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Quand les indépendantistes du monde entier se retrouvent en Corse

lesinrocks.com
Quand les indépendantistes du monde entier se retrouvent en Corse

Un Basque, un Catalan, un Corse, une Touareg et un Sarde sont sur un bateau. L’un d’eux tombe alors. Les autres le repêchent. À Corte, aux ghjurnate internaziunale (journées internationales) les indépendantistes corses célèbrent le premier week-end d’août leurs liens avec les « frères de lutte » du monde entier. Moqués par le passé, désormais au pouvoir, ils souhaitent construire une Europe plus juste.

Il fait plus d’une trentaine de degrés au pied du musée de Corte. De grosses baffles noires crachent une playlist étonnante, allant de Sunday Bloody Sunday à Zombie des Cranberries en passant par L’Armata di l’Ombra, hymne nationaliste du groupe Canta U Populu Corsu. Près d’un comptoir dressé pour l’occasion, les vieux Sardes boivent des cafés sur une table blanche. À leurs côtés, un jeune militant basque en bermuda invite un couple de Corses à vider quelques demis. En quittant le bar, on croise des touristes hébétés devant les stands mis en place. Une grande sélection de souvenirs offre t-shirts et briquets à l’effigie du ribellu, symbole du FLNC ou des portraits pop art de Pasquale Paoli, président de la République corse indépendante de 1755 à 1769.

Au delà d’un château gonflable, une centaine de militants collés à des chaises en plastique fixe la tribune. Au centre de l’estrade trône le docteur Éric Simoni, récent candidat Corsica Libera à la mairie de Bastia, cheveux gris, t-shirt noir sur lequel se baladent une Corse dorée et un badge du drapeau catalan. Dans son dos, d’autres bannières flottent librement. On reconnaît les couleurs irlandaises, écossaises, siciliennes, sardes ou basques. À gauche du docteur, Ferran Civit i Marti, député catalan du parti Junts pel Sí termine son intervention : une demi-heure relatant la récente progression vers l’émancipation de son peuple, ponctuée par une promesse :

“J’espère revenir l’an prochain comme représentant d’une Catalogne indépendante pour être le premier à reconnaître l’existence de la nation corse.”

Les mots sont prononcés en Catalan, mais tout le monde comprend et applaudit déjà lorsqu’il lance en conclusion “È viva la Corsica libera !”.

Quelques minutes plus tard, un panéliste au look plus inhabituel prend le micro. En tenue traditionnelle touareg turquoise, Moussa Ag Assarid fait sensation. Ancien membre du premier gouvernement formé par le Mouvement National de Libération de l’Azawad, en conflit ouvert avec le Mali, l’homme du désert vit sa troisième édition des journées. S’adressant à une foule charmée, il déclame, de sa voix douce : “C’est un petit grain d’espoir pour moi d’être ici et de vous entendre. De vous voir regarder devant, pas en arrière.” Le touareg sourit et s’interroge :

“Je ne sais pas si Jean-Guy Talamoni se souvient de l’année passée, ici même. S’imaginait-il qu’un an plus tard il serait le président de l’assemblée territoriale corse ?”

Dans son costume gris cintré, le leader de Corsica Libera rit. Non, il ne l’aurait jamais imaginé.

Ouvrir la lutte corse au monde

Ailleurs qu’en Corse, on aurait aussi du mal à comprendre comment un touareg, un Catalan dégarni et ventru et des Corses aux cheveux très courts semblent aussi ravis de se voir. L’esprit des ghjurnate, c’est ça. En 1981, l’édition inaugurale est organisée comme une première sortie publique pour la lutte nationaliste corse. La seconde, qui accueille déjà des délégations basque, bretonne et irlandaise est celle de son ouverture officielle sur le monde. Élu à l’assemblée locale et chargé de l’Office du Développement Agricole et Rural de la Corse, François Sargentini organise la manifestation depuis ses débuts. Il se souvient :

“On voulait échanger avec les différents peuples en lutte. Ils commençaient à en avoir partout en Europe, notamment avec les Basques et les Irlandais, qui faisaient l’actualité. C’était dans l’air du temps de présenter quelque chose qui unissait tous ces mouvements.”

À l’époque, les activistes corses ayant connu autre chose que leur île sont minoritaires. Les journées offrent ainsi de nouvelles perspectives. Sargentini assure : “C’était un événement pour les militants. Ils n’avaient jamais eu de contact avec des gens de l’extérieur. On a passé les trois journées, les trois nuits à discuter. On voulait comprendre ce qu’il se passait ailleurs.”

Depuis, des représentants de peuples en mal de reconnaissance de tous les continents se sont pressés dans les montagnes corses. Parmi eux, des membres du Sinn Féin irlandais, les Basques de Batasuna, des Écossais du SNP mais aussi des émissaires plus exotiques, comme ceux du Front Polisario, qui se bat pour l’indépendance du Sahara Occidental. Vous n’en n’avez jamais entendu parlé ? Aux Ghjurnate, on connaît. La connaissance de mouvements indépendantistes obscurs fait partie d’un socle culturel commun à chaque zone en lutte.

Dans sa maison du village de Tralonca, au milieu des chats et des chiens, François Sargentini digresse ainsi sur la Polynésie d’Oscar Temaru ou sur l’alliance révolutionnaire Caraïbes, qui unissait autrefois militants guadeloupéens, guyanais et martiniquais. Il ajoute à cela quelques précisions linguistiques :

“On ne dit pas Savoyards à des indépendantistes de Savoie. On dit Savoisiens, sinon c’est péjoratif. Comme Pays Basque espagnol, ça non. On dit Euskaleria. Ou Pays Basque Nord, Pays Basque Sud.”

MOUSSA AG ASSARID

Solidaires face aux États-nations

Une telle rigueur pourrait passer pour de la rigidité d’esprit. Mais pour les concernés, il s’agit plutôt de respect. Ainsi, Moussa Ag Assarid se présente en insistant “ne surtout pas me parler du Nord-Mali, je viens de l’Azawad” avant de justifier :

“Des frères se déchirent encore parce qu’un veut faire revenir le drapeau malien, quand l’autre ne veut plus entendre parler de l’oppresseur, du colonisateur qu’est le Mali. Le 22 juillet, il y a encore eu des centaines de morts.”

Contrairement à la Corse ou au Pays Basque, la lutte azawadienne passe encore par les armes. Que peut donc unir un tel mouvement du sud du Sahara à des partis démocratiquement élus en Europe ? Moussa Ag Assarid explique : “Je voyage beaucoup afin de transmettre pour mon peuple un message de solidarité, mais aussi une demande de soutien. Partout, je rencontre des ministres. Ici je trouve des militants.” Il poursuit : “Dans les états indépendants depuis longtemps, les peuples n’ont pas participé à la lutte d’émancipation nationale. Ils n’ont pas connu l’oppression, la colonisation, le manque de liberté. Alors qu’avec les Corses et les Catalans, on a cette proximité, cette sensibilité, cette attente que nous n’avons pas ailleurs.”

D’Édimbourg à Ajaccio en passant par Barcelone, les mouvements indépendantistes se dressent contre les États nations, dont les gouvernements s’entraident depuis des décennies. Par souci d’unité nationale, Madrid et Paris continuent de nier l’existence des peuples basques, catalans et corse, tout comme leurs langues et leurs cultures. François Sargentini rappelle :

“Après le Brexit, l’Espagne a posé un veto sur la question écossaise. Ils savent que si elle est posée, elle ouvrira un débat sur les questions catalanes et basques. Eux mêmes, par leur position de rigidité, construisent un pont entre nous.”

Vive l’Europe des peuples

L’avenir du continent et la place des peuples sans état dans sa reconstruction, c’est justement le thème du débat de ce dimanche.
Délégué aux affaires européennes à l’Assemblée de Corse, Petru Antone Tomasi prend la parole :

“Il y a une faillite du projet européen, un déficit démocratique que chacun constate. Nous sommes favorables à construire une Europe qui nous ressemble, non pas fondée sur les États-nations et les intérêts des lobbies, mais sur les réalités des peuples. Quand on voit ce qu’il se passe depuis quelques années en Catalogne, en Écosse, en Corse, avec autant de volontés des peuples de se ressaisir de leurs droits nationaux, il y a une alternative au projet européen.”

Fini l’Europe des nations, place à l’Europe des peuples. C’est l’angle choisi par l’ensemble des délégations, rêvant d’une Europe plus sociale. Pour François Sargentini, l’avenir du continent passe par “la question de l’abandon de souveraineté des états centraux”. Corses et Catalans sont forcément plus coulants sur le sujet. Comment s’accrocher à sa souveraineté lorsqu’elle est confisquée depuis des siècles ? Totalement détachés d’un quelconque sentiment de conquête, toujours présents dans l’âme des anciens empires coloniaux, les peuples présents aux Ghjurnate pensent pouvoir construire l’avenir de manière plus objective.

Reste aux indépendantistes à convaincre sur un sujet clef : l’économie. Si la Catalogne est vue comme le moteur de l’Espagne, la Corse devra elle répondre à un challenge plus conséquent. Là aussi, François Sargentini compte s’appuyer sur ses alliés en bâtissant des “passerelles économiques avec les peuples de Méditerranée.” Sur l’île, le riacquistu economicu (renouveau économique) prôné par l’Assemblée veut axer la Corse sur “les nouvelles technologies, la réappropriation de l’espace économique, ainsi qu’un tourisme maitrisé et plus performant.”

Les considérations financières, Moussa Ag Assarid en est encore loin. Il assure que 10 000 euros sont suffisants pour faire vivre une ville d’Azawad, contre 10 millions en Corse. Un écart qui l’inquiète. Se tournant vers la tribune, il demande : “Quand vous serez des états, quand vous serez à la direction de vos territoires, continuerez vous à nous tendre la main ? Ou plus vous serez des états indépendants, plus nous serons loin de vous ?” Le public, ainsi que les militants-ministres présents applaudissent, réaffirmant un soutien sans faille.

Vu de l’extérieur, Corses, Catalans et Basques semblent brûler les étapes. Pour le moment, ils sont bien Français et Espagnols. Serein, la montagne dans son dos, François Sargentini ne paraît pas pressé : “Ça va être freiné, on va essayer de contenir le débat mais l’Histoire est en marche. Je pense que c’est parti.” À voir si, une fois leur liberté conquise, Corses, Catalans et Écossais continueront à se rencontrer chaque été sur un parking, entre un bar de fortune et un château gonflable.

 

Source : http://mobile.lesinrocks.com/2016/08/14/actualite/independantistes-monde-entier-se-retrouvent-corse-11858711/

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