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La chronique de Jerôme Ferrari

PRENDRE LANGUE… CORSE

par Jérôme Ferrari http://www.la-croix.com/
PRENDRE LANGUE… CORSE

Trahir un engagement solennel est, on en conviendra, une manière bien peu honorable de commencer l’année. C’est pourtant, à ma grande honte, ce que je m’apprête à faire : je m’étais en effet promis de ne jamais parler de la Corse dans la presse continentale et c’est bien sûr à la Corse que ma première chronique sera consacrée. À ma décharge, je ne pouvais pas prévoir que les nationalistes deviendraient majoritaires au moment même où j’acceptais d’écrire toutes les semaines pour La Croix.

Mais cette coïncidence, pour troublante qu’elle fût, n’aurait pas suffi à entamer ma détermination. J’étais tout disposé à m’abstenir de commenter le résultat des élections. Et puis, au lendemain du 13 décembre, j’ai lu les réactions, celles des éditorialistes, celles du monde politique et là, je l’avoue, j’ai craqué.

Je n’ai aucune excuse, surtout pas celle de la surprise ; depuis des années, l’actualité corse suscite un déferlement de propos haineux ou condescendants avec l’infaillible régularité qui est celle des lois de la nature – et je ne parviens cependant pas à m’y habituer.

Au moment de sa prise de fonction, Jean-Guy Talamoni, nouveau président indépendantiste de la collectivité territoriale, a tenu un discours… indépendantiste.

Quand on considère la nature des thèses défendues depuis quelque temps par un gouvernement de gauche, on comprend ce que peut avoir de stupéfiant le spectacle d’un homme politique qui s’obstine à incarner les idées pour lesquelles il a été élu (quoi qu’on pense par ailleurs de ces idées) ; la logique aurait sans doute exigé qu’il entonne une vibrante Marseillaise avant d’enchaîner sur Sambre-et-Meuse.

Mais il y a pire, infiniment pire, en vérité : car ce discours, il l’a prononcé en langue corse ! C’est là une ignominie à laquelle on ne saurait répondre que par l’union sacrée.

Et de fait, dans un bel ensemble républicain, MM. Mélenchon, Chevènement et Fillon en ont été choqués. Le premier ministre lui-même a rappelé que le français était la seule langue de la République, faisant ainsi la preuve qu’il était finalement aussi attaché aux « grandes valeurs » que le premier député frondeur venu.

Je dois avouer que je n’arrive pas à comprendre quelle terrible menace l’usage d’une langue qui ne cesse de perdre des locuteurs fait peser sur la République. Il me semble même, à l’inverse, que la menace s’exerce plutôt dans l’autre sens et que c’est cette langue qu’on doit sauver, non de je ne sais quel danger symbolique, mais d’une mort prochaine, notamment en lui accordant, comme l’avait déjà demandé l’ensemble des élus corses lors de la précédente mandature, une reconnaissance officielle.

Tout cela était encore supportable mais il y a eu L’Express et Le Courrier picard. Le plus aguerri des stoïciens aurait succombé.

Pour Christophe Barbier, si le corse est « un dialecte chaleureux », seule la langue française a « accédé à l’universel » – et on frémit en pensant aux milliards de malheureux qui, ignorant le français, n’étancheront jamais leur soif de cet universel qu’incarnent à la fois notre langue et notre république, sans lesquelles la Corse ne serait qu’un « confetti encombré de chèvres et de châtaigniers ».

En écho, Jean-Marc Chevauché, après avoir noté, dans ce qui ressemble à un déchirant accès de lucidité, qu’« on a entendu pas mal d’âneries » après les élections régionales, suggère qu’on entoure l’île d’un champ de mines et lance cette remarquable adresse : « Dès que vous en aurez assez de bâfrer avec des châtaignes et du fromage de chèvre, amis corses, dites-le nous ! On pourra rediscuter. »

Je le demande sérieusement : en dehors des Corses, de quelle communauté est-il encore possible de parler dans ces termes sans susciter l’indignation générale ? Je n’ai jamais compris qu’on pût être fier ou honteux de ses appartenances culturelles mais je suis heureux d’être corse pour permettre à mes contemporains de s’abandonner aux élans qu’ils sont trop souvent contraints de réprimer douloureusement.

Il entre bien sûr dans ce louable sentiment une part ­d’égoïsme : je me sens ainsi appartenir à un peuple dont l’existence, pour douteuse qu’elle fût, est au moins attestée par leur précieuse détestation.

Jérôme Ferrari

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