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Partir ! Ou Je me revois grimper les escaliers, un roman de Patricia Norca

Nady NELZY-ODRY
Partir !  Ou  Je me revois grimper les escaliers, un roman de Patricia Norca

Mon cœur  bruissait de générosités emphatiques et j’arrivais lisse dans ce pays qui est mien.  

                                    (Aimé Césaire  Cahier de retour au pays natal)

   A la fin des années 80, une journaliste très en vue sur RFO Martinique, avait  repris à son compte le titre de « Neg'Zagonal» pour illustrer  un documentaire.  Je me souviens que j’avais été blessée de cette épithète, car c’était selon moi, pour nos compatriotes des Dom, une humiliation, la moquerie d’une douleur demeurée cachée, une traîtrise supplémentaire de la mère patrie à l’égard de ses enfants au-delà des mers. En lisant le roman « Je me revois grimper les escaliers » de Patricia Norca,  le titre  me parut quelque peu énigmatique, puis à mesure que je rentrais dans le cœur du récit, j’eus l’impression d’une longue plainte, une nécessité  de l’auteure de se faire entendre quarante ans plus tard, celle d’une époque laborieuse des antillais expatriés dans la France dite  métropolitaine. 

  J’ai vainement cherché, sans trouver le sens du titre du roman de Patricia Norca, mais peut-être aussi, suis-je une lectrice trop « fouyaya* » car  je me dis toujours  que le texte que j’ai  sous mes yeux contient forcément  des  codes  pour  les  seuls « avertis ». C’est la raison pour laquelle, je lis au moins deux fois les ouvrages des auteurs antillais que je ne connais pas. 

   Térèz Léotin auteure de la préface de ce « roman » a raison de dire que le récit est joliment écrit. La plume de Patricia  Norca est belle et limpide, pour décrire ces moments d’enfance. Elle ne parvient pas à cacher la douleur qui étreint son cœur. Et en relisant pour la troisième fois le texte, des passages m’ont ramené aux souvenirs de mon père, lorsque nous étions  réunis boulevard de Grenelle à  Paris. Son regard parfois si triste disait ce paradis perdu dont  il  n’a eu  de cesse de rêver, pendant ses trente ans en l’Autrebord.    

   Comme ont pu le faire les lecteurs de notre génération, j’ai  lu la détresse  derrière chacun des mots de Patricia Norca . Cependant, je ne suis pas certaine que les gens « d’aujourd’hui » saisissent tous  les non-dits et la douleur de  l’exode obligé de nos parents, et je regrette que  dans son roman, cette époque  particulière de la Martinique, soit demeurée si discrète.   

   C’était celle des décolonisations, la jeunesse martiniquaise était en effervescence et des mouvements indépendantistes durement réprimés  allumaient des feux dans toute l’île. Si l’auteure à levé un peu le voile sur la misère du Nord , plus touchés par le chômage que partout ailleurs dans l’île et  où la misère est toujours prégnante, la démographie galopante incitait à l’exil.

   Patricia Norca ne dit  presque  rien sur l’histoire de ces antillais de l’Hexagone et la situation de notre île dans cette période  Pourtant l’un ne va pas sans l’autre. J’ai eu l’impression que l’auteure  n’osait pas mettre des mots sur  le déni des  gouvernement  français successifs. Comme le dit si justement Térèz Léotin son silence veut peut-être ignorer  cette période douloureuse et ainsi conjurer ses souffrances.

Michel Debré alors premier ministre de l'époque,  de retour de l’île de la Réunion s’est défaussé des  responsabilités de l’Etat en choisissant  de  créer  le BUMIDOM Bureau des Migrations des Départements d’Outre-mer. Au lendemain des guerres depuis celle de 39/45 jusqu’à la dernière contre l’Algérie, un calcul de technocrates se posait sur l’emploi subalterne occupé par des étrangers en France, les antillais des Dom furent la solution.

   En 1970, notre famille était  installée en France, quinze ans, avant ces années BUMIDOM, Nous n’habitions pas dans les banlieues ghetto et nous allions quelques fois en  vacances à la Martinique pour le soleil et la mer. Je découvris la situation des expatriés parce que  mon père  et ma mère  très sensibles au désarroi de nos compatriotes, cherchaient à aider ceux qui avaient fait le voyage.  Notre maison fut souvent l’occasion d’une première halte : quelques jours, une semaine ou deux, en particulier  pour  ceux de (Case Pilote, Bellefontaine, Sainte Luce). J’avais seize ans dont dix années entre Paris et le Sud Ouest de la France et  je découvrais la Martinique à travers ces « débarqués » aux regards perdus et craintifs. Je compris alors que nos parents et même nos grands parents  avaient déjà  fait ce  même périple deux décennies plus tôt. 

   Adolescente, je regardais tout cela avec un œil critique, sans réellement comprendre l’étendue du drame que vivaient tout ceux qu’on avait trompé si grossièrement. « L’Eldorado » appartenant aux fictions que l’on regardait le dimanche au cinéma à Foyal, pour ces Antillais de l’Hexagone, l’emploi certes subalterne, offrait un salaire et un  logis,  à peu près décent, qu'ils n'avaient pas au Pays . La France de l’Hexagone permettait la création  une famille. 

   En échange d’une identité, d’un particularisme qui nous est propre quant à la résistance,  la communauté antillaise  et sa culture marquée par le mystico-religieux  envahissant, reçut  à bras grands ouvert  les campagnes d’évangélisation, des repères spirituels et des lieux de rassemblement gratuits.  

   Le premier ennemi est la froidure et le ciel bas.  Aujourd’hui encore c’est  une véritable gageure que celle de « s’intégrer » sans être reçu, dans une société qui ignore tout  de la France d’au-delà des mers. Et il faut une certaine dose de vouloir pour résister à autant d’antinomies. Patricia Norca  doit continuer à écrire et nous parler de cet exode, ce Bumidom qui n’a pas réussi à la soumettre, comme il le fit pour tant de nos compatriotes.  

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