance somme toute compréhensible. Mais même ce rire n'a rien d'irrespectueux. Il est chargé de promesses, il annonce d'autres nuits sur le parapet, où enfin, au prix d'un effort joyeux, ils iront au bout de cette mémoire. Dieu, que la nuit est belle quand les enfants chantent sans complexe les chants des vieux …


pp. 310-311
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • Jennifer Poulin, « Le Roi absent, un roman polynésien à la croisée des cultures », in Jean Bessière et Sylvie André (dir.), Littératures du Pacifique insulaire, Paris : Honoré Champion (Bibliothèque de littérature générale et comparée, 114), 2013

 

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