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« Nous assistons à une dérive » : la cheffe du PLQ dénonce la censure à l’université

Émilie Dubreuil
« Nous assistons à une dérive » : la cheffe du PLQ dénonce la censure à l’université

« Il est fondamental de pouvoir nommer les choses dans un contexte académique pour pouvoir les comprendre et en débattre », affirme Dominique Anglade, première Noire à diriger un grand parti politique au Québec.

« Et puis et puis et puis désastre, parlez-moi du désastre. » Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ), me récite par cœur un extrait d’un grand poème de Léon-Gontran Damas dont les mots coup de poing livrent une charge comme seule la littérature peut le faire, ici contre les dérives pernicieuses du colonialisme.

Ce texte puissant, rédigé en 1937, évoque le mépris de la culture noire dans les colonies françaises, par des élites noires colonisées jusque dans l’âme. Je ne veux pas que mes enfants grandissent dans un monde où ils ne pourraient pas étudier ce texte fondateur, dit Dominique Anglade. Or, le poème, intitulé Hoquet, se termine ainsi :

« Un banjo
vous dites un banjo
Comment dites-vous
Un banjo vous dites bien un banjo
Non monsieur
Vous saurez qu’on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les mulâtres ne font pas ça
laissez don çà aux nègres ».

Nègres. Deux syllabes qui, si l’on en croit le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, ne devraient plus être prononcées dans une université même si le mot est utilisé dans un contexte historique, pédagogique et sans intentions malveillantes.

Les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression, écrivait le recteur lundi dans un communiqué à propos de la suspension de Verushka Lieutenant-Duval, professeure en histoire et théorie de l’art, qui avait employé le mot controversé lors d’un cours, fin septembre, où elle abordait le concept de resignification subversive avec ses étudiants, c’est-à-dire la récupération par un groupe d’un mot insultant pour ce dernier.

Je crois que l’on confond les choses, dit Dominique Anglade à propos de l’émoi suscité par l’usage du mot désormais honni. On est rendu trop loin dans le politiquement correct. Selon elle, il faut pouvoir distinguer l’emploi de ce mot comme insulte, un usage qu’elle condamne vertement, bien évidemment, du recours au même mot dans un cadre académique pour évoquer son histoire, son parcours. Il est clair pour moi que nous assistons à une dérive, dit-elle.

La cheffe du PLQ parle autant de l’incident à l’Université d’Ottawa que d’un événement similaire survenu à l’Université Concordia, où une professeure a suscité la controverse pour avoir mentionné le titre du livre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique. Cette œuvre est controversée, certes, mais elle correspond à un moment particulier de l’histoire des francophones du Québec. Il faut pouvoir en parler à l’université. S’il y a un lieu où on devrait pouvoir contextualiser, expliquer pourquoi un mot est si chargé émotivement, c'est l'université. Il n’y a pas de meilleur endroit.

Dominique Anglade a grandi au sein d’une famille d’intellectuels. Son père, George Anglade, était géographe, mais aussi écrivain. Il a participé à la création de l’Université du Québec à Montréal. Sa mère, Mireille Neptune Anglade, était une féministe engagée. Elle a écrit sur les femmes en Haïti et a travaillé pour les Nations unies. C’est peu dire que leur fille valorise le monde des idées, les institutions du savoir, la liberté de l'enseignement universitaire.

Il ne faut pas accepter cette dérive qui empêche que l’on soit capable, dans un cadre universitaire, de revenir en arrière et de se poser des questions sur l’histoire des mots, ce qu’ils voulaient dire à une époque, ce qu’ils veulent dire aujourd’hui.

Dominique Anglade

Dominique Anglade se demande comment on peut explorer et comprendre tout ce que le mot charrie comme histoire douloureuse si on doit le purger du lexique ou l’évoquer seulement par une circonvolution. Il faut utiliser le mot pour pouvoir dire, débattre, dénoncer.

Elle évoque les poètes de la négritude, Aimé Césaire entre autres, mais aussi Dany Laferrière, et se demande comment les jeunes pourront comprendre de nombreuses autres œuvres si le concept même de négritude et son histoire sont mis à l’index sans nuances.

Ce que je n’aime pas voir dans nos universités, c’est une incapacité à avoir un dialogue. L’université sert à développer un jugement critique et il est primordial qu’on puisse y tenir des débats sur ce sujet-là comme sur d’autres, affirme-t-elle.

Enfin, la cheffe du PLQ déplore les insultes essuyées par des professeurs de l’Université d’Ottawa, qui ont été qualifiés de frogs sur Twitter après qu’ils eurent publié une lettre d’appui à leur collègue. C’est un sujet délicat. Il faut comprendre l’histoire et les frustrations qui engendrent cette sensibilité. Toutefois, ce sont des insultes inacceptables. La liberté de parole, la liberté de débattre est essentielle, dans le respect de tous, conclut Dominique Anglade.

Commentaires

michel mirgan | 21/10/2020 - 15:36 :
Que des femmes noires d'origine nègre immigrée se hissent au somment d'un Etat "blanc" prouve que contrairement aux discours de certains, l'Occident n'a pas que des défauts….mais c'est néanmoins une perte pour Haïti , sa patrie d'origine
Firmin G. | 21/10/2020 - 17:17 :
Pendant, ce temps, comme au Chili, au Brésil ou en Bolivie, la guerre de 500 ans continue : cette semaine, de violentes échauffourées ont éclaté entre pêcheurs autochtones amérindiens et pêcheurs canadiens pour une zone de pêche très riche du côté de Halifax. Donc "ce pays de Blancs" comme se flatte d'être le Canada n'est qu'une énième fiction colonialiste qu'hélas, la plupart d'entre nous, reprenons comme des mainates.
Jihème | 23/10/2020 - 12:26 :
Bonjour, je découvre votre site par hasard et je le trouve intéressant, bravo! Et je viens de lire cet article ainsi que celui relatif au professeur Lieutenant-Duval relatif à l'usage, interdit par le politiquement correct, du mot "nègre" par les Blancs, sous le prétexte qu'il a pu avoir un sens péjoratif en d'autres temps. Si je comprends cette sensibilité, je trouve cette dictature du langage absurde et obscurantiste dans un cadre universitaire où l'on doit former l'esprit critique et promouvoir la culture. Je trouve également honteux que des chefs d'universités sans courage s’aplatissent en excuses au lieu de défendre l'esprit universitaire. Une remarque particulière de ma part : je suis Blanc, j'ai des descendants de Noir dans ma famille et je ne pense pas que l'on puisse m'accuser de racisme. Mais il se trouve que je suis du Midi, où j'ai des amis qui portent comme nom de famille le mot "Nègre". Tout simplement parce qu'en occitan, la couleur noire se dit dit nègre, banalement et sans connotation péjorative. Exemple : "Lo pòble del Miejour es sovent de pels negres" / Le peuple du Midi a souvent les cheveux noirs. Et si mon ami Louis Nègre se présente dans une université du Québec, doit-il éviter de dire son nom pour ne fâcher aucune susceptibilité ?.... Jusqu'où peut aller l'absurdité lorsque les idéologies régressives s'en mêlent ?!!! Je rappellerai aussi que beaucoup de gens du Midi, du 15e siècle au début du 19e siècle, ont été razziés sur les côtes méditerranéennes par les pirates et corsaires turcs et maghrébins pour être mis en esclavage dans les villes et sur les galères du Maghreb et du Moyen-Orient. On l'oublie un peu trop souvent quand on aborde ce sujet. Cordialement à vous et encore bravo pour votre indépendance d'esprit.

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