{Voilà une critique qui méritait d'être écrite depuis longtemps à l'adresse, si l'on ose dire, de la chanson nauséabonde et bêtement larmoyante de Jocelyne Labylle.}
Depuis plusieurs semaines, les radios locales diffusent abondamment le dernier tube de Jocelyne LABYLLE « NEG LA ». Présenté comme « la meilleure vente du moment», dans le contexte de grève générale et de pénurie que nous traversons, ce single connaît un succès fulgurant, grâce à l’appui bienveillant des radios locales, généralistes notamment, et de l’opérateur téléphonique « historique » de la place. Celui-ci va jusqu’à inviter ses clients, par SMS, à télécharger le single, pour en faire la sonnerie de leurs portables. Ce message est relayé à grand renfort de publicité sur les mêmes radios dominantes du paysage audiovisuel Guadeloupéen.
Pourquoi un tel intérêt ainsi porté par les radios et l’opérateur téléphonique « historique » sur cette dernière production de la chanteuse de Zouk, soudainement convertie au gwo-ka ? Bâti sur une mélodie dépouillée, le chant de Jocelyne Labylle s’articule sur un couplet répétitif et lancinant, qui rappelle à qui veut l’entendre que les Noirs, dont elle se fait la porte parole, n’ont pas demandé « leur couleur noire », ni encore leur « dents blanches » ou leur « nez plat » : « An pa mandé koulè nwè-la, an pa mandé dan blan an mwen, an pa mandé né plat an mwen… ».
Certains auditeurs auront peut-être reconnu dans la ligne mélodique une réminiscence de l’enregistrement « Diab-la prend yo », enregistré en 1969 par Mme MAVOUNZY, sur l’album NOSTALGIE CARAIBES. Cet album historique du patrimoine musical Guadeloupéen, réunissait la grande chanteuse, accompagnée de son fils, Robert, virtuose de la clarinette et du saxophone. Cette réminiscence se retrouve dans le refrain, repris par les choeurs (féminins) « Ay neg la ja pran », qui n’est autre que le refrain de « Ay djab-la pran yo », de Mme MAVOUNZY. Ce succès de l’époque avait du reste été repris par d’autres chanteurs et groupes, dont ANZALA, authentique chanteur de Gwoka, ou encore les « Shleu-Shleu » d’Haïti, avant qu’ils ne deviennent « Skah Shah ». Notre nouvelle star du gwo-ka aura-t-elle pensé à reverser les droits d’auteurs aux ayants-droits des compositeurs authentiques de la mélodie ?
L’analyse des lyrics de ce single amène l’auditeur attentif que je suis, à m’interroger sur les véritables motivations de l’auteur des paroles. En effet, ne voilà t-il pas que cette complainte sur les attributs physiques des hommes et femmes de race Noire, et sur le mépris auquel ils ont donné lieu jusqu’à présent , me laissent perplexe : « Neg-la ja pran an guèl a blan…an guel a malaba…an guel a malpalan…an guel a neg la menm» assénés à longueur de refrain, me semblent d’un anachronisme profond, à l’heure de l’intronisation du premier président Noir des Etats-Unis, en la personne de Barack Obama. La vulgarité puissamment utilisée « guel » pour renforcer le message ainsi véhiculé, dissimule assez mal la pauvreté de son contenu, et l’indigence de la pensée du parolier. Celui-ci cherche-t-il à raviver la guerre des races en Guadeloupe, terre multiethnique et multiculturelle s’il en est ? A l’heure où l’unanimité règne autour des propos racistes outranciers tenus par M. Alain Huygues-Despointes lors du reportage de Canal + sur les « Derniers maîtres de la Martinique », aucune voix, curieusement, ne fait le rapprochement avec le single de Jocelyne Labylle.
La chanteuse cherche-t-elle à nous faire découvrir que les « NEG » que nous sommes, ces « Damnés de la Terre », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Frantz Fanon, ont subi les pires mépris et atrocités de la part d’autres humains ? Veut-elle nous apprendre que les Africains ont été victimes de la traite négrière pendant quatre siècles ?
Je dirai dans ce cas, qu’elle arrive trop tard, beaucoup trop tard, et qu’il ne sert à rien d’enfoncer ainsi des portes ouvertes. Le racisme à rebours, diffusé par les victimes réelles ou supposées de ce racisme, reste du racisme, qu’on se le dise !
La posture victimaire de Jocelyne Labylle ne fait que véhiculer des relents nauséabonds, d’un autre âge. Avec de tels propos, ni Toussaint Louverture, ni Louis Delgrès, Solitude, Makandal, Boukman, Jean-Jacques Dessalines, Marcus Garvey, Martin Luther King, Malcom X, Nelson Mandela, et bien entendu, Barack Obama, ne seraient rentrés dans l’Histoire.
Dans les années soixante, Guy CORNELY, déclamait « En cé Neg », magnifique poème dans lequel il exaltait la grandeur de l’homme Noir, être universel : « neg ki ka péché lambi asi pwi pwi »… Si guel an mwen épé, cé pou ti bo ; chivé an mwen kôdé, cé pou chatouyé po… « lè moin ri, soley an ciel ka femmé zié ; zétwal et la lin’ ka crié… ». An cé neg a toumblak, neg a charleston, neg a calypso, neg a mambo… « Ka ki neg, cé mwen, cé vou, pa bizoin vini fou…: Neg cé lé mathématic, neg cé la littérati, neg cé la bonne critique, neg cé osi la pinti …An cé Neg a prix Nobel… »…pour ces quelques extraits de cette oeuvre formidable, sur laquelle il se faisait accompagner par le plus célèbre tandem de tambouyés , Vélo et Artème Boisbant (Guy CORNELY : Poèmes ; Nostalgie Caraïbes).
Un, demi-siècle après ce formidable hommage rendu au Nègre, et singulièrement Guadeloupéen, par Guy CORNELY, Jocelyne Labylle ne trouve rien d’autre à nous servir qu’une complainte insignifiante et rétrograde, dénuée d’authenticité, sous le patronage de ses généreux sponsors, qui ont vite compris les bénéfices qu’ils peuvent en tirer.
Pour ma part, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle entre le discours de Dominique Panol dont le dernier album « Son sé Love » – trop peu diffusé à mon goût – invite ses soeurs et frères Noirs à se battre et à prendre les places qui leurs sont dues, et la complainte larmoyante et pernicieuse d’une transfuge du zouk, qui, me semble-t-il, n’est plus dans l’air du temps.
Le message de Jocelyne Labylle vient brouiller un peu plus les pistes, dans le climat difficile, exacerbé par les mouvements sociaux en cours. Le « Neg la ja pran » se situe en parfait décalage par rapport à l’objectif d’appropriation du pays, au sens large, chanté par les foules (La Gwadloup sé tan nou …), ne nous y méprenons pas ! « Pa fè nou pran dlo mousach pou let » !
Le 11 février 2009
{La graphie utilisée pour les citations de Guy Cornely est d’époque}
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